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Intervention de le général Pierre Schill

Réunion du mercredi 20 juillet 2022 à 11h10
Commission de la défense nationale et des forces armées

le général Pierre Schill :

Je répondrai de façon globale aux nombreuses questions portant sur la réserve militaire.

L'armée de Terre compte 24 000 réservistes. Mon sentiment à ce sujet est que nous n'avons pas, dans l'armée de Terre et dans notre pays de façon générale, clairement tranché l'importante question de savoir si la réserve est l'un des moyens dont dispose l'armée de Terre pour accomplir les missions qui lui sont attribuées, ou si elle doit remplir une mission qui lui est propre.

Lui assigner une mission propre est une réminiscence de la réserve et de la mobilisation d'antan, destinées à affronter une menace pesant directement sur notre territoire. Dans cette optique, on tend à considérer que les diverses composantes de la réserve doivent être employées sur le territoire national, plutôt pour venir au secours des populations.

Au sein même de l'armée de Terre, on considère qu'en prévision des Jeux olympiques, nous devons procéder dès à présent à la montée en gamme et à la mobilisation de nos réserves pour cet événement important qui se tiendra de mi-juin à mi-août 2024. Sur ce point, je suis d'accord. Toutefois, lorsqu'on en déduit immédiatement que les réservistes assureront la sécurité des rues de Paris aux abords des sites de compétition, c'est en vertu de ce raisonnement qui veut que toute mission sur le territoire national doit échoir aux réservistes.

Je défends une autre vision de l'emploi de nos 24000 réservistes. L'armée de Terre a des ressources, composées des hommes et des femmes d'active, ainsi que des hommes et des femmes de réserve. Avec ces ressources, elle accomplit ses missions. S'il se trouve que, dans l'environnement des Jeux olympiques de 2024, la 3e compagnie d'active du 3e régiment de parachutistes d'infanterie de marine (RPIMa) est déployée avec des réservistes en son sein parce que le chef de corps en a décidé ainsi, tant mieux ! Ce modèle est celui d'une réserve pleinement intégrée.

Avant de déterminer comment mieux employer les 24 000 réservistes et comment les intégrer dans l'histoire de la professionnalisation des armées, je tiens à trancher, au sein de l'armée de Terre, la question de savoir si la réserve est une armée à part, chargée de missions à part, ou si elle est une partie de l'armée de Terre exécutant les mêmes missions que les autres. Il incombe aux divers échelons de responsabilité, notamment à l'échelon régimentaire, d'en décider.

Cet aspect peut aller loin dans l'organisation des unités. Pourquoi créer des compagnies de réserve qu'on n'emploiera pas ou plus difficilement ? Pour former un réserviste, il faut trente jours. Pour former un groupe de combat de réserve, il faut y ajouter dix jours d'entraînement collectif. Il en faut dix supplémentaires pour une section de réserve, qui compte trois groupes de combat, et ainsi de suite. Autrement dit, pour déployer une compagnie de réserve sur le territoire national dans le cadre de la mission Sentinelle, il faut investir, pour m'en tenir à l'aspect utilitaire de la question, trente jours de formation par militaire et de nombreux autres pour chaque échelon. Tout cela pour qu'une telle compagnie ne soit disponible qu'une quinzaine de jours par an, compte tenu de la possibilité de ne mobiliser chaque réserviste que trente jours par an. Par conséquent, la volonté d'augmenter l'activité des unités de réserve induit une déperdition des activités de la réserve du point de vue opérationnel. Ce choix serait une première façon de trancher la question de la réserve de façon plus nette qu'auparavant.

Une autre façon d'y répondre serait de considérer que plutôt que de cantonner les unités de réserve dans un métier de base de l'armée de Terre – l'infanterie légère, pour faire très court –, on pourrait faire le choix de les spécialiser dans le métier de chaque régiment, par exemple en affectant un escadron de reconnaissance à chaque régiment de cavalerie ou une unité de franchissement à chaque régiment du génie.

Une troisième méthode d'évolution réside dans les leviers réglementaires dont nous disposons, mais, compte tenu du profil des jeunes qui nous rejoignent, obliger les employeurs à donner davantage de jours de disponibilité à leurs salariés pour la réserve a peu de chances de donner des effets concrets.

Quoi qu'il en soit, le Président de la République a émis le souhait que, dans le cadre de la prochaine LPM, un effort particulier soit consenti pour la réserve, en vue du doublement de son effectif. Je considère que le modèle de réserve qui est celui de l'armée de Terre aujourd'hui est le bon pour un effectif de 24 000 militaires. Nous pouvons recruter 5 000 personnes supplémentaires sans changer de modèle. En revanche, pour en recruter 24 000 supplémentaires et doubler l'effectif nous devrons inventer un autre modèle, une autre façon de faire, ce qui supposera de recourir à des leviers extérieurs.

