Quand je suis arrivé en 2015, M. Gore-Coty venait de prendre le poste de general manager pour l'Europe de l'Ouest et ne s'occupait plus de la France. Au quotidien, j'échangeais surtout avec Thibaud Simphal, qui n'était cependant pas mon patron. Chez Uber, les équipes communication et affaires publiques étaient hiérarchiquement distinctes : nous ne répondions pas aux mêmes directeurs locaux. Ma ligne hiérarchique était directement rattachée aux États-Unis.
En 2012, David Plouffe, ancien conseiller spécial d'Obama a été recruté. Il a théorisé ce qu'Uber a fait politiquement : démocratiser le transport à la demande grâce à la technologie, en complément des transports en commun. Mais les objectifs des opérationnels étaient très élevés et très concrets - avoir plus de clients et plus de chauffeurs -, ce qui les a conduits à commettre des erreurs. Ils ont décidé de créer une hiérarchie différente et ont recruté Rachel Whetstone, ancienne responsable de la communication et des affaires publiques de Google. Elle a ensuite recruté dans chaque pays un directeur de la communication et un directeur des affaires publiques pour créer une équipe mondiale, dont le travail consistait à accompagner le développement opérationnel.
Par conséquent, les opérationnels ne nous voyaient pas forcément d'un bon œil : il y avait des combats quotidiens dans cette entreprise. J'avais parfois l'impression de me battre autant sinon plus en interne qu'en externe. Nous le faisions parce que nous voulions tirer cette entreprise dans le meilleur sens possible.
Selon moi, la question de la protection sociale n'était pas une option, mais simplement du bon sens. J'ai gagné cet arbitrage : Uber France a été un des premiers Uber dans le monde à établir un partenariat avec une assurance pour que tous les chauffeurs soient assurés. Au bout de deux mois chez Uber, je suis parti à San Francisco pour la « Ubersity ». À cette occasion, j'ai interrogé directement Travis Kalanick sur la question de la fiscalité. Je lui ai indiqué que les véhicules roulaient sur des routes construites par des États et qu'il était donc normal de contribuer un minimum aux impôts. Ce n'est parce que l'optimisation fiscale est légale qu'elle est logique et rationnelle, y compris au niveau du business. Il m'a répondu que ma vision était très française et que l'on devrait en parler autour d'une bouteille de vin. Mais on avait le droit de tenir de tels propos dans cette entreprise ; je n'ai pas été licencié. Lorsqu'ils m'ont recruté, ils l'ont fait en connaissance de cause : cela faisait des années que j'avais analysé la situation de l'entreprise, sur Twitter. Mais ce bras de fer permanent était à la fois passionnant et épuisant.