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Intervention de le général d'armée Pierre Schill

Réunion du mercredi 20 juillet 2022 à 11h10
Commission de la défense nationale et des forces armées

le général d'armée Pierre Schill, chef d'état-major de l'armée de Terre :

Je vous remercie, Monsieur le président, pour les mots que vous avez eus à l'égard de l'armée de Terre. Chef d'état-major de l'armée de Terre, armée des territoires, depuis un an, je suis heureux de pouvoir m'adresser à la représentation nationale.

Je salue et félicite les nouveaux et les anciens membres de la commission. L'armée de Terre s'attachera à vous réserver le meilleur accueil afin de vous aider à mener à bien vos travaux. Je veillerai à entretenir la relation de confiance qui a toujours prévalu.

Alors que nous venons de célébrer la fête nationale et en pleine période estivale, j'ai une pensée pour les 25 000 soldats de l'armée de Terre en posture opérationnelle, dont 5 000 sont déployés en opérations extérieures et 9 000 assurent la protection du territoire national en métropole et outre-mer, notamment à travers les missions Sentinelle ou Héphaïstos, en renfort des forces de sécurité intérieure dans la lutte contre les feux de forêt. Je pense aussi à ceux qui se tiennent en alerte ainsi qu'à tous ceux qui se forment et s'entraînent en ce moment même.

Une année après avoir pris mes fonctions, je peux en témoigner, nous avons une belle armée de Terre, une armée d'emploi qui sert avec enthousiasme jusqu'à payer le prix du sang en opération. Le moral de nos soldats est bon – 80 % des membres de l'armée de Terre interrogés annuellement déclarent avoir un très bon, un bon ou un assez bon moral – en raison des engagements opérationnels, des livraisons d'équipements qui concrétisent les efforts de la Nation et parce qu'ils ont confiance dans leurs chefs et leur institution.

Avant de répondre à vos questions, je vous livrerai un instantané de l'armée de Terre. J'évoquerai ensuite le durcissement et la modernisation entrepris depuis plusieurs années dans le cadre du plan Supériorité opérationnelle dont les enseignements de la guerre en Ukraine confirment la pertinence, même s'ils imposent de l'ajuster. Enfin, j'aborderai les enjeux des engagements terrestres des prochaines années.

L'armée de Terre est un concentré de France chargé de protéger les Français. Elle a historiquement entretenu une relation incarnée avec nos territoires, vos circonscriptions, et elle y reste ancrée. Elle compte 140 000 terriens dont 35 000 servent en dehors de l'armée. Sur les 106 000 hommes et femmes servant au sein de l'armée de Terre, 97 000 sont des militaires et 9 000 des civils, auxquels il faut ajouter 24 000 réservistes. L'armée de Terre est répartie dans 550 implantations dans quatre-vingts départements ; deux tiers de ses membres sont affectés en dehors des grands pôles urbains et un quart – plus de 25 000 – dans des communes rurales.

Sur le plan économique, un régiment, environ 1 000 soldats, génère 50 millions d'euros de retombées locales par an. Cette empreinte résulte des commandes effectuées auprès d'entreprises, de la consommation, des emplois directs et indirects. Au-delà des seules retombées économiques, ce sont des familles qui dynamisent la vie locale des territoires, des enfants accueillis dans les écoles, etc.

L'armée de Terre est un concentré de France. Chaque année, 15 000 jeunes choisissent de rejoindre nos rangs. La jeunesse est un impératif et un atout pour nos armées. Il serait probablement plus pertinent de parler des jeunesses, car les jeunes dans nos rangs sont représentatifs de la diversité sociale de notre population ; ils proviennent de toute la France métropolitaine et ultramarine – les outre-mer représentent plus de 10 % de notre recrutement, autant que celui en provenance d'Île-de-France – et présentent des talents extrêmement variés. Cette diversité fait la richesse de notre armée de Terre.

Pour répondre à cette envie de servir, atout quasiment unique en Europe, l'armée de Terre s'attache à valoriser les mérites de ses soldats et à leur offrir des perspectives professionnelles et des opportunités de progression. L'escalier social fonctionne. La moyenne d'âge des régiments est de 28 ans. Le recrutement initial et le niveau scolaire à l'entrée dans l'institution ne sont pas déterminants. Sans multiplier les exemples de soldats ayant atteint le sommet de la hiérarchie, la moitié des officiers sont issus du corps des sous-officiers et la moitié des sous-officiers sont issus des militaires du rang.

L'armée de Terre est un levier d'intégration citoyenne grâce aux exigences de la finalité opérationnelle et à la singularité militaire. Le passage dans ses rangs accroît le sens du collectif, l'esprit de discipline, le dépassement de soi et la prise de responsabilité contribuant ainsi à la résilience de la Nation.

