Intervention de Antonio A. Casilli

Réunion du mercredi 17 mai 2023 à 14h00
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Antonio A. Casilli, professeur de sociologie :

Je n'anticipe pas un clash avec M. Mallard : nous devrions trouver un accord au moins sur certaines définitions de base. Pour moi, l'intérêt de cet échange est de souligner l'importance d'Uber en tant qu'entreprise qui produit des services de traitement de la donnée à des fins d'automatisation.

En effet, au-delà du phénomène culturel, social et politique associé à son positionnement dans le secteur des mobilités puis de la livraison, Uber collecte énormément de données – de chauffeurs, de passagers – qui sont utilisées à des fins de monétisation, l'entreprise en faisant commerce pour les apparier avec celles d'autres fournisseurs d'informations, par exemple dans un but publicitaire, mais aussi et surtout à des fins d'automatisation. Le rôle que le programme de création d'un type particulier d'intelligence artificielle, c'est-à-dire les véhicules autonomes, a joué dans le développement de l'entreprise Uber, avec ses hauts et ses bas, est crucial. Uber n'est pas seulement une entreprise de transport, elle produit des services d'automatisation.

Il y a longtemps, Uber a lancé un projet de véhicules autonomes, initialement mené en interne, au sein d'une division appelée ATG (Advanced technologies group), puis externalisé en 2020 pour être confié à une start-up née d'un partenariat avec Amazon. Ce partenariat n'est pas le fruit du hasard ni, comme la presse l'a souvent présenté, une simple conséquence de critiques formulées à la suite d'accidents mortels causés par les véhicules autonomes d'Uber ou encore d'échecs technologiques – au sens où les véhicules étaient beaucoup moins autonomes que l'entreprise ne le déclarait. La fusion entre la masse de données collectées par Uber et l'expertise d'Amazon dans le traitement de ces données, surtout à l'aide de ceux que j'appelle les travailleurs du clic – des personnes « micropayées » pour entraîner des intelligences artificielles – est le nerf de la guerre.

Peu après le lancement de ChatGPT, une intelligence artificielle présentée comme une pure magie algorithmique, on a découvert qu'en réalité elle reposait sur des milliers de personnes au Kenya, aux Philippines ou en Turquie qui, à longueur de journée, l'entraînent et améliorent les données.

À mon sens, le législateur doit aussi se concentrer sur cette partie non émergée – le travail de la donnée nécessaire au fonctionnement d'une plateforme comme Uber – même si la partie visible – le combat des chauffeurs et des livreurs pour leurs droits – pose déjà son lot de problèmes.

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