Chers collègues, le rapport que je m'apprête à vous présenter porte sur le projet de loi autorisant la ratification du protocole au Traité de l'Atlantique Nord sur l'accession de la République de Finlande et la ratification du protocole au Traité de l'Atlantique Nord sur l'accession du Royaume de Suède.
Depuis le 24 février 2022, l'Europe est à nouveau confrontée à la guerre. Si, depuis la chute de l'URSS, en 1991, plusieurs conflits ont éclaté sur notre continent, notamment en Yougoslavie, c'est la première fois, depuis la Deuxième guerre mondiale, que deux États souverains sont impliqués, l'un envahissant l'autre dans l'objectif de l'annexer, et utilisant à cette fin toutes les armes dont il dispose sur terre, sur mer et dans les airs, incluant la menace de recourir à l'arme nucléaire.
La guerre en Ukraine est un nouvel exemple d'une guerre de haute intensité, avec son cortège de destructions et de morts, dont on pensait qu'il serait à jamais un mauvais souvenir en Europe. Face à cette guerre, face à la menace existentielle que représentent la Russie et son chantage à l'utilisation de la bombe atomique, l'OTAN apparaît comme le cadre fondamental de la défense territoriale de l'Europe.
C'est vers elle que se sont tournés les pays d'Europe de l'Est, qui sont en première ligne face à la Russie. C'est elle qui a déployé soldats et équipements dans les Pays baltes, en Pologne, en Bulgarie, en Roumanie, en Slovaquie et en Hongrie. En tant que membre de l'OTAN, la France contribue à cet effort de dissuasion, par le déploiement de 300 hommes en Estonie, dans le cadre de l'opération Lynx, et de 500 hommes en Roumanie, dans le cadre de l'opération Aigle.
Si les pays membres de l'OTAN se sont tournés vers elle pour dissuader la Russie, c'est également vers l'OTAN que se tournent deux pays européens historiquement neutres, la Suède et la Finlande. La démonstration du mépris, par la Russie, de la souveraineté de son voisin et des règles les mieux établies du droit international, ainsi que la haute intensité du conflit et l'ampleur des destructions et des souffrances humaines qu'il a provoquées, ont constitué un électrochoc dans la classe politique, les médias et l'opinion publique suédois et finlandais, ce qui a radicalement et brutalement changé les termes du débat.
Tandis que l'adhésion à l'OTAN, lorsqu'elle était débattue dans ces deux pays, suscitait une forte opposition et divisait peuples et partis politiques, l'invasion de l'Ukraine a convaincu une majorité de Finlandais et de Suédois de la soutenir. Ainsi, 76 % des Finlandais se déclarent favorables à une adhésion à l'Alliance atlantique, contre 20 % avant le conflit. Il en va de même en Suède : 57 % des Suédois soutiennent l'adhésion de leur pays à l'OTAN, alors qu'une majorité s'y opposait auparavant.
Au niveau politique, la crainte que la Russie, après l'Ukraine, ne s'en prenne militairement à un autre pays voisin, a fait de l'adhésion à l'OTAN une priorité absolue des gouvernements finlandais et suédois, soutenus par leur parlement respectif, qui se sont massivement prononcés en faveur du dépôt d'une demande d'adhésion. Rappelons que la Finlande partage environ 1 400 kilomètres de frontière avec la Russie.
Cette demande a été officiellement déposée le 18 mai. Les protocoles d'accession ont été signés le 5 juillet dernier. La ratification de ces protocoles est l'objet du présent projet de loi.
Ces éléments de contexte étant rappelés, j'articulerai mon propos autour de quatre axes : la procédure de ratification et les pressions de la Turquie ; le bénéfice pour l'OTAN de l'adhésion de ces deux pays ; les réactions russes ; les conséquences de cette adhésion pour l'Europe de la défense.
