L'OFCE est assez surpris de la plus faible dynamique de l'activité française par rapport à celle de ses voisins européens. Le PIB de la zone euro est aujourd'hui tiré par les pays du sud de l'Europe, comme l'Espagne ou l'Italie. La politique publique française avait plutôt bien amorti le choc de l'énergie, comme nous l'avons constaté au niveau de l'inflation. Cependant, le déficit extérieur s'est beaucoup plus creusé qu'ailleurs et la consommation est plus en berne en France, en raison d'un taux d'épargne qui reste particulièrement élevé.
Le ministère de l'économie établit des prévisions sur l'emploi mais pas sur le chômage, dont il ne détaille pas la trajectoire. Il faut aussi reconnaître que par le passé l'OFCE s'est trompé en sous-estimant la dynamique de l'emploi, dans la mesure où nous sommes sortis des cadres habituels de la productivité. Depuis trois à quatre ans, cette perte de productivité se chiffre en plusieurs points de pourcentage (5 %). Cela pose de nombreuses questions en termes macroéconomiques. Nous pouvons continuer à nous tromper, c'est-à-dire que le chômage continuerait à baisser, mais si tel est le cas, cela sera soit lié à une croissance plus élevée, soit à une nouvelle dégradation de la productivité, ce qui poserait à son tour la question du moyen terme et de la croissance potentielle.
En effet, la productivité est le facteur central de la croissance potentielle : dans les éléments de projection de croissance potentielle, la productivité est projetée à 0,9 % par an sur le moyen et long terme. Or le niveau de cette productivité diminue, ce qui pose la question de sa réconciliation avec la croissance potentielle. Si l'on ne veut pas que l'ajustement se fasse par la négative sur le marché du travail, la croissance doit donc être plus dynamique.
S'agissant de l'inflation, nous faisons partie des prévisionnistes qui maintiennent un taux d'inflation relativement élevé, avec une diffusion de l'inflation importée, notamment aux salaires. Cette inflation pourrait être autoentretenue dans une spirale prix-profits, que l'on observe dans certains secteurs, comme l'industrie agroalimentaire, l'énergie ou les services de transports. L'industrie agroalimentaire avait connu des pertes pendant un temps et procède actuellement à un fort rattrapage.
En matière de marges, deux périodes doivent être distinguées : la période 2018-2021, qui a été marquée par la crise sanitaire ; et la période 2021-2022, celle du choc énergétique. Dans l'ensemble, le taux de marge global a assez peu varié, mais une hétérogénéité très forte entre les secteurs doit être relevée. Certains secteurs ont vu leurs marges s'améliorer très nettement comme l'énergie et les transports. L'industrie agroalimentaire a vu de son côté ses marges se dégrader fortement (-10 points de marge) lors de la crise sanitaire, avant de se relever fortement par la suite (+15 points de marge). En revanche, d'autres secteurs comme les matériels de transport, la restauration (-15 points de marge) ou les services aux ménages sont sortis perdants de l'épisode 2018-2022. Il peut donc exister des mécanismes d'inflation entretenus par l'amélioration des marges et des profits dans certains secteurs, quand d'autres secteurs ont compressé leurs marges.
Nous considérons que les marges ne peuvent pas augmenter indéfiniment, surtout compte tenu des pertes de productivité : les chocs seront plutôt sectoriels. Nous estimons que l'inflation va refluer à partir de 2024 en tablant sur une stabilisation des prix de l'énergie et l'absence d'une inflation autoentretenue par une boucle prix-salaires, ce qui ne signifie pas que les prix vont baisser. Simplement, ils augmenteront moins rapidement.
Une fois encore, nous constatons une déconnexion importante et quasi inédite entre les entreprises et les ménages. Il se trouve que les entreprises sont dans une situation assez particulière : elles ont plutôt bien résisté à la crise et les carnets de commande sont restés assez fournis au niveau international. Cependant, si jamais les ménages consomment moins de manière durable, le climat des affaires devrait lui aussi s'en trouver affecté.
Au sein de la dépense publique, il faut distinguer d'une part ce qui est lié aux évolutions structurelles et d'autre part les aides ou prestations temporaires, qui ont vocation à s'arrêter. Si des gains de productivité et d'efficacité sont matérialisés, la dépense publique peut s'en trouver allégée. Cependant, une grande partie de cette dernière est constituée par des transferts aux ménages et aux entreprises. De fait, si la redistribution vers les classes moyennes passe peu par les transferts fiscaux et sociaux, elles reçoivent beaucoup de prestations en nature, pour l'éducation, la santé. Le sentiment de choc sur le pouvoir d'achat peut donc être amplifié par une perception qui peut être biaisée sur l'éducation et la santé. En effet, la France se distingue des autres pays par le pouvoir redistributif de son système de protection sociale et de son système éducatif.
