Intervention de le général d'armée Thierry Burkhard

Réunion du mercredi 13 juillet 2022 à 15h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

le général d'armée Thierry Burkhard, chef d'état-major des Armées :

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les membres de la commission de la défense nationale et des forces armées, permettez-moi de saluer les anciens membres que je suis très heureux de retrouver, et celles et ceux qui rejoignent les rangs et qui pourront apporter un regard nouveau. Il y aura peut-être une redondance dans certains des propos que j'ai déjà tenus dans cette enceinte, notamment pour ce qui tient de la Vision stratégique des Armées, mais je n'ai pas changé d'avis et les évènements militaires semblent confirmer sa pertinence.

La XVIe législature s'ouvre dans un contexte stratégique en profonde mutation, particulièrement exigeant pour les États et pour les armées. Les menaces se multiplient et le passage à l'acte, comme en Ukraine, est une réalité, même en Europe. La mission des armées, elle, demeure inchangée. Elle est de protéger la France et les Français. Nous devons donc poursuivre l'adaptation des termes de l'équation pour façonner l'armée dont la France a besoin. Rien de cela n'est une découverte mais, depuis la guerre en Ukraine, nous constatons une véritable accélération. Il y a un enjeu immédiat pour rester en phase avec l'évolution de la conflictualité.

Mon propos liminaire sera divisé trois parties : mon appréciation de situation sur l'environnement stratégique ; un aperçu des engagements opérationnels en cours et mes convictions face aux défis qui se présentent.

La dégradation du contexte international durant la dernière décennie, récemment illustrée par la guerre en Ukraine, se caractérise par trois tendances.

Première tendance, l'emploi désinhibé de la force est redevenu pour beaucoup le mode de règlement des conflits. Les structures internationales de régulation qui jouaient un rôle de tampons et de ralentisseurs s'affaiblissent. Alors que le tempo d'une crise était donné par l'ONU, au rythme de résolutions préparées, votées puis mises en œuvre sur le terrain, il est désormais donné par les belligérants qui emploient la force et ne tiennent pas compte ou contestent ces décisions. Si le réarmement n'est pas un fait nouveau, nous constatons une désinhibition dans l'emploi de la force, l'Ukraine en étant l'exemple le plus emblématique.

Ensuite, deuxième tendance, la liberté d'action est contestée, pour les militaires comme pour les États. Sur les plans tactique et opératif, dans l'emploi des unités sur le terrain. Durant les vingt dernières années, le combat contre le terrorisme militarisé n'était certes pas facile, mais notre supériorité ne pouvait être contestée que dans le milieu terrestre. Nous disposions librement des autres milieux, notamment de la troisième dimension. Dans la bande sahélo-saharienne (BSS), les combats sont durs, mais il est toujours possible de faire appel à un appui aérien pour évacuer un blessé ou ravitailler. Le ciel nous appartient. Dans les conflits de haute intensité, face à nos adversaires, ce milieu est contesté et les autres peuvent l'être aussi. C'est le cas du milieu maritime où nos lignes de communication pourraient être menacées, c'est le cas pour l'espace et le cyber où notre liberté d'action tactique et opérative est contestée. C'est aussi le cas sur le plan stratégique, où nous faisons face à de grands compétiteurs, tels que la Russie et la Chine, et à un autre niveau l'Iran, tous animés de la même volonté d'affirmer leur présence sur le terrain, contraignant notre liberté d'action. Sur des théâtres d'opération, jusqu'à récemment, on pouvait prendre des décisions qui avaient certes un coût politique ou diplomatique, mais l'adversaire ne nous empêchait pas de le faire. A contrario, même si l'Ukraine ne veut pas de la guerre, son ennemi l'impose. S'il faut être deux pour vouloir la paix, il n'est pas besoin d'être deux pour vouloir la guerre, un seul suffit.

