Je vous remercie de nous avoir sollicité pour cette audition. Je représente l'OFCE et viens vous présenter la note de conjoncture, que nous avons publiée il y a un mois.
Les évolutions du produit intérieur brut (PIB) depuis la fin 2019 montrent que la France a retrouvé assez vite son niveau d'avant crise, au troisième trimestre 2021. La reprise a été plus dynamique qu'anticipée avant que la France soit confrontée à un nouveau choc lié à la crise énergétique. Depuis cinq trimestres, on constate un aplatissement de l'activité française, ce qui est moins le cas dans les autres pays de la zone euro : le dynamisme est moindre en France malgré les mesures budgétaires et une plus faible inflation.
La croissance du PIB français s'est établie à 1,3 % au premier trimestre 2023, au-dessus de son niveau d'avant crise, mais en deçà des 2,8 % de la zone euro. La croissance est molle en France depuis la fin 2021, puisqu'elle augmente en moyenne de 0,6 % par trimestre sur cinq trimestres consécutifs. Dans le détail, l'activité est tirée par les entreprises, dont l'investissement est resté très dynamique et qui ont en outre reconstitué des stocks. En revanche, le comportement des ménages pèse sur l'activité : la contribution de la consommation et de l'investissement des ménages pèsent sur la croissance. Les comportements des ménages sont ainsi marqués par le retour de l'inflation et le maintien d'une épargne élevée.
L'évolution de la consommation alimentaire témoigne d'une évolution historique : une perte de 10 % depuis la fin de l'année 2021, soit un retournement inédit depuis les années 1950. Un tel découplage entre les entreprises et les ménages a rarement été autant observé dans les enquêtes. Ainsi, les enquêtes de l'Insee montrent que le climat de confiance des affaires est au-dessus de sa moyenne de long terme, mais du côté des ménages, nous sommes actuellement à un plus bas historique de ce climat de confiance, en dessous du niveau atteint lors du choc Covid et de la crise des Gilets jaunes. Le seul précédent historique équivalent est 2013, lors du tournant de l'austérité fiscale, qui a entraîné un choc sur le pouvoir d'achat. Les ménages français sont ainsi inquiets quant aux perspectives concernant leur niveau de vie.
Enfin, le déficit commercial constitue un point noir. Le choc initial subi sur l'énergie dans la balance commerciale est à peu près équivalent au premier choc pétrolier, c'est-à-dire presque 3 points de PIB. Depuis deux trimestres, la tendance se redresse, dans la mesure où les prix de l'énergie refluent. En revanche, le déficit commercial hors énergie est passé en terrain négatif alors que nous étions excédentaires. Cela est dû à la forte baisse des excédents dans le secteur des matériels de transport (perte de près d'un point de PIB par rapport à 2019) et à la hausse du déficit dans les biens d'équipements.
Les prévisions de croissance sont donc impactées par différents chocs : le choc énergétique ; un choc d'approvisionnement ; un choc lié à la remontée des taux ; des incertitudes et des tensions géopolitiques.
À la fin 2021, avant le choc énergétique et la guerre en Ukraine, la croissance était prévue à 4,1 %, mais elle s'est en réalité établie à 2,6 % en 2022. L'année 2022 a été marquée par le choc énergétique et les tensions géopolitiques, notamment les difficultés d'approvisionnement.
En 2023, en l'absence de choc, la croissance se serait établie à 1,6 %. Mais en 2023, les taux d'intérêt seront la variable la plus marquante, bien plus que les problèmes d'approvisionnement ou les tensions géopolitiques. Nous allons donc passer de 1,6 % à 0,8 % de croissance. De plus, les taux d'intérêt sont marqués par un effet retard : les effets des décisions de la Banque centrale européenne (BCE) sur l'activité jouent à plein entre douze et dix-huit mois après avoir été prises. Cela signifie que les décisions sur les taux de 2022 se feront sentir en 2023 et 2024.