L'armée de Terre contribue à la défense du territoire national. Elle participe à la sécurité du quotidien des Français. Si l'engagement de nos soldats d'active et de réserve dans le cadre de l'opération Sentinelle est le plus emblématique, ces derniers se tiennent prêts à intervenir en cas de besoin. Ce fut le cas en 2020, après le passage de la tempête Alex dans les Alpes-Maritimes, lors des pics de la pandémie de covid-19 et aujourd'hui dans la lutte contre les incendies.

L'armée de Terre sert d'abord à combattre, en tout lieu, en tout temps, quelle que soit la mission. Elle est chargée de protéger le pays contre la dangerosité du monde. En tant que chef d'état-major de l'armée de Terre (CEMAT), ma responsabilité est de faire en sorte que nos soldats soient prêts pour faire face à toute éventualité.

L'Europe connaissait un épisode de paix durable. La grande majorité de nos concitoyens n'a pas connu de temps de guerre. Nous appartenons certainement à l'une des générations les plus riches de l'histoire ; nous habitons l'un des espaces privilégiés du globe. Nombreux étaient ceux qui pensaient pouvoir fermer les yeux et ignorer les menaces pesant sur cette opulence. Mais la guerre est revenue sur notre continent. La menace planait depuis de nombreuses années. En effet, l'invasion russe a été précédée d'un effort de modernisation militaire qui voulait impressionner et de plusieurs coups de semonce : Géorgie, Crimée, Donbass, Syrie. La menace était identifiée. Consciente de sa montée inexorable, l'armée de Terre avait su anticiper cette surprise attendue et commencer un durcissement et une modernisation destinés à la rendre apte à s'engager dans tous les types de conflit jusqu'à un engagement majeur. Cette modernisation est en cours, même si elle est encore dans sa phase initiale de réparation.

En 2016, le document « Action terrestre future » évoquait le retour des logiques de puissance entre États et de conquête de la supériorité militaire par certains États. En 2020, la vision stratégique de mon prédécesseur soulignait l'incertitude du contexte stratégique et l'extension des champs de conflictualité.

Face aux incertitudes de l'environnement stratégique et dans le cadre de la modernisation de nos équipements, au travers du programme SCORPION, l'armée de Terre s'est engagée dans une marche en avant pour consolider encore davantage sa réactivité et sa crédibilité en poursuivant quatre objectifs : des hommes à la hauteur des chocs futurs ; des capacités pour surclasser nos adversaires ; un entraînement centré sur l'engagement majeur ; un fonctionnement réactif et opérationnel. C'est l'enjeu du plan Supériorité opérationnelle.

En s'appuyant sur le modèle du plan Au contact, importante réforme menée il y a cinq ans, le plan Supériorité opérationnelle vise un objectif très clair : forger l'armée de Terre dont la France a besoin.

Au cours des dernières décennies, l'armée de Terre a acquis une expérience opérationnelle d'une grande valeur qui a fortement contribué à l'efficacité reconnue de nos forces.

Durcir ne signifie pas faire fi de l'expérience des opérations de stabilisation et des conflits de contre-insurrection. Comme un pianiste, il faut travailler sa deuxième main pour exploiter au mieux « le clavier de l'action », pour reprendre les mots du général Beaufre. L'armée de Terre doit être capable de produire des effets décisifs et d'apporter des solutions stratégiques dans les différents scénarios d'engagement, de l'affrontement direct des volontés aux approches indirectes, et de composer avec les modes majeurs et mineurs de la conflictualité.

Se durcir, c'est aussi consolider les capacités, anticiper et réfléchir aux besoins à venir, tant avec le futur char de combat franco-allemand, le MGCS, que dans le domaine cyber et électromagnétique, par exemple.

Avec le programme SCORPION, l'armée de Terre entreprend probablement la modernisation la plus importante depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Il s'agit de faire d'une pierre deux coups : renouveler nos blindés, en service depuis quarante ans, et capitaliser sur les apports du combat collaboratif. Les blindés, et plus largement les unités, partageront en temps quasi réel les informations les plus utiles pour déterminer la meilleure combinaison possible pour se protéger et pour détruire l'ennemi. Comprendre plus vite, décider plus vite, agir et réagir plus vite, tout cela multiplie nos chances de dominer l'adversaire. Le combat collaboratif est appelé à devenir une norme.

Le CAESAR permet ainsi de transmettre des éléments de tir à des systèmes d'artillerie mobiles disséminés et camouflés. Sur ordre, ils se mettent en batterie, tirent six obus et, avant même que le premier obus ne frappe leur cible, ils ont déjà quitté leur position. L'emploi de l'artillerie en Ukraine nous confirme la pertinence de notre choix de matériel.