La troisième tendance est le changement d'échelle. Il se traduit tout d'abord par l'extension de la conflictualité à l'ensemble des milieux et des champs et donc aussi des grands fonds marins, du cyber, de l'espace exo-atmosphérique, du champ informationnel et la combinaison d'actions dans ces différents champs, propices aux stratégies hybrides qui compliquent notre positionnement et nos capacités de réaction. Ce changement d'échelle se traduit également dans le volume des unités et les types de combats engagés. Par exemple, au maximum au Mali nous étions un peu plus de 5 500. En Ukraine, par le seul engagement des unités d'active, on trouve quelque 150 000 hommes de chaque côté. Ce changement d'échelle a des conséquences non seulement sur la consommation des munitions, mais aussi sur les pertes, cela dans des proportions inconnues dans les engagements actuels.

En résumé, l'évolution du contexte international se caractérise par le renouveau de la puissance et par des interactions qui sont davantage de portée stratégique. Cela doit nous inciter à appréhender le monde de manière beaucoup plus stratégique. De ce fait, le continuum « paix-crise-guerre » ne nous semble plus constituer une grille de lecture stratégique pertinente.

Nous avons donc pris le parti de nous référer à un nouveau triptyque « compétition-contestation- affrontement ». Plus adapté à la prise en compte de l'intrication des différents milieux et champs, il permet d'envisager avec plus d'acuité les stratégies hybrides et de prendre en compte l'importance du rapport de force. Il ne s'agit pas de vous imposer ce nouveau triptyque mais, dans les armées, celui-ci nous aide à structurer nos réflexions, nos travaux et à expliquer notre appréciation de situation.

Qu'entend-on par triptyque « compétition-contestation-affrontement » ?

Je considère la compétition comme le mode normal d'expression de la puissance. Durant cette phase, les armées contribuent à la connaissance des compétiteurs, proposent des options militaires et participent à la signification de la détermination de la France, en vue d'infléchir la détermination et la résolution de nos adversaires. Je le traduis par l'expression « la guerre avant la guerre ». Durant la phase de compétition, nous ne sommes pas en guerre puisque ces actions se conduisent en dessous du seuil armé et plus particulièrement dans les champs non militaires : économique, culturel, diplomatique, et un peu dans le domaine sécuritaire mais sans engagement armé. Dans cette guerre avant la guerre, toutes les actions concourent déjà à se positionner. Quand on se contente de se poser en spectateur, les adversaires et les compétiteurs déroulent leurs manœuvres et contraignent notre liberté d'action immédiate et future.

La contestation, c'est lorsque des acteurs décident de transgresser les règles communément admises pour obtenir un avantage. L'exemple le plus emblématique est celui de la Crimée. Le compétiteur russe avait estimé qu'en s'appuyant sur une forme de guerre hybride, il avait une carte à jouer en imposant un fait accompli sans provoquer de réaction. Durant cette phase, il nous faut lever l'incertitude, forcer l'adversaire à révéler ses intentions et empêcher l'imposition d'un fait accompli, ce qui nécessite de réagir vite et suffisamment fort afin de l'empêcher. C'est « la guerre juste avant la guerre ».

Dans l'affrontement, c'est-à-dire dans « la guerre », un acteur décide de recourir à la force pour atteindre ses objectifs, provoquant une réaction de niveau au moins équivalent. Pour les armées, cela nécessite d'être capable de déceler les signaux faibles afin d'anticiper le basculement dans l'affrontement. En effet, comme il est difficile de s'engager « à froid » dans un affrontement, il y a souvent une phase de préparation et d'anticipation de la bascule, afin, si nécessaire, d'être en mesure de livrer bataille.

Dans ces conditions, l'ambition est de tout faire pour « gagner la guerre avant la guerre », d'imposer notre volonté et de signifier notre détermination à nos adversaires, si possible avant d'aller à la contestation pour éviter l'affrontement. Il y a bien là un sujet de crédibilité. Pour être capable de signifier votre détermination et de gagner la guerre avant la guerre, vous devez disposer d'un outil et de forces préparées et entraînées pour s'engager dans un affrontement et montrer ainsi à votre adversaire que vous seriez capables de gagner la guerre.

Comment donc les armées se positionnent-elles dans cet environnement ? À quels engagements sommes-nous confrontés ?

Pour caractériser les engagements opérationnels, j'ai coutume de décliner les missions en deux volets : le premier relatif à dangerosité du monde, le second, à la dangerosité du quotidien.