En 2024, les taux d'intérêt auront donc un impact important, quand les prix de l'énergie seront plus neutres. Mais, simultanément, des mesures budgétaires de soutien, comme le bouclier tarifaire, vont être retirées. En résumé, nos prévisions de croissance du PIB sont de 0,8 % en 2023 et de 1,2 % en 2024.
Dans le détail, le taux de croissance trimestriel du PIB montre que l'économie française n'est pas retombée en récession. En début d'année 2023, le taux est de 0,1 % : la croissance a donc résisté, mais la dynamique reste faible. De même, les taux de croissance attendus sont également faibles : 0,2 % au deuxième trimestre et 0,3 % aux troisième et quatrième trimestres 2023.
Nous pensons que la consommation va malgré tout prendre le relais, compte tenu des taux d'épargne élevés. En revanche, l'investissement devrait diminuer, notamment l'investissement des ménages dans le logement, compte tenu de la remontée des taux. Les entreprises font quant à elles face à une augmentation des taux de refinancement et une hausse des coûts de production, ce qui devrait peser sur leur investissement. La contribution du commerce extérieur devrait être plus positive via un effet de rattrapage, notamment grâce au secteur aéronautique.
Notre prévision d'inflation via l'indice des prix à la consommation (IPC) est relativement élevée jusqu'à la fin de l'année 2023 (entre 5,5 % et 6 %), avant de converger vers 3 % à la fin 2024. Le poids de la consommation d'énergie représente à peu près 9 % de la consommation totale, contre 16 % pour l'alimentation ; mais leur contribution à l'inflation a été importante car leurs prix ont beaucoup plus fluctué.
En 2022, l'inflation était surtout tirée par l'énergie, à hauteur de 40 %, malgré le bouclier tarifaire. En 2023, la principale contribution à l'inflation relèvera de l'alimentaire, qui sera quatre fois plus élevée que celle de l'énergie (2,4 points contre 0,6 point), à comparer avec 2022, où l'énergie avait contribué à l'inflation à hauteur de 2,2 points contre 1,1 point pour l'alimentaire. En résumé, l'impact distributif du choc inflationniste sera différent dans sa structure en 2023 par rapport à 2022. Cette diffusion de l'inflation alimentaire s'effectue avec un effet retard.
Les revenus nominaux vont augmenter via les salaires, mais moins rapidement que l'inflation. C'est la raison pour laquelle la spirale inflationniste n'est pas auto-entretenue. Le pouvoir d'achat par unité de consommation est marqué par cette inflation : il devrait baisser de 1 % en 2023 après avoir baissé de 0,2 % en 2022, avant de se stabiliser en 2024. Dans le contexte actuel, cela pose un certain nombre de difficultés, mais au regard des chocs macroéconomiques enregistrés, l'impact aurait pu être encore plus difficile.
Aujourd'hui, la difficulté ne réside pas seulement dans un choc lié à l'inflation, mais dans l'hétérogénéité des situations. Dans certains cas, le pouvoir d'achat peut être préservé par l'augmentation des salaires ou des revenus, voire une inflation moindre si l'exposition à l'énergie ou l'alimentaire est plus faible. Dans d'autres cas, les chocs peuvent être assez puissants. Fin 2024, on retrouverait le niveau de pouvoir d'achat de 2019, malgré les mesures fiscales déployées, qu'il s'agisse des mesures structurelles, comme la baisse de la taxe d'habitation, ou des mesures conjoncturelles, comme le bouclier tarifaire.
Nous constatons également une forme de sur-épargne accumulée depuis la crise de la Covid. À la fin 2022, le niveau d'épargne était de 18 %, contre 15 % avant la crise. Les ménages sur-épargnent donc 3 points de revenus, soit un montant élevé. Nous considérons que petit à petit, le taux d'épargne devrait se normaliser et revenir à une situation d'avant crise.