Le bien-fondé du durcissement de la préparation opérationnelle est attesté par les soubresauts des relations internationales et les recompositions géopolitiques.

Nous nous tenons prêts à combattre, tous moyens en notre possession réunis, dès ce soir tout en continuant à forger l'outil qui nous permettra de combattre dans dix ans. Il est primordial de tenir un tel point d'équilibre.

En 2022, la loi de finances a consacré une augmentation de 1,7 milliard d'euros du budget de la mission Défense par rapport à 2021. Cela représente 132 millions d'euros de crédits supplémentaires pour le budget de préparation des forces de l'armée de Terre qui atteint 1,67 milliard d'euros.

L'année 2022 est une année charnière, capitale pour la poursuite de la modernisation qui nécessitera deux lois de programmation militaire successives pour être conduite à son terme. La poursuite des livraisons permettra d'atteindre presque 20 % de la cible prévue par le plan SCORPION en fin d'année pour les véhicules Griffon, Jaguar et Serval. En 2022, 500 véhicules blindés supplémentaires ont été commandés, représentant à eux seuls une nouvelle tranche de 15 % du total des équipements SCORPION.

La modernisation n'en est qu'à ses débuts et beaucoup reste à faire pour rehausser le niveau de préparation opérationnelle de l'armée de Terre. En effet, la LPM prévoit les augmentations de ressources afférentes les plus importantes, à hauteur de 3 milliards d'euros, à partir de 2023.

L'environnement géopolitique, en particulier le conflit en Ukraine, qui représente probablement un tournant stratégique d'une ampleur comparable à celui de la fin du pacte de Varsovie dans les années 1990, confirme la pertinence de la modernisation dans laquelle s'est engagée l'armée de Terre, mais elle met aussi en exergue des impératifs d'adaptation. Le conflit nous rappelle quelques principes fondamentaux et illustre toute la complexité du milieu terrestre.

La guerre moderne et les évolutions technologiques n'ont pas rendu l'affrontement au sol accessoire. L'engagement au sol et près du sol vise à prendre l'ascendant sur l'ennemi, à le dominer physiquement et moralement, jusqu'à sa destruction si nécessaire. Demain comme hier, cet affrontement continuera de se dérouler dans l'incertitude qui singularise le milieu terrestre. C'est bien l'affrontement au sol et près du sol qui concrétise la détermination politique. Le conflit en Ukraine le démontre une nouvelle fois, la guerre moderne se caractérise par des opérations de grande ampleur impliquant de la masse, des forces conventionnelles comme spéciales, des moyens interarmes en nombre et une capacité à durer. Attaquer, détruire peut se faire à distance ; construire, conquérir se fait au sol. Le milieu terrestre demeure l'espace fondamental des rivalités stratégiques : conquête de richesses, gain territorial, influence et contrôle des populations et des centres de pouvoir. Pour dissuader de telles velléités adverses, nous nous devons d'être prêts et réactifs.

La ligne choisie par l'armée de Terre se trouve confortée par ce que nous observons en Ukraine, même si certains enseignements nous amènent à procéder à des ajustements.

Le soldat est la prunelle des yeux de l'armée de Terre – ce n'est pas un truisme. Nous sommes une des seules armées en Europe à disposer en quantité et en qualité des soldats dont nous avons besoin. C'est le signe de l'esprit de défense de notre pays.

Les forces morales sont la qualité première attendue du combattant. Les affrontements entre l'Ukraine et la Russie révèlent encore davantage l'importance de la richesse humaine et des forces morales. L'aguerrissement est impératif pour éviter la défaillance des forces morales. Les forces morales de nos soldats ou d'une Nation ne sont pas innées ni acquises une fois pour toutes. Pour les consolider, l'armée de Terre développe un observatoire dédié. L'étude des forces morales doit être approfondie afin de dégager des techniques de développement individuel et collectif concrètes.

Les compétiteurs ne manœuvrent pas en 2CV. Il est à noter l'apparition des premières images de véhicules terrestres télé-opérés russes pour appuyer uniquement le déminage à ce stade.

La guerre en Ukraine est révélatrice des capacités décisives que l'armée de Terre doit consolider ou acquérir. Elle rappelle que la technologie joue un rôle essentiel pour dominer l'adversaire. Elle souligne également que la masse est un des facteurs de supériorité opérationnelle, ce que les études et travaux de l'armée de Terre, et plus globalement des armées, ont constamment mis en avant depuis plus d'une dizaine d'années. Gardons-nous d'une vision trop manichéenne qui opposerait masse et technologie. Les deux sont nécessaires et complémentaires. Nous devons continuer à rechercher cet équilibre qui a guidé le développement de nos programmes d'armement. Le fait de disposer d'un matériel moderne, robuste et en nombre suffisant pour emporter la décision contribue directement à la confiance, aux forces morales, donc à l'efficacité opérationnelle.