Toute adhésion d'un État au Traité de l'Atlantique Nord exige l'unanimité des membres de l'OTAN, qui sont trente à l'heure actuelle, chacun disposant donc d'un droit de veto. Tous ont signé les deux protocoles d'accession le 5 juillet dernier. Il faut à présent que chacun les ratifie selon sa procédure constitutionnelle interne, pour que la Suède et la Finlande soient membres à part entière de l'OTAN et bénéficient à ce titre de la protection offerte par l'article 5 du Traité de l'Atlantique Nord. Pour rappel, cet article stipule qu'une attaque contre l'une des parties au Traité « sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties », et qu'en conséquence « chacune d'elles […] assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d'accord avec les autres parties, telle action qu'elle jugera nécessaire, y compris l'emploi de la force armée […] ».
Or, l'un des États membres de l'OTAN a vu dans cette demande d'adhésion l'occasion de faire avancer son propre agenda. La Turquie reproche en effet de longue date à la Suède et à la Finlande d'être des terres d'accueil et de refuser l'extradition de personnes qu'elle qualifie de terroristes, appartenant à des organisations kurdes, telles que le PKK, ou au Fetö du prédicateur Fethullah Gülen, accusé d'avoir fomenté la tentative de coup d'État de 2016. Par ailleurs, ces deux pays ont imposé un embargo sur les exportations d'armes à destination de la Turquie en raison de l'attaque par celle-ci des milices kurdes syriennes.
La Turquie a donc fait savoir qu'elle refusait de signer les protocoles d'accession. Les négociations tripartites subséquentes ont abouti, le 28 juin, à plusieurs engagements de la Suède et de la Finlande à l'égard de la Turquie, notamment la levée des restrictions sur les ventes d'armes et d'équipements militaires, le traitement des demandes d'extradition de personnes soupçonnées de terrorisme de manière rapide et approfondie, en tenant compte des informations fournis par la Turquie, et l'absence de soutien aux Kurdes syriens de l'YPG/PYD, c'est-à-dire les milices kurdes syriennes.
Ces engagements ont soulevé de nombreuses inquiétudes parmi les défenseurs des droits de l'Homme, qui craignent ouvertement que l'extradition vers la Turquie de militants kurdes ou gülenistes ne les expose à une violation de leurs droits.
En outre, une fois cet accord conclu, la Turquie a maintenu la pression sur la Suède et la Finlande en présentant immédiatement ses exigences, sous la forme d'une liste de soixante-treize personnes dont elle demande l'extradition pour fait de terrorisme. Toutefois, le protocole d'accord tripartite prévoit l'instauration d'un mécanisme de dialogue et stipule que toute extradition doit être conforme à la Convention européenne d'extradition.
J'en viens au bénéfice pour l'OTAN de l'adhésion de la Suède et de la Finlande. Bien que neutres, ces deux pays ont des capacités militaires qui, sans être considérables, ne sont pas négligeables. Sans entrer dans les détails qui figureront dans le rapport, je rappelle que la Suède dispose d'une armée professionnelle d'environ 14 000 membres, et la Finlande d'une armée de 12 000 membres. Cet effectif est en outre grandement renforcé par les réservistes, d'autant que ces deux pays ont conservé – pour la Finlande – ou rétabli – pour la Suède – le service militaire obligatoire. Ainsi, la Finlande, qui ne compte que 5,5 millions d'habitants, est en mesure d'opposer, en cas d'agression armée, 900 000 hommes ayant reçu une formation militaire.
Les armées finlandaise et suédoise disposent en outre d'armements modernes, tels que les avions de combat JAS 39 Gripen et les chars lourds Leopard 2. En outre, l'armée suédoise dispose d'une base industrielle et technologique de défense (BITD) compétitive et innovante, dont le chef de file est l'entreprise de défense Saab.
Pour faire face à la menace russe, ces deux pays ont décidé d'augmenter considérablement leurs budgets de défense respectifs. En 2020, une hausse de 40 % du budget militaire suédois a été décidée, en vue de le porter à 8,8 milliards d'euros en 2025. Au lendemain du déclenchement de la guerre en Ukraine, le gouvernement suédois a fait part de sa volonté de porter l'effort à 2 % du PIB, soit plus de 10 milliards d'euros par an. Quant à la Finlande, dont le budget de défense a atteint 5,1 milliards d'euros en 2022, soit 2 % de son PIB, elle a récemment décidé de l'augmenter de 40 %, pour le porter à plus de 7 milliards d'euros par an en 2026.