Normalement le taux d'épargne est sensible au taux de chômage, mais cela ne se vérifie pas actuellement, compte tenu de cette épargne de précaution élevée.
De même, le niveau des actifs reste élevé et engendre donc un effet de richesse positif, qui en théorie devrait diminuer le taux d'épargne, mais ce n'est pas ce que l'on constate actuellement.
Cette sur-épargne devrait atteindre à la fin 2024 près de 13 % du revenu annuel, soit environ 200 milliards d'euros de sur-épargne accumulée. Cela pose problème, d'autant plus qu'une partie de celle-ci est érodée par l'inflation. Par conséquent, la manière dont les ménages utiliseront cette épargne sera essentielle. En outre, cette épargne est très concentrée : en 2020, d'après l'Insee, 80 % de cette épargne était détenue par 25 % des ménages, c'est-à-dire les ménages les plus aisés.
Par ailleurs, la situation actuelle est marquée par une forte singularité : les créations d'emploi sont plus nombreuses que l'activité ne le laisserait supposer. Il s'agit d'une bonne nouvelle pour le marché du travail : les chiffres du premier trimestre de 2023 font état de 1 150 000 emplois nets supplémentaires par rapport à 2019, soit 5,8 % d'emplois en plus. En revanche, le niveau d'activité est seulement 1,3 % au-dessus du niveau d'avant crise. En résumé, nous avons besoin de plus d'emplois qu'avant pour créer la même valeur ajoutée.
La conséquence est assez évidente mais également inquiétante pour la suite : un affaissement de la productivité. L'enjeu consiste donc à savoir si cette baisse est temporaire ou structurelle. Les raisons sont diverses selon nous : elles sont liées au phénomène de l'apprentissage, à la durée du travail ou au faible nombre de faillites. Dans notre étude, nous estimons ainsi que par rapport au cycle habituel, le nombre d'emplois est environ supérieur d'un million, soit un montant très élevé. On n'assiste donc pas à la fin du travail ou à un choc positif sur la productivité qui serait induit par le numérique.
Les chiffres du chômage ont été publiés ce matin et se sont établis à 7,1 % au premier trimestre 2023. Notre discours consiste à dire que le taux de chômage va rester relativement bas jusqu'à la fin du premier semestre, mais nous considérons que le marché du travail va se retourner en raison des conditions macroéconomiques, qui sont liées notamment à une croissance poussive et un choc de productivité négatif. Il est ainsi fort probable que les entreprises vont chercher à un moment donné à récupérer une partie de la productivité perdue, car elle affecte la rentabilité, jusqu'à provoquer dans certains cas des faillites.
À partir du moment où la situation est normalisée et que les aides sont retirées, les entreprises vont chercher à récupérer de la productivité. De plus, la prime d'apprentissage doit également se réduire, alors que l'apprentissage a contribué de manière assez nette à enrichir la croissance en emplois. Cet ajustement du marché du travail devrait se traduire par des destructions d'emplois à partir du troisième trimestre 2023.
Cela correspondrait environ à 100 000 emplois perdus d'ici la fin 2024, soit un taux de chômage de 7,9 %. Ce choc n'est pas extrêmement violent et ne prend pas en compte une normalisation des niveaux de faillites, que nous avons envisagés de manière assez conservatrice. La réforme des retraites est cependant intégrée dans nos modèles : en reportant de quelques mois l'âge légal de départ à la retraite et la durée de cotisation, on maintient plus longtemps le nombre de personnes en activité ou au chômage, ce qui augmente mécaniquement la population active, à hauteur de 0,2 % en 2024.
Par ailleurs, nos prévisions de cadrage budgétaire sont assez proches de celles du Gouvernement. En 2022, le déficit a été plus bas que ce que nous pouvions anticiper, puisqu'il s'est finalement établi à 4,7 %. En réalité, les recettes fiscales ont été très dynamiques malgré une croissance qui a été pourtant plus impactée. Cela devrait être moins le cas en 2023, selon nos prévisions mais également celles du ministère de l'économie.
