Durant ma participation aux réunions de la COSAC, j'ai constaté que les travaux manquaient de consistance. Le plus souvent, les débats sont une suite de brèves interventions qui restent sans suites et les questions posées sans réponses. Or, cette conférence peut être un lieu formidable de débat car les parlementaires nationaux sont les chaînons manquants dans l'intégration européenne. Nous sommes continuellement en contact avec les électeurs ainsi qu'avec les élus locaux dans nos circonscriptions. Par conséquent, nous avons le devoir de porter le débat sur les questions européennes et d'établir un contact étroit avec nos homologues des 27 États membres. D'où l'idée de mettre en œuvre une disposition jamais activée du règlement de la COSAC ouvrant la possibilité à cette dernière d'instituer des groupes de travail. Ceux-ci visent deux objectifs principaux : donner plus de consistance et de visibilité aux travaux de la COSAC en offrant l'occasion à plusieurs de ses membres de travailler ensemble, dans la durée, sur un sujet lié aux activités de l'Union pour identifier les points d'accord possibles et refléter la diversité des points de vue sur ce sujet et de favoriser une meilleure appréhension des différences d'approche entre parlementaires nationaux des États membres sur des sujets européens précis.
Leur mise en œuvre n'a pas été facile mais nous avons choisi, avec nos collègues du Sénat français, deux thèmes : la place des valeurs au cœur du sentiment d'appartenance à l'Union européenne et le rôle des parlements nationaux dans l'Union. Nous voulions, à travers le premier thème, approcher la question de l'État de droit qui est un sujet très sensible. Nous avions envie de découvrir et de comprendre quelles sont les valeurs sur lesquelles reposent nos sociétés européennes. Puis, le second sujet visait à mieux comprendre quel est notre rôle et comment pouvons-nous mieux participer au processus décisionnel.
La création de ces deux groupes de travail a nécessité un long travail de persuasion auprès des délégations des autres parlements. Nous aurions voulu entamer les travaux des groupes au 2e semestre 2021 afin d'avoir plus de temps. Mais la présidence slovène s'y est opposée, officiellement pour ne pas créer d'interférences avec la Conférence sur l'avenir de l'Europe, officieusement parce que chaque présidence – surtout celle d'un petit pays – est très jalouse de ne pas se voir imposés des sujets à son ordre du jour, officieusement peut-être aussi parce que la présidence slovène ne souhaitait pas que les parlementaires nationaux s'intéressent trop à la problématique de l'État de droit. Toujours est-il que le lancement de ces deux groupes de travail a pu être décidé par consensus – sans vote – lors de la COSAC des présidents en janvier 2022. La conduite des travaux a été une réussite technique. Chacun de ces groupes de travail réunissait une quarantaine de parlementaires nationaux. Je présidais celui sur les valeurs, Jean-François Rapin celui sur le rôle des parlements nationaux. Nous avons organisé deux réunions par mois en visioconférence pour des auditions d'experts et des échanges. L'adoption a eu lieu en juin, lors d'une réunion en présentiel, des deux rapports par consensus. Le Parlement européen a préféré ne pas se rallier au consensus tout en n'y faisant pas obstacle et raison de son hostilité aux propositions de renforcement du rôle des parlements nationaux.
Les deux rapports ne sont pas de la même nature : celui sur les parlements nationaux contient de multiples propositions très détaillées pour un renforcement du rôle collectif des parlements nationaux et celui sur les valeurs européennes compte moins de propositions car le sujet s'y prête moins et vaut surtout par sa réflexion sur les notions de valeurs, de démocratie et d'État de droit. J'ai remarqué au cours des discussions qu'il y avait une confusion entre la démocratie et l'État de droit. Il n'est pas possible d'avoir un système d'état de droit au sein d'un régime non-démocratique mais il est possible d'avoir un système démocratique sans état de droit. Il y a une proposition à laquelle je tiens personnellement beaucoup : le fait que chaque commission des affaires européennes désigne un rapporteur pour suivre la question de l'état de droit et que ces rapporteurs se réunissent une fois par an en tant que groupe de travail permanent de la COSAC. Ceci est crucial pour le développement d'une culture de l'état de droit dans les États membres.
Toutefois, j'ai quelques regrets également car la participation aux réunions du groupe de travail a diminué au fur et à mesure des réunions. Cette faible assiduité a été constatée également dans l'autre groupe de travail. De plus, il n'y a pas eu de vrai débat entre les membres du groupe de travail sur le sens de la notion d'État de droit et la manière d'en assurer le respect : les parlementaires polonais et hongrois sont restés en retrait préférant fuir le débat. Il est intéressant de souligner la question des médias, qui ne sont pas inclus dans la notion de l'État de droit telle que définie par le Conseil de l'Europe. Nous pouvons pourtant nous interroger sur l'importance des médias au sein des régimes démocratiques.
Pour l'avenir, il faut faire en sorte que ces rapports servent à quelque chose : qu'ils puissent alimenter des contributions adoptées par la COSAC ; qu'ils puissent permettre d'introduire des débats à la COSAC et qu'ils débouchent sur des réalisations concrètes.