Protéger les Français contre la dangerosité du quotidien, c'est, par exemple, lutter contre la pandémie, le terrorisme et les catastrophes naturelles. Ce n'est pas la partie la plus dimensionnante pour les armées, mais c'est la partie la plus visible par les Français. Il importe que les Français puissent voir à quoi sert leur armée.

Protéger les Français contre la dangerosité du monde, c'est lutter contre le terrorisme militarisé ou la menace d'un compétiteur de taille plus importante. Cette mission bien plus dimensionnante en termes d'entraînement et de capacité d'intervention est paradoxalement moins visible par les Français. La guerre en Ukraine fait exception par sa forte présence, depuis presque quatre mois, sur les chaînes d'information continue mais, pour beaucoup d'autres opérations le sujet est peu abordé. D'où l'intérêt de ne pas négliger les missions sur le territoire national au profit direct des Français et de les valoriser, afin de leur permettre de mieux percevoir l'action de leur armée engagée dans leur intérêt.

Avant d'illustrer ces deux volets, je commencerai par évoquer la dissuasion nucléaire parce qu'elle est la clé de voûte de notre système de défense. Le Président de la République l'a rappelé dans son discours du 7 février 2020 à l'École militaire, la dissuasion nucléaire autonome, robuste et crédible demeure la clé de voûte de la défense de notre pays. Strictement suffisante, la dissuasion nucléaire est assurée par une composante océanique et une composante aéroportée. Force nucléaire et forces conventionnelles s'épaulent en permanence pour défendre nos intérêts souverains partout dans le monde.

En ce qui concerne la dangerosité du quotidien, les postures de sûreté visent à garantir en tout temps la sanctuarisation et la protection du territoire national et de ses approches en métropole comme outre-mer.

La Posture permanente de sûreté aérienne (PPSA) garantit le respect de la souveraineté française dans son espace aérien. Il s'agit de détecter – quelque 12 000 pistes radar par jour survolent de la France et de ses approches –, d'identifier et d'intervenir avec la Permanence opérationnelle (PO). Des avions de chasse et des hélicoptères en alerte sont capables de décoller en moins de sept minutes. Depuis le début de l'année 2022, nous avons eu 101 décollages de la permanence opérationnelle pour 109 violations de l'espace aérien. Nos avions ont également décollé pour surveiller six raids à longue rayon d'action des bombardiers russes, dont deux avec mise en œuvre de la chaîne de défense aérienne française.

La Posture permanente de sauvegarde maritime (PPSM) concourt directement à la protection des approches du territoire, dans un milieu où l'activité des États-puissances est croissante. Environ 1 300 marins sont engagés en permanence dans cette mission. Il s'agit, là aussi, de surveiller et d'identifier les menaces et les dangers au moyen d'un réseau fixe de 58 sémaphores, d'une présence permanente à la mer de nos bâtiments et de l'utilisation de moyens aéronautiques. Ces moyens sont également utilisés pour secourir, lutter contre le pillage de nos ressources ou suivre les mouvements de nos compétiteurs, par exemple, par le marquage des bâtiments russes qui transitent en Manche.

Il faut également ajouter nos postures dans les nouveaux champs d'action. Dans l'espace, nous suivons par exemple les orbites basses non déclarées des satellites chinois. Dans le domaine cyber, la détection des attaques informationnelles et la riposte éventuelle, telle que la suppression de comptes Twitter de trolls russes, font partie de nos réalités opérationnelles.

Sur le territoire national, les armées sont très impliquées dans l'opération SENTINELLE, dispositif très réactif grâce à 7 000 soldats engagés en permanence et 3 000 en réserve stratégique pour répondre efficacement à la menace sur le terrain en s'appuyant sur un bon niveau de subsidiarité et la connaissance de la situation par les unités.

En Guyane, au titre de la mission HARPIE de lutte contre l'orpaillage illégal, 350 militaires sont déployés en permanence en coordination avec les forces de gendarmerie pour contrôler 80 000 kilomètres carrés. La mission TITAN, visant à protéger le Centre spatial guyanais, est activée trois à cinq jours par mois par le déploiement d'un effectif pouvant aller jusqu'à 400 militaires pour assurer la sécurité des lancements et le déplacement des engins spatiaux.