Par ailleurs, les multiplicateurs budgétaires peuvent être différents selon les situations cycliques : les ajustements budgétaires sont plus faciles à absorber lorsque l'économie est dynamique et légèrement en surrégime. En matière budgétaire, l'enjeu porte donc sur le bon calibrage en fonction du contexte macroéconomique. Or, nous sortons d'une période de politiques économiques extrêmement accommodantes. Finalement, l'économie française a bien résisté aux différents chocs enregistrés depuis 2020, grâce aux politiques publiques et aux mesures d'intervention. Certains peuvent d'ailleurs critiquer ce niveau d'intervention, qui a artificiellement empêché des faillites de se produire. En outre, les politiques monétaires non conventionnelles étaient très accommodantes, mais elles se normalisent peu à peu.
Désormais, le rétablissement des comptes publics revient sur le devant de la scène et la politique monétaire est plus restrictive, compte tenu de l'inflation. Par conséquent, le soutien de type policy mix sera beaucoup moins présent à l'avenir, mais la question porte sur la vitesse de l'ajustement. Nous prévoyons que la hausse des taux pourrait encore se poursuivre à hauteur de 0,25 point, avant de se stabiliser. En revanche, nous ne pouvons plus attendre de soutien des politiques budgétaires et monétaires.
Il est difficile d'anticiper la remontée des taux, dont une partie a été très critiquée, compte tenu du différentiel d'inflation entre la zone euro et les États-Unis. En 2021, l'inflation américaine sous-jacente était très dynamique, bien avant le choc sur l'énergie, car la reprise y avait été très puissante grâce aux plans de relance de grande ampleur. La demande était très importante et l'offre ne parvenait pas à la satisfaire, conduisant à une économie sous tension.
Dans la zone euro en revanche, l'inflation est arrivée avec six mois de retard, et elle était essentiellement liée à une inflation importée. Par conséquent, le relèvement des taux par la BCE a été critiqué car l'inflation n'était pas liée à un choc de demande important mais plutôt à un choc d'offre négatif lié à l'énergie. Néanmoins, la BCE était confrontée à une situation complexe : face à la remontée des taux américains, ne rien faire risquait d'entraîner une dépréciation de l'euro et une fuite de capitaux.
De plus, la BCE regarde également l'anticipation des marchés en matière d'inflation future. En réalité, quand la BCE relève les taux, elle ne cherche pas tant à réduire l'inflation à court terme qu'à envoyer un signal à moyen terme sur le fait qu'elle va tout entreprendre pour tenir son mandat d'inflation à 2 %. Au fond, la croissance n'est pas très dynamique, mais si la BCE n'agit pas, la crédibilité de son mandat serait remise en cause et la monnaie pourrait se voir dépréciée, dans un contexte où les prix de l'énergie sont par ailleurs libellés en dollars. La BCE a donc suivi la remontée des taux de la Réserve fédérale américaine (FED), qui a été historique.
Ensuite, la remontée des taux déstabilise les économies réelles et financières. Cela s'est manifesté aux États-Unis par des faillites bancaires et en Europe par des mouvements sur les obligations. La BCE doit donc agir avec prudence à l'avenir en matière de taux et nous estimons qu'elle les stabilisera à 4 %. De plus, la transmission des taux aux entreprises et aux ménages doit être prise en compte. En Europe, cette transmission est réelle mais beaucoup moins rapide qu'aux États-Unis, où le crédit hypothécaire s'établit à 6 ou 7 % pour le refinancement.
Par ailleurs, le marché du travail peut continuer à surprendre de manière positive. Cependant, comme je l'ai précédemment indiqué, puisque le niveau de la productivité diminue, la question de sa réconciliation avec la croissance potentielle devra nécessairement se poser à un moment.
Le salaire moyen par tête n'est pas nécessairement plus faible que l'inflation telle que mesurée par l'IPC. Cependant, pour le calcul du salaire réel, on applique le déflateur de la consommation, dont le calcul est un peu différent. Ainsi, quand on calcule le pouvoir d'achat ou le revenu disponible brut réel, on utilise ce déflateur de la consommation, dont la pondération diffère de celle de l'IPC. Il intègre en effet les services d'intermédiation financière, dont les coûts augmentent compte tenu de la remontée des taux. Le déflateur de la consommation s'établit en réalité à 7,4 % en 2023. Par conséquent, le salaire réel se calculera par rapport à ce déflateur.
À partir de 2024, le salaire réel redeviendra positif. J'ajoute que les personnes les plus concernées par le choc inflationniste n'ont pas leur revenu indexé. Aujourd'hui, le problème est le suivant : les salariés au-dessus du SMIC qui constituent le bas de la classe moyenne ne voient pas forcément leur salaire revalorisé ; tout dépend de leur employeur et donc de la situation sectorielle des entreprises. Par conséquent, il n'existe aucune protection du pouvoir d'achat pour le bas de la classe moyenne.
Notre prévision sur la trajectoire des finances publiques a été effectuée avant la présentation du programme de stabilité. Or il est particulièrement difficile de réaliser des calculs précis sur le bouclier tarifaire, notamment pour le bouclier électrique et la contribution au service public de l'énergie. Le bouclier net est un peu plus élevé sur l'électrique, ce qui explique la trajectoire rehaussée dans notre mise à jour. Enfin, la croissance potentielle est un élément déterminant du débat des retraites, compte tenu notamment de l'évolution future de la productivité. Comme je vous l'ai indiqué lors de ma première intervention, les économistes s'interrogent sur la perte de productivité que nous connaissons actuellement.