Parmi ceux-ci, le levier culturel est essentiel. L'image de la réserve dans notre pays dépend notamment de l'avantage qu'elle peut offrir, par exemple en matière d'inscription à l'université, et de son inscription dans un mouvement général, aux côtés d'autres formes de service civique – dès lors que tout jeune choisit un engagement, pourquoi pas celui-là ? Il faut donc favoriser une évolution de l'environnement de la réserve, et probablement une évolution légale et réglementaire, avec toute la circonspection nécessaire face à l'efficacité supposée d'un levier basé sur la seule obligation.

Il faut aussi favoriser une évolution de l'organisation de la réserve. Il m'incombe, en tant que CEMAT, de la proposer. Sans ressources dédiées, je ferai avec, mais je souhaite que la montée de la réserve ne se fasse pas au détriment de l'active : d'un point de vue opérationnel, je préfère l'efficacité d'un soldat d'active à celle d'un réserviste.

Outre sa fonction opérationnelle, que je mets en avant, la réserve sert aussi à renforcer le lien armée-Nation, ce qui soulève une question de géographie et une autre de typologie. Du point de vue de l'efficacité militaire et de la simplicité, le levier le plus rationnel pour doubler l'effectif de la réserve, serait d'employer la réserve opérationnelle de deuxième niveau (RO2) dans le cadre de l'obligation de service de cinq ans applicable à quiconque quitte les armées, soit 15 000 personnes chaque année pour l'armée de Terre.

Ce levier a cependant peu d'effet du point de vue du lien armée-Nation. Pour renforcer celui-ci, il faut recruter des jeunes qui ne souhaitent pas consacrer leur vie à la défense ni devenir soldats professionnels. En outre, ces jeunes soldats à temps partiel présentent des avantages du point de vue de la résilience de la Nation. On peut supposer que, ayant accompli dans leur vie une démarche d'engagement, ils se proposeront pour apporter leur aide dans une situation difficile ou catastrophique. Par ailleurs, les recruter permet une forme de brassage, notamment géographique.

J'ai donc proposé au CEMA que l'armée de Terre recrute 10 000 jeunes par an dans le cadre d'un service de six mois, qui servirait d'instrument pour augmenter les effectifs de la réserve. Comme nous ne pouvons pas le faire à organisation inchangée, je lui proposerai d'implanter de nouveaux bataillons dans de nouveaux espaces, que nous pourrions appeler « Volontaires du territoire national ».

Ce pourrait être à proximité d'agglomérations importantes dans un désert militaire, mais aussi un bassin de population où se trouvent des jeunes susceptibles d'être intéressés par un service de six mois ou par un engagement dans la réserve pas trop loin de chez eux. Faire appel à eux permettrait aussi de territorialiser une partie de l'armée de Terre. Ces unités pourraient, en effet, être des unités territoriales, placées sous le commandement de l'officier général chargé de la zone de défense correspondante.

La mise en œuvre de cette proposition dépend du niveau général de ressources dont nous disposerons. J'ai chiffré son coût : il faut financer des infrastructures, peut-être en lien avec les collectivités territoriales, qui doivent en tirer un bénéfice localement, et assumer un coût de fonctionnement qui n'est pas négligeable, dès lors que 2 000 cadres et gradés d'active sont nécessaires. Ce projet pourrait aussi constituer une contribution de l'armée de Terre à la phase trois du service national universel (SNU) pour, in fine, intéresser tous les jeunes. En plus des 35 000 jeunes que nous touchons déjà chaque année, nous atteindrions une proportion non négligeable de la jeunesse de notre pays.

S'agissant de l'investissement de l'État dans l'armée de Terre, j'aimerais évoquer le plan « famille », et plus généralement nos liens avec les territoires.

Une expression venue de l'armée de Terre a fait florès, au point d'acquérir une véritable signification dans la LPM 2019-2025 : « à hauteur d'homme ». Certes, nous devons mener le durcissement de l'armée de Terre et il est impératif, pour les années à venir, de réaliser une montée en gamme capacitaire, de nous entraîner plus durement et de modifier notre organisation, mais le cœur de l'affaire, ce sont les hommes. Nous constatons en Ukraine que la force morale, l'adhésion des soldats à la cause qu'ils défendent et le soutien réciproque de l'armée et de la Nation ne sont pas uniquement des questions théoriques. Il s'agit de dispositions primordiales, qui de surcroît ont un effet opérationnel.

En prévoyant chaque année une augmentation des ressources, à hauteur de 1,7 milliard d'euros lors des premières années de son exécution, puis de 3 milliards, la LPM 2019-2025 a d'emblée privilégié l'investissement permettant de commander les grands équipements, avant d'introduire le ciment pour les lier, notamment à partir de 2023, en vue de leur donner de réelles capacités. Il s'agit, par exemple, du brouilleur anti-mines et du tourelleau du Griffon, ainsi que des équipements individuels du soldat.

En matière de préparation opérationnelle, nous avons défini une norme d'entraînement. Cette armée française que nous voulons bâtir, qui est parmi les plus grandes d'Europe, quel niveau d'entraînement doit-elle atteindre, en temps d'activité par an ? À l'heure actuelle, l'armée de Terre réalise 64 % de la norme d'entraînement fixée par la LPM 2019-2025, contre 60° % l'an dernier. Nous augmenterons ce niveau d'activité et de préparation opérationnelle dans les années à venir.