Parmi les capacités à renforcer, je citerai les capacités de défense sol-air, les drones, les feux dans la profondeur, les systèmes d'information et de communication, le renseignement ou les moyens de franchissement.

La complexité de l'engagement au sein du milieu terrestre requiert une préparation exigeante. Il ne suffit pas à un soldat de détenir une arme ou de piloter un engin blindé, il doit savoir l'employer en coordination avec les autres unités. C'est l'enjeu du combat dit interarmes. Les capacités des armes de mêlée sont limitées sans appui ni soutien.

La préparation à l'hypothèse d'un engagement majeur, redevenu malheureusement possible sur notre continent, amène l'armée de Terre à changer d'échelle en matière de préparation opérationnelle. Ce sera l'enjeu de l'exercice Orion 2023 qui revêtira un caractère interarmées, interservices et interministériel. Dans la continuité de la participation à l'exercice Warfighter 2021 aux côtés de nos alliés américains dont les enseignements ont irrigué l'ensemble de l'armée de Terre, il s'agit de poursuivre la maîtrise de procédures et l'acquisition de savoir-faire spécifiques.

Le réalisme et l'intensité doivent caractériser les phases d'entraînement. Train as you fight : c'est le principe de la préparation opérationnelle interarmes augmentée que développe l'armée de Terre dans ses centres d'entraînement, en particulier à Mailly, Sissonne, Canjuers ou Mourmelon, avec des phases de contrôle plus longues, plus exigeantes, dans des conditions plus rustiques.

Si l'armée de Terre souhaite renforcer l'aptitude à intervenir sans délai par une autonomie accrue du corps d'armée et de la division, qui sont les deux outils de référence de la nouvelle grammaire stratégique, il est nécessaire de réinvestir dans l'entretien programmé des matériels, de reconstituer des stocks pour améliorer l'activité. L'excellent rapport d'information sur la préparation à la haute intensité, publié en début d'année par la commission, préconisait d'augmenter le potentiel des matériels terrestres, notamment par la constitution de stocks de pièces de rechange suffisants. Il s'agit là du ciment et du liant qui transforment les grands équipements que nous possédons en capacités de combat réactives et polyvalentes. Il faut aussi poursuivre la modernisation des moyens de commandement opérationnel – la connectivité et le combat collaboratif –, indispensables au commandement au combat d'une grande unité ; et renforcer les appuis et les soutiens opérationnels du système de combat divisionnaire.

L'attaque russe en Ukraine met nos armées au défi de la réactivité. Ce défi est collectif. L'armée de Terre ne peut le relever seule. Il implique l'ensemble des armées, des directions et services du ministère à travers le soutien apporté aux forces, ainsi que la base industrielle et technologique de défense (BITD) pour les modalités d'adaptation et de réponse rapide en cas de besoin, qui sont communément appelées économie de guerre.

La défense nationale est un choix de société. À l'heure où la menace d'une guerre est redevenue une préoccupation pour notre continent, une question demeure : à quel prix et comment – c'est là ma responsabilité – notre pays souhaite se défendre ?

L'ambition politico-militaire de la France est d'assumer ses responsabilités de puissance d'équilibre, une ambition fixée par le Livre blanc de 2013 puis par la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale en 2017 et son actualisation au début de l'année 2021. Les ressources consacrées aux armées ces dernières années ont permis de réparer l'outil militaire, qui doit soutenir cette ambition et de commencer sa modernisation.

Pour une défense puissante, il faut donc une armée de Terre durcie. La France doit pouvoir compter sur son armée qui a le devoir de se préparer et, si les circonstances l'exigent, de s'engager dans un conflit majeur. « Si tu veux la paix, prépare la guerre » selon l'adage bien connu qui est aussi la devise de l'école de guerre Terre. Chef d'état-major de l'armée de Terre, c'est ma responsabilité de garantir que ce soir, nous sommes prêts à partir en opération tout en nous dotant des moyens qui seront nécessaires pour répondre aux défis des dix prochaines années.

Pour conclure, je vous invite à assister à la présentation des capacités de l'armée de Terre, qui aura lieu le 6 octobre à Satory. Vous pourrez, à cette occasion, rencontrer nos soldats et échanger avec eux. Ce sont les meilleurs ambassadeurs de l'armée de Terre.

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