À mes yeux, le principal apport de l'adhésion de la Suède et de la Finlande à l'OTAN est, non pas capacitaire, mais stratégique et politique. Elle constitue un apport de profondeur stratégique, qui permet de renforcer la posture de défense et de dissuasion du flanc oriental de l'OTAN, en facilitant notamment la protection des États baltes en cas d'attaque de la Russie. Par ailleurs, elle illustre la résurrection politique de l'OTAN, après une période de tension sous la présidence de Donald Trump qui, concentré sur la rivalité sino-américaine, a tenu des propos ambigus sur l'automaticité du déclenchement de l'article 5 en cas d'agression armée contre un membre de l'Alliance. Le fait que deux pays historiquement neutres souhaitent rejoindre les trente membres de l'OTAN symbolise l'unité et l'attractivité retrouvée de cette organisation.
J'en viens à la réaction russe. La demande d'adhésion à l'OTAN de la Suède et de la Finlande a logiquement fait réagir la Russie, mais d'une manière relativement mesurée. Le 29 juin, le président russe a déclaré : « Si la Finlande et la Suède le souhaitent, qu'elles y adhèrent. C'est leur affaire, elles peuvent adhérer où elles veulent ». Mais « en cas de déploiement de contingents militaires et d'infrastructures militaires là-bas, nous serons obligés de répondre de manière symétrique et de créer les mêmes menaces pour les territoires d'où émanent les menaces pour nous ». Autrement dit, l'adhésion à l'OTAN de ces deux pays en tant que telle n'est pas une ligne rouge, mais l'utilisation par celle-ci de leur territoire contre la Russie – notamment le déploiement de groupements tactiques – le serait.
J'en viens aux conséquences de cet élargissement de l'OTAN sur l'Europe de la défense. Le renforcement de l'OTAN et de ses capacités est parfois présenté comme un affaiblissement de l'Europe de la défense, à tout le moins comme un obstacle à son développement. Or, l'Europe de la défense et l'OTAN partagent l'objectif de contribuer à la sécurité et à la défense du territoire européen. Cette congruence entre les deux organisations – UE et OTAN – est d'ailleurs rappelée dans les textes européens et dans le dernier concept stratégique publié par l'OTAN, qui rappelle que l'UE est pour l'OTAN « un partenaire incontournable et sans équivalent », et que « les deux organisations jouent des rôles complémentaires, cohérents et se renforçant mutuellement ».
Contrairement à l'OTAN, dont les moyens sont exclusivement militaires, l'UE fait face à la guerre en Ukraine avec tous les moyens dont elle dispose. Elle prend des mesures dans les domaines politique, économique, financier ou énergétique. De ce point de vue, l'action de l'OTAN et celle de l'UE se complètent et concourent à la sécurité globale de l'Europe. Les deux organisations se renforcent mutuellement. L'adhésion à l'OTAN de la Suède et de la Finlande renforcera le pilier européen de l'organisation, en augmentant la part de ses membres, de ses capacités et de son budget provenant de l'UE.
La meilleure preuve qu'il est vain d'opposer la défense européenne et l'OTAN est le cas du Danemark. Membre de l'OTAN depuis sa création en 1949, ce pays s'est toujours tenu à l'écart de l'Europe de la défense, dès la conclusion du traité de Maastricht en 1992, bénéficiant à ce titre d'un opt-out. Or, face à la menace russe, le gouvernement danois a décidé de soumettre à référendum le maintien de cette exception. Le 1er juin, le peuple danois a voté à 67 % pour sa suppression, permettant au Danemark de participer pleinement à l'Europe de la défense.
La ratification des protocoles d'accession est une urgence. J'émets donc un avis favorable à l'adoption du projet de loi.