Ce qui nourrit la foi dans leur métier et la volonté de servir des soldats de nos unités, c'est le sentiment qu'ils ont de servir à quelque chose lorsqu'ils sont déployés en opération, mais aussi les moyens dont ils disposent pour leur entraînement et leur vie quotidienne. Si, l'an prochain, en dépit d'une augmentation de 3 milliards du budget des armées, les chauffe-eau des bâtiments restent deux mois en attente de réparation et les munitions manquent pour s'entraîner, c'est que quelque chose ne va pas.

Nous ferons preuve de réactivité et de capacité d'adaptation. Si nous bénéficions de ressources supplémentaires, tant mieux. Sinon, je proposerai d'adapter le fonctionnement de l'armée de Terre, qui devra réduire les investissements pour garantir une approche à hauteur d'homme en matière d'entraînement, de niveau d'activité, de confiance des militaires dans leur équipement et de bon fonctionnement des équipements très performants que nous avons acquis, au premier rang desquels les Griffon, afin que nous ayons ce qu'il faut si nous devons partir au combat ce soir.

Dans le cadre de l'approche à hauteur d'homme, Madame Parly, ministre des Armées, avait mis en œuvre le plan « famille », qui a eu de forts effets concrets et psychologiques dans nos armées. Je milite pour sa prolongation. La démarche à hauteur d'homme n'est pas un retour mécanique sur une disponibilité, mais une question de solidarité générale et la capacité de prendre en compte les familles. Dans l'hypothèse d'un engagement majeur induisant des pertes nombreuses, la solidité de l'édifice, familles comprises, doit être prise en compte.

Il faut notamment tenir compte de l'hébergement des soldats dans leurs quartiers et du logement de leurs familles ailleurs. D'ores et déjà, le contrat d'externalisation de la gestion des logements domaniaux du ministère des armées (CEGeLOG) prévoit un nouveau prestataire, dans l'espoir d'obtenir une montée en gamme de la prestation.

La transformation de certaines emprises militaires n'est pas exclue, d'autant que la cession de nos infrastructures n'est plus, sauf exception, à l'ordre du jour. Le durcissement de nos armées nous a fait prendre conscience de leur importance, et de la nécessité de les inscrire dans une perspective de long terme. Nous devons, tout en tenant compte des données importantes que sont la pression immobilière et les enjeux d'aménagement du territoire à l'échelle locale, conserver les capacités d'hébergement et de logement, ainsi que de desserrement et de préparation opérationnelle, nécessaires à nos armées à l'avenir.

S'agissant de l'entraînement opérationnel durci, nous prévoyons d'atteindre 100 % de la norme d'entraînement après 2025. Dans l'économie générale de l'ajustement nécessaire, l'augmentation de notre niveau de préparation opérationnelle et d'entraînement, quitte à y consacrer des ressources supplémentaires ou, à défaut, en rabattre sur la préparation de l'avenir, sera probablement un élément de positionnement. Je milite résolument pour que, dans la construction du projet de loi de finances pour 2023, nous ayons les moyens de mener notre activité au bon niveau, et de maintenir, voire d'augmenter notre niveau de préparation opérationnelle et d'entraînement.

L'une des difficultés, pour l'armée de Terre, est de le mesurer. La marine nationale le mesure en jours de mer sur les bâtiments, l'armée de l'air en heures de vol sur les différentes flottes. Pour notre part, nous le mesurons à travers les normes d'activité terrestre. De façon générale, nous durcirons notre entraînement selon la typologie des exercices que nous menons.

La conscription est une question difficile. Dans ma logique militaire de CEMAT, dont la priorité est de garantir l'efficacité opérationnelle, je considère, compte tenu de la technicité des moyens mis en œuvre, que le recours à des soldats professionnels est la bonne solution en matière d'opérationnalisation de l'outil militaire. Du point de vue de la nécessité de se préparer à une forme de menace ou d'action sur le territoire national, ce qui exige de garantir la souplesse des effectifs en les organisant autour d'un corps assez ramassé, avec la possibilité d'ouvrir assez largement le recrutement, la bonne solution est la réserve, à hauteur de quelques dizaines de milliers de personnes, même si son organisation actuelle n'est pas optimale. Généraliser la conscription, du point de vue de l'efficacité militaire, je n'y suis pas favorable, non sans être conscient de son intérêt pour diffuser l'esprit de défense, assurer le brassage des populations et satisfaire la volonté d'engagement de la jeunesse.

L'essentiel, me semble-t-il, est de veiller à ne pas dissocier la finalité opérationnelle des modalités d'organisation. Si on fait du militaire, avec de l'encadrement militaire, il faut viser une finalité militaire. Sinon, il s'agit d'une pièce de théâtre, consistant à faire comme si on était à l'armée, en faisant semblant de donner et d'exécuter des ordres. Au demeurant, la question des modalités et du changement d'échelle demeure, dès lors que chaque classe d'âge compte environ 800 000 jeunes.

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