Nous ne sommes pas une très grosse maison et nous faisons de la coordination. Le principe de notre action, c'est de faire travailler l'ensemble des ministères, de faire faire les uns et les autres, de ne pas faire à leur place mais de vérifier qu'ils font. En plus du secrétariat du conseil de défense et de sécurité nationale, j'assure le suivi des décisions prises pour m'assurer de leur effectivité. Lorsque des actions et des plans sont lancés, nous veillons à ce que les ministères fournissent les éléments nécessaires. Cela demande du temps et du personnel, mais c'est mieux que de le faire par nous-mêmes, et les directions sont bien engagées en ce sens.
En tant que service du Premier ministre, nous pouvons nous appuyer sur son autorité vis-à-vis des autres pour engager et mener des actions. Notre maison travaille beaucoup et a la chance de disposer d'un niveau de qualification élevé. Je travaille au milieu de généraux, de colonels, de capitaines de vaisseau, d'ingénieurs généraux de l'armement, d'administrateurs civils, d'ambassadeurs, de préfets et d'une série d'autres cadres et techniciens experts en leur matière. C'est stimulant et réjouissant et c'est une preuve de qualité des effectifs, y compris au regard de services qui peuvent être soumis à concurrence.
Pour Viginum, nous parvenons à recruter des agents de toutes catégories et de tous niveaux, même si nous les payons moins bien que dans le secteur privé. D'abord, parce que les gens y trouvent une vocation à être utile au service général, et il est toujours intéressant de savoir pourquoi on travaille et de le faire dans l'intérêt général. Ensuite, ils bénéficient d'une vision globale d'un secteur d'activité. Au lieu de s'occuper d'une entreprise, ils s'intéressent aux médias, aux entreprises de transport, aux entreprises d'énergie, à des particuliers, ce qui est diversifié et formateur. Enfin, après leurs quelques années à l'ANSSI, à l'OSIIC ou au sein de Viginum, des entreprises privées vont se battre pour leur proposer une intéressante carrière dans le secteur privé.
Le recrutement de Viginum est très diversifié. Nous avons des analystes, donc des universitaires, des « geeks à poil long » capables de scruter des écrans de télévision ou d'ordinateurs, des militaires de différentes administrations et parfois des services de renseignement. On a parfois l'impression d'être dans un campus universitaire, mais ce sont des gens habilités, retenus après toutes les vérifications nécessaires.
Le renforcement du contrôle des chaînes de médias comme RT et CGTN nécessite de modifier la loi au nom de la liberté de l'information. Toute mesure doit être limitée et proportionnée, et le conseil constitutionnel y veille. En Grande-Bretagne, plus dure qu'en France, elle permet à l'autorité administrative de couper purement et simplement la diffusion d'ondes sur le territoire. Chez nous, la loi l'interdit et RT, CGTN et d'autres médias peuvent parfaitement utiliser des satellites pour arroser notre territoire. La loi de 1986, complétée par la loi de 2018, permet à l'ARCOM de demander aux opérateurs de corriger, interdire, modifier ou sanctionner des médias, mais le principe reste la liberté. Si elle est mal utilisée, la sanction est mise en œuvre. Si vous souhaitez modifier la loi, nous pourrons en discuter.
De nombreux Chinois s'intéressent à nos intérêts en pratiquant l'infiltration et l'espionnage. Pendant la guerre en Ukraine, on s'attendait à de nombreuses cyberattaques de la part de la Russie, mais nous en avons eu très peu à ce jour. La seule attaque notable était dirigée contre un satellite de VIASAT, géré par Eutelsat, qui permettait aux forces ukrainiennes de communiquer entre elles et qui arrosait l'Europe de l'Ouest. Il a été atteint, probablement par les Russes, en grillant tous les modems. Chez nous, cela a touché des relais de secours du 15, du 18. En Allemagne, une bonne partie des éoliennes se sont arrêtées.
Dans le même temps, des Chinois espionnent à tire-larigot et s'en donnent à cœur joie en matière d'entrisme, de pénétration et de tentatives de captations. À chaque arrivée dans les universités de stagiaires ressortissants de certains pays – nous sommes attentifs à la Chine et à l'Iran qui s'intéressent à la physique et à la chimie, et à quelques autres États - nous faisons systématiquement réaliser une enquête par les services de renseignement et, le cas échéant, refusons un droit d'accueil de tel ou tel, voire mettons fin à son séjour. Nous surveillons aussi les centres de type Confucius ou Léo Lagrange et autres, et leur système de fondation.
Nous faisons en sorte que certaines entreprises, en particulier chinoises, ne puissent pas accroître à l'excès leur importance en France. Nous leur avons interdit l'accès, en matière de téléphonie, à certaines zones considérées comme sensibles. Vous aurez probablement à retravailler sur la loi de 2019. C'est un des points sur lesquels nous pourrons intervenir.
