La mission s'inscrivait dans un contexte de forte tension. Des taxis venus de toute la France manifestaient à Paris et voulaient bloquer Rungis. Des discussions avaient été engagées avec les taxis mais n'aboutissaient pas et parallèlement, les plateformes poursuivaient leur combat.
J'ai donc été appelé le 26 janvier 2016 pour mener cette mission.
Ma première initiative a été de prendre contact avec les différentes organisations alors que les taxis ne souhaitaient ni un nouveau médiateur ni une nouvelle loi. Le dialogue a néanmoins pu être rétabli en 48 heures et j'ai demandé au Premier ministre de recevoir les organisations représentatives du dialogue social et les collectifs de taxis.
La réunion a eu lieu Porte Maillot. Elle a été tendue mais nous avons pu mettre en place un plan d'urgence pour agir.
Deux éléments ont déclenché cette crise : la question des formations et celle des véhicules sous statut « LOTI », avec la crainte d'une concurrence déloyale féroce dans les rues.
Je rappelle que de nombreux chauffeurs exerçaient de manière illégale cette activité de T3P (Transports publics particuliers de personnes) puisque la loi LOTI (Loi d'orientation des transports intérieurs) était réservée à des transports collectifs (deux personnes et plus). Uber et les autres plateformes ont sciemment contourné la loi et organisé ce contournement. Cela posait des problèmes d'ordre public et fonctionnait avec des systèmes de sous-traitance en chaîne, si bien que les chauffeurs parlaient des capacitaires travaillant avec Uber comme étant des esclavagistes, pour vous donner le ton de la dureté sociale à l'époque.
Trois ministères étaient mobilisés : Bercy, qui suivait de près les VTC, le ministère de l'Intérieur, qui suivait les taxis, et le ministère des Transports, qui suivait plutôt les LOTI. J'ai heureusement pu obtenir qu'un seul ministère les représente tous, en l'occurrence le ministère des Transports.
Il était difficile d'identifier les acteurs. En effet, Uber a stratégiquement poussé à la création de l'AMT (Alternative mobilité transport), qui réunissait des capacitaires LOTI et qui se présentait comme représentant les chauffeurs. Or ce n'était pas le cas.
L'Union des acteurs de la mobilité (UNAM) était une autre organisation dans laquelle se trouvait Uber tandis que Voitures Noires était le prestataire d'Uber et organisait dans le même temps les examens pour exercer en tant que VTC. L'UNAM et l'AMT envoyaient des courriers aux pouvoirs publics et formulaient des demandes favorables à Uber.
Tout cela a complexifié l'identification des acteurs, d'autant plus qu'il y avait plus d'une vingtaine d'organisations de taxis, Force ouvrière dans le LOTI et des organisations naissantes (UNSA et CFDT notamment) dans le VTC. De plus, alors que les plateformes parlaient d'une seule voix, elles ont fait le choix stratégique de se séparer avec d'un côté Uber et, de l'autre, les start-up françaises qui ne voulaient plus être assimilées à Uber.
Par conséquent, j'organisais toutes les semaines avec des représentants des ministères une réunion avec les organisations de taxis, puis une autre le même jour avec les représentants des VTC, puis avec ceux des LOTI, puis avec les plateformes.
Cela a permis d'avancer malgré les outrances et les oppositions d'Uber, qui n'a pas souhaité participer à la résolution du problème. Si Uber – et les autres plateformes d'ailleurs – avait été plus coopératif, ne serait-ce que pour me donner le nombre de chauffeurs partenaires, nous aurions pu imaginer des solutions ne passant pas forcément par loi pour rétablir l'ordre public.