Intervention de Antonio A. Casilli

Réunion du mercredi 17 mai 2023 à 14h00
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Antonio A. Casilli, professeur de sociologie :

Avant de répondre aux deux questions, j'aimerais souligner la différence de perspective entre M. Mallard et moi : nous adoptons les mêmes catégories conceptuelles, mais il les décline au futur quand je considère avant tout Uber comme un phénomène historique. En effet, l'épopée d'Uber est contemporaine du développement de l'économie des données des vingt dernières années.

Puisque j'ai juré au début de l'audition de dire toute la vérité, je dois indiquer que nous ignorons combien Uber gagne précisément avec ses données, et même où ces dernières sont stockées et traitées. Nous avons des indices, fondés sur des analogies avec des estimations portant sur d'autres entreprises et plateformes. Selon l' Oxford internet institute, le marché du travail de la donnée – constitué de tâches effectuées en ligne pour des plateformes sur lesquelles, comme le fait Amazon mechanical turk, on réalise de l'étiquetage, du filtrage et du tri de données – emploie 165 millions de personnes dans le monde. Ce ne sont pas toutes des micro-travailleurs payés à la pièce : certaines peuvent effectuer, en free-lance, un travail plus spécialisé. Néanmoins, la majorité des tâches effectuées sont faiblement rémunérées.

Bien qu'elle ne soit pas technologiquement très performante, la plateforme Uber est une application qui demande et qui capte beaucoup de données, résultant de l'inscription, du paiement, de la géolocalisation. La vigilance politique et citoyenne s'est focalisée sur le fait qu'Uber traitait mal ses chauffeurs et livreurs, mais elle ne s'est pas assez portée sur l'utilisation par Uber des données des usagers et des chauffeurs qu'elle recueille. Uber ne s'est pas retrouvée au cœur d'un scandale, comme Facebook avec Cambridge analytica, alors qu'il y aurait à mon sens de quoi enquêter.

Quant à la transparence, le processus d'élaboration de l'intelligence artificielle est souvent présenté comme trop compliqué pour pouvoir être exposé aux profanes. Les personnes qui produisent les algorithmes ont intérêt à véhiculer cette idée. Toutefois, la transparence ne concerne pas que le code – ce dernier, même ouvert, peut rester une boîte noire – mais peut aussi se traduire par la vigilance que l'on exerce sur la sous-traitance du travail, visible comme invisible. La transparence pourrait impliquer pour Uber un devoir d'expliquer son utilisation de nos données, les lieux où elle les envoie, ainsi que la rémunération et les conditions de travail des personnes qui les traitent pour faire fonctionner son algorithme de tarification dynamique et pour préparer ses véhicules autonomes d'intelligence artificielle. Nous ignorons tous ces éléments, qui devraient être au centre des interrogations que le régulateur soumet à la plateforme Uber.

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