Le déficit devrait donc augmenter en 2023 avant de diminuer en 2024. Tout d'abord, les assiettes fiscales devraient être moins dynamiques et se coupler avec une hausse des charges d'intérêt, quand les années précédentes avaient permis de bénéficier d'une baisse de ces dernières. En revanche, l'État devrait profiter d'une baisse significative du montant global des mesures non pérennes entre 2022 et 2024.
Ainsi, la réduction des mesures budgétaires liées à la crise sanitaire est supérieure aux nouvelles mesures budgétaires prises pour faire face à la hausse de l'énergie. Or en 2022, les mesures prises pour amortir les effets de la crise sanitaire et ceux de la crise énergétique représentaient 2,8 % de points de PIB. Elles devraient désormais s'estomper progressivement. En résumé, il existe donc une réserve de baisse de déficit liée au caractère non pérenne de ces mesures.
Enfin, malgré un déficit élevé, la dette publique en points de PIB diminue. En effet, l'inflation permet de réduire plus facilement la dette : même avec un déficit compris entre 4,2 et 5 %, la dette publique passerait de 111,6 % du PIB en 2022 à 107,8 % en 2024.
J'ajoute cependant que plusieurs aléas pèsent sur nos hypothèses.
Tout d'abord, les incertitudes géopolitiques jouent sur l'activité et les différents chocs que nous avons enregistrés, y compris sur l'énergie. Dans notre prévision, nous supposons que la situation se normalisera progressivement et nous n'intégrons donc pas une nouvelle flambée des prix de l'énergie. Nous n'avons donc pas envisagé des difficultés d'approvisionnement sur les stocks de gaz cet hiver. Si tel était finalement le cas, les prix de l'énergie repartiraient à la hausse et entraîneraient donc un impact négatif sur l'inflation et la croissance.
De plus, si notre scénario intègre une remontée des taux, il n'envisage pas non plus un choc financier ou une crise bancaire. Cette remontée des taux devrait amputer l'activité d'un point de PIB sur 2023 et 2024, à travers les canaux classiques de transmission du crédit. Dans les pays émergents, la hausse des taux pourrait ainsi provoquer une sortie de capitaux. En résumé, ces risques financiers sont réels, mais nous ne les avons pas intégrés dans nos prévisions.
S'agissant de la France, nous sommes assez prudents sur les risques de faillite, c'est-à-dire que nous considérons un retour progressif sur des taux de faillite d'avant 2020, sans pour autant envisager un rattrapage des faibles niveaux de faillite enregistrés depuis 2020. En effet, en 2020, 2021 et 2022, le niveau des faillites était historiquement bas.
Comme je l'ai indiqué précédemment, le taux d'épargne est particulièrement élevé en France, notamment en comparaison avec les autres pays, qui sont revenus au niveau d'épargne d'avant crise, voire sont passés en dessous. Ces niveaux d'épargne sont déconnectés des sous-jacents habituels. Se pose également la question de la réserve d'épargne accumulée depuis maintenant quatre ans sur les comptes courants. Il est donc possible de se demander si une partie ne sera pas rognée par les tensions inflationnistes et si elle ne pourrait pas être utilisée à un certain moment pour soutenir la consommation.
Enfin, parmi les effets positifs potentiels, il faut mentionner l'amélioration de la compétitivité et des gains de part de marché. Les secteurs des matériels de transport et de l'aéronautique pourraient ainsi bénéficier d'un certain rattrapage. En outre, l'inflation française est en réalité restée moins élevée que celle de nos voisins européens, ce qui a créé des effets de gains de prix relatifs, puisque les prix augmentent moins vite en France que dans le reste de la zone euro. Nous avons moins pâti d'effets de second tour car le choc inflationniste a été moins élevé dans notre pays, ce qui pourrait potentiellement entraîner des effets à moyen terme.