Dans vingt-trois départements du sud de la France, la mission HÉPHAÏSTOS est activée durant les mois d'été pour appuyer des Unités de sécurité civile et les pompiers dans la lutte contre les feux de forêt. Pendant les trois mois d'été, cinquante militaires, trois hélicoptères et vingt véhicules sont ainsi engagés.

De plus, les armées sont toujours prêtes à incarner une part de la résilience de la nation par des missions ponctuelles comme l'opération RÉSILIENCE, déclenchée lors de la crise du Covid, ou lors de catastrophes naturelles comme des inondations, où les moyens militaires sont capables d'intervenir très rapidement pour porter assistance aux populations.

En ce qui concerne la dangerosité du monde, sur le flanc est, il s'agit concrètement d'y participer au dispositif défensif et dissuasif de l'OTAN. Pour l'année 2022, la France assure le commandement de la N ATO Response Force (NRF) dont l'élément déployable le plus réactif de l'Alliance ( Very high readiness joint task force - VJTF). Dans ce cadre, dès le 28 février 2022, la mission AIGLE a déployé en Roumanie un bataillon composé de 800 militaires, dont 500 français, complété par des militaires belges (qui seront remplacés le 1er août par un détachement néerlandais de même volume). Pour cette mission, nous sommes capables d'assurer le commandement au niveau brigade sur court préavis.

En Roumanie, outre le bataillon AIGLE, nous avons déployé le système de défense sol-air MAMBA. Chargé de défendre l'espace aérien, il est connecté aux systèmes de défense de l'OTAN ; il complète la démonstration de notre solidarité stratégique vis-à-vis de nos amis roumains.

Nous sommes également déployés en Estonie dans le cadre du dispositif LYNX, avec environ 250 militaires intégrés à un bataillon britannique d'environ 800 militaires.

Dans le domaine aérien nous avons déployé depuis le mois d'avril quatre avions et cent aviateurs qui patrouillent au-dessus de l'Estonie et des différents pays baltes au sein du dispositif eAP (Enhanced Air Policing), de police de l'air avancée et renforcée.

Depuis le 24 février 2022, des appareils français participent également à la défense de l'espace aérien en Pologne par des missions au départ de Saint-Dizier ou de Mont-de-Marsan, dans le cadre d'un dispositif de vigilance renforcée.

En Afrique, vous le savez, la réarticulation du dispositif français au Mali est en cours. Celle-ci prévoit le désengagement de nos forces afin de poursuivre la lutte contre les groupes armés terroristes à partir du Niger et du Burkina Faso et renforcer nos opérations de partenariat militaire opérationnel au profit des pays du golfe de Guinée. Venus à la demande du Mali en 2013, nous quittons ce pays à sa demande, dans le respect de sa souveraineté. Je constate que les autorités maliennes n'ont pas su, au cours de ces huit années, profiter du contrôle de la situation au niveau sécuritaire qui leur était offert pour trouver des solutions politiques. C'est entre autre le constat de cette impossibilité qui a prévalu dans la décision de retrait du Mali. Le retrait est une opération logistique d'ampleur dans un Sahel très étendu, aux axes de communication peu développés avec toujours un risque sécuritaire élevé. La manœuvre de désengagement en ordre et en sécurité, très lourde à exécuter, devrait être terminée d'ici à la fin de l'été. Nous bénéficions d'un appui américain dans le domaine du renseignement et de la logistique, ainsi que pour ce dernier aspect de l'aide, entre autres, des Émirats arabes unis, du Canada et du Qatar.

L'activation de la task force TAKUBA a permis, dans le cadre d'une coalition ad hoc réunissant une dizaine de pays européens, d'appuyer les unités maliennes dans la région de Ménaka pour la lutte contre le terrorisme. Si ce dispositif est désengagé du fait de notre désengagement du Mali, notre objectif est bien de maintenir l'esprit TAKUBA en coordination étroite avec les pays africains à partir desquels nous allons poursuivre la lutte contre le terrorisme. Celle-ci se poursuit en particulier à partir du Niger, dans le cadre d'un engagement non plus direct mais uniquement réalisé en appui des forces nigériennes, lesquelles décident où sont conduites les opérations, à quel rythme et selon quelle intensité.

