Intervention de Sarah Abdelnour

Réunion du mercredi 17 mai 2023 à 16h00
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Sarah Abdelnour, maîtresse de conférences en sociologie, spécialisée en sociologie du travail, à l'Institut de recherches interdisciplinaires en sciences sociales (IRISSO) :

L'ubérisation est un terme assez peu retenu par les chercheurs, qui n'a donné lieu à aucun vrai travail de conceptualisation. Le collectif de chercheurs auquel j'appartiens et au nom duquel je m'exprime utilise les termes de « capitalisme de plateforme » depuis qu'il a commencé à travailler sur les plateformes en 2016.

Ces termes mettent l'accent sur le système économique des plateformes. Ils possèdent aussi l'avantage de mettre à distance des termes élogieux tels qu'« économie collaborative » ou « économie du partage », assez éloignés de la réalité des plateformes qui nous intéressent.

Nous avons retenu dans ce capitalisme de plateforme, dans cette ubérisation, la dynamique d'externalisation du travail et l'évitement du salariat par le recours massif et structurel à des travailleurs formellement indépendants dont l'indépendance véritable reste néanmoins à prouver.

C'est d'ailleurs cet élément qui nous intéressait, l'externalisation massive du travail au prétexte de l'innovation technologique.

Cet évitement du salariat peut s'effectuer en recourant au travail indépendant, comme le font de manière importante, mais non exclusive, les plateformes de VTC ou de livraison de repas. Il peut aussi s'effectuer en recourant à des travailleurs sans statut comme dans le cas du micro-travail.

Il en découle un mélange de « désalarisation » et de subordination dans l'activité, accompagnée d'une indépendance parfois fictive. La subordination s'apprécie à partir de trois critères qui sont les directives qui peuvent être données, le contrôle qui peut être exercé et les sanctions qui peuvent exister. D'autres critères tels que la dépendance économique ou l'incapacité de se former une clientèle ou de fixer ses prix peuvent aussi être retenus.

Le fonctionnement des plateformes révèle que ce sont des outils de subordination. Elles reposent sur un système d'incitations et de sanctions qui vise à remettre de l'organisation pour contrer les effets délétères que pourrait avoir pour les plateformes une vraie indépendance des travailleurs. Les plateformes ont en effet besoin que les travailleurs soient présents massivement et sur des durées longues afin de fonctionner comme un service organisé.

J'ajouterai que pour avoir travaillé depuis 2008-2009 sur les autoentrepreneurs, les plateformes et ces derniers aboutissent à des résultats assez conformes au projet politique qui a permis l'émergence de ces dispositifs. Toute la dynamique de salariat déguisé associée à l'autoentreprenariat est compatible avec la logique des différents acteurs politiques qui l'ont promu.

Ainsi par exemple, Hervé Novelli a fait partie des acteurs importants du dispositif de l'autoentrepreneur et s'est ensuite impliqué dans l'ouverture à la concurrence du secteur des taxis. La présence formelle d'indépendants dans les entreprises ou les services organisés est un sujet qui l'intéresse. Je ne pense donc pas qu'il s'agisse véritablement d'un détournement de ces dispositifs. Ils portent en eux ces possibilités. La création du régime de l'autoentrepreneur suivie de l'ouverture à la concurrence du secteur des taxis montre l'existence d'un projet politique pour faire émerger ce secteur avec ce type de dispositions.

Quant à savoir si ces travailleurs souhaitent ou non être salariés, nous avons mené une enquête avec Sophie Bernard auprès de chauffeurs de VTC lors de mobilisations. Il ressort qu'ils demandent des tarifs régulés, de la protection sociale et des droits. Ils ont été nombreux à souligner que l'ubérisation était une forme de cancer pour la société, très dangereuse pour les acquis sociaux. Leurs mobilisations ressemblaient finalement à des mobilisations de salariés qui se battent pour des droits et de la protection. Nous avions d'ailleurs été étonnées de cette demande.

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