Un effort est également consenti au profit des pays du golfe de Guinée au regard du constat d'un terrorisme militarisé qui, descendant vers le sud, commence à tangenter leurs frontières nord, au Togo, Bénin, Ghana, Côte d'Ivoire, Guinée, voire Sénégal.

Les militaires français sont également déployés au Proche et au Moyen-Orient, dans le cadre de l'opération de surveillance de la zone sud du Liban, sous mandat de l'ONU. Depuis cinq ans, le contingent français intègre un détachement finlandais (350 Français et 200 Finlandais). Nous appuyons par ce biais les forces armées libanaises dont l'action est essentielle pour assurer la stabilité du pays.

En Irak, il s'agit de poursuivre la lutte contre Daech auprès du partenaire irakien et d'organiser des activités opérationnelles bilatérales pour les aider à acquérir une autonomie suffisante.

La surveillance de la navigation se poursuit dans le golfe Arabo-Persique, dans le cadre de l'opération de l'Union européenne AGÉNOR.

Au vu de nos engagements, de la situation que j'ai décrite et des enjeux, quelle est l'armée dont la France a besoin ?

La LPM 2019-2025 a permis de répondre aux enjeux des opérations et d'entamer la réparation grâce, par exemple, à 1,6 milliard d'euros pour des petits équipements tels que les armements individuels, les jumelles de vision nocturne ou encore l'outillage. Elle a permis notamment la livraison d'une centaine de véhicules du programme Scorpion, de frégates multi-missions, d'appareils ATL2 au standard 6 et de Mirage 2000 rénovés. Toutefois, vous avez fait ce constat et des rapports ont été faits en ce sens : vingt années de conflits asymétriques et d'engagements choisis ont conduit à des arbitrages réduisant certaines capacités. Je ne saurais blâmer ceux qui ont fait ce choix dans des circonstances différentes d'un point de vue budgétaire et de type de menaces. En Afghanistan ou au Mali par exemple, les dispositifs de défense sol-air n'ayant pas d'utilité, des impasses ont été faites. Il convient maintenant de les rattraper. Il en va de même dans les domaines du franchissement, de la guerre électronique ou des moyens de protection nucléaire, radiologique, bactériologique ou chimique. En outre, le soutien a été optimisé de manière excessive et le budget de fonctionnement a trop souvent été considéré comme variable d'ajustement. Une logique faible stock a prévalu, considérant qu'on pouvait faire beaucoup à flux tendus, mais on s'aperçoit que c'est plus difficile avec les munitions. L'absence de moyens financiers pour maintenir les flux a créé des dépendances.

Surtout, la guerre de haute intensité en Europe et les menaces stratégiques de nos grands compétiteurs nécessitent de repenser les équilibres entre la technologie et la masse, l'efficience et l'efficacité, l'optimisation et la résilience. Il s'agit aussi de changer d'échelle dans l'entraînement, ce qui n'est pas facile à mesurer. Il faut passer plus de temps à l'entraînement sur nos matériels majeurs, avec lesquels nous pourrions être amenés à nous engager en cas d'affrontement et consacrer davantage de munitions pour ces phases.

Quels sont les axes sur lesquels il est indispensable de faire porter nos efforts ?

Le premier axe concerne la cohésion nationale, élément essentiel auquel les armées peuvent et doivent contribuer. Il conviendra de réorganiser les bonnes et nombreuses initiatives en direction de la jeunesse que les Armées portent déjà. Il faudra aussi contribuer à la montée en puissance du service national universel (SNU) car les armées ont beaucoup de choses à apporter à la jeunesse. En outre, il importe de lancer une nouvelle dynamique pour les réserves, afin de pouvoir les engager dans des missions plus complexes et de dégager des marges de manœuvre pour compléter les effectifs d'active. Les réserves sont en mesure d'apporter une masse, une expertise non détenue dans les armées et sont aussi un des vecteurs les plus directs pour le maintien et la consolidation du lien entre l'armée et la nation.

Le deuxième axe vise à développer la solidarité stratégique, nécessaire pour faire face à la nature des nouvelles menaces. Il s'agit d'investir davantage les structures de l'Alliance, qui demeurent la clé de voûte de notre défense collective. Il faut rechercher une plus grande influence dans les structures de commandement en tirant un meilleur parti des exercices, de tous les travaux conduits par l'OTAN et des développements capacitaires.

Il faut être capable d'être nation-cadre en haute intensité, c'est-à-dire d'assurer le commandement d'une structure, comme nous le faisons actuellement en Roumanie. Nous pouvons accueillir d'autres unités, mais il nous revient de fixer le cadre de l'engagement, d'assurer l'organisation des flux logistiques, notamment de mettre en place les moyens de communication permettant de commander l'ensemble. Il faut également revoir nos modèles de coopération opérationnelle ou capacitaire, afin de mieux tenir compte des besoins de nos partenaires et de mieux comprendre les contraintes qui pèsent sur eux. Chaque pays a, par exemple, des modes de fonctionnement et d'exercice de la démocratie différents en termes de contrôle parlementaire, de justification et de mise en valeur. Lorsque l'on forme une alliance ou une coalition ad hoc, il faut impérativement prendre en compte ces contraintes sous peine de nuire à l'efficacité générale. Il nous faut voir nos partenaires tel qu'ils sont et non tels que l'on voudrait qu'ils soient.

Il est également indispensable de développer nos capacités d'influence pour gagner la guerre avant la guerre. La France a beaucoup d'atouts à faire valoir auprès de ses partenaires, mais elle est insuffisamment organisée pour conduire une politique d'influence efficace. Par exemple, il faudrait accueillir beaucoup plus de stagiaires étrangers dans nos écoles. Cela nécessite d'y consacrer des moyens, mais on peut en attendre un fort retour sur investissement.

Le troisième axe est l'efficacité et la crédibilité de notre outil militaire. L'observation du conflit en Ukraine incite à disposer de capacités plus létales. On doit être en mesure d'affronter un adversaire et d'infliger des dégâts importants dès les premiers contacts, ce qui nécessite par exemple de l'artillerie de longue portée. Nous devons aussi penser au développement d'armes nouvelles comme les armes à énergie dirigée et les drones de combat. Il s'agit aussi d'être plus résilients grâce notamment à plus de redondance des moyens de commandement, d'autonomie numérique et de communications satellitaires.

Atténuer la contestation de notre liberté d'action passe par une capacité à anticiper davantage. Il faut être apte à détecter l'évolution de la menace dans les milieux traditionnels terre-air-mer mais aussi dans les milieux cyber, exo-atmosphériques ou les grands fonds marins et pouvoir adapter notre posture pour décourager l'adversaire.

Il faut être capable d'agir au quotidien de manière plus efficace et plus intégrée dans le champ des perceptions. J'ai évoqué ici la nécessité de mieux combiner l'action dans les champs physiques et l'action dans les champs immatériels, autrement dit de conduire la bataille du narratif.

Globalement, il faut être capable d'agir dans tout le spectre de la conflictualité, y compris dans l'affrontement de haute intensité dans la durée. Pour ce faire, il faut disposer d'une organisation du commandement capable d'articuler les forces et de combiner tous les effets pour prendre l'ascendant, dès le contact, de façon brutale et, si nécessaire, avec une létalité très forte.

En conclusion, au-delà de nos engagements, demain, nos armées se présenteront aux Français. Le défilé du 14-Juillet est toujours pour les militaires un moment de fierté partagée avec nos concitoyens. Celle-ci est parfaitement justifiée, car la France dispose d'une belle armée dont les succès sont reconnus sur la scène internationale. Pour être déjà allés au contact de nos soldats, vous savez que ces jeunes Françaises et ces jeunes Français ont choisi de s'engager pour leur pays. Ce faisant, ils n'ont pas choisi la voie de la facilité. J'en suis très fier et nous pouvons leur rendre hommage.

Dans les temps qui sont les nôtres, il importe que le soutien de la population à son armée se manifeste non seulement le 14-Juillet mais également les autres jours de l'année. Le courage et la combativité des soldats ukrainiens tiennent pour une large part au très fort soutien de leur population. La commission de la défense a un rôle particulier, voire déterminant à jouer en la matière. Vous pouvez compter sur mon engagement personnel et ma détermination pour conduire ma mission.

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