La sensibilisation des acteurs publics est un sujet complexe. Tous les jours, je lis des notes d'information m'informant qu'une université ou un laboratoire a accepté de prendre tel ou tel. Lorsque j'étais en poste à Strasbourg, j'avais connu un prix Nobel de Chimie dont le laboratoire était plus ouvert que le bistrot du coin. Tout le monde y traînait, dont quelques stagiaires à l'origine indéterminée. Il m'avait dit : « La science n'a pas de frontières ». Je lui avais répondu qu'il s'était réjoui de voir son prix Nobel lui être attribué à lui et non à un de ses collègues étrangers. Nous vous soumettrons des textes de loi en matière de protection du patrimoine scientifique et technique, afin de renforcer la prudence et les précautions à prendre en ces domaines. Nous subventionnons des laboratoires et des entreprises, au travers des plans de relance, nous leur attribuons des aides pour qu'ils puissent se développer et non pour servir un État étranger.
Nous sommes très sensibles à la préparation aux crises climatiques et aux stratégies à mettre en place en amont. Nous essayons d'anticiper mais nous n'avons pas toujours les réponses. Il est hors de question de remettre en cause la notion de souveraineté des États. Au-delà des actions internationales que vous connaissez, il nous est difficile d'agir en ce domaine. La parole revient plutôt au ministère de l'Europe et des affaires étrangères qui, par son aide au développement, soutient certains pays et met en place différentes actions. À ce stade, nous travaillons fortement à la préparation de crise face aux possibilités de restrictions en eau, en électricité ou autres. Nous le faisons en liaison avec nos voisins, sachant qu'une coupure d'électricité en Allemagne pourrait provoquer un black-out en France, que les problèmes d'eau et d'approvisionnement dans différents pays auront, qu'on ne veuille ou non, des conséquences, et qu'il est malaisé de gérer les flux de population.
S'agissant de la communication en direction de la population, nous avons créé et mis en place les correspondants de défense. Il y a des référents à la défense et des correspondants dans les communes. Cette action a plus ou moins fonctionné mais elle doit être relancée avec le concours de l'association des maires. Le préfet que vous interrogez pourrait vous fournir des éléments, mais le SGDSN n'a pas compétence sur ce sujet.
Au sujet de la criminalité organisée dans notre pays ou dans les pays étrangers, je rencontre fréquemment mes homologues du National Security Concil, ceux des États-Unis, de Grande-Bretagne et d'autres pays en vue de mettre en place des structures et des dispositifs d'échange de lutte antiterroriste et contre la criminalité organisée. Mes responsabilités précédentes au ministère de l'intérieur me permettent de souligner que nous faisons beaucoup d'efforts en ce domaine.
En matière de renseignement, les services du premier cercle que sont la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), la direction du renseignement militaire (DRM), la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) et Tracfin travaillent en étroite coopération. En ce moment même se tient une réunion placée sous l'égide du coordonnateur national du renseignement, destinée à faire le point sur l'ensemble des actions de coopération dans ce domaine. Les services du deuxième cercle sont censés étudier la prévention des crises sociales, des crises agricoles, des problèmes sociaux et sociétaux qui peuvent apparaître sur l'ensemble du territoire. Les services de renseignement de la police nationale et de la gendarmerie se coordonnent pour aboutir à une évaluation destinée aux préfets. La coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT) coordonne les uns et les autres, lesquels sont amenés à faire remonter des éléments.
J'ai vécu une expérience de mise en œuvre de moyens de sécurité civile quand j'étais préfet des Bouches-du-Rhône. Dans le cadre de l'entente interdépartementale en vue de la protection de la forêt contre l'incendie contre les feux de forêt, quatorze départements, sous l'égide d'un élu, mettent en commun leurs moyens de services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), décident de faire ensemble leurs investissements et de coordonner leurs interventions. L'État met à leur disposition des moyens aériens et des renforts militaires (UISC), mais ils sont capables d'agir. Compte tenu du réchauffement climatique, le sujet des feux de forêt va devenir de plus en plus présent et il conviendrait de mettre en place, par zone de défense, des structures comparables, y compris contre les inondations, afin que les SDIS mutualisent leurs équipements lourds, au bénéfice d'un équipement renforcé de fourgons pompe-tonne contre les feux de forêt et de moyens d'intervention contre l'inondation.
Le service Viginum comprend une petite cinquantaine d'agents, dont des analystes placés sous la direction d'un ingénieur des télécoms membre de la Cour des comptes, donc magistrat, qui a travaillé dans différents services. Son équipe est composée de militaires, de civils, de veilleurs, d'analystes et des chercheurs qui, pour les élections, ont travaillé sous l'autorité du juge de l'élection et des autorités de contrôle du scrutin. J'ai présenté à deux ou trois reprises nos actions devant le Conseil constitutionnel et devant la commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l'élection présidentielle (CNCCEP). Nous leur envoyions chaque soir des éléments sur ce que nous voyions ou sur ce que nous ne voyions pas, au sujet de ce qui pouvait menacer la sincérité du scrutin. Nous n'avons guère rencontré de difficultés, hormis des tentatives d'attaque visant à discréditer le système des votes électroniques et des attaques en désinformation de la part de différents États.
À ce jour, nous n'avons eu que quelques petites attaques mais rien de très sérieux, ce dont je me réjouis sur le fond et en termes d'efficacité. En venant vous présenter le projet, il y a un peu plus d'un an, je vous ai indiqué qu'il s'agissait d'appliquer le principe en œuvre contre les feux de forêt. Il faut arrêter la fake news le plus tôt possible pour éviter l'embrasement car, une fois propagée, on ne peut plus l'arrêter. Notre rôle n'est pas de dénoncer un mensonge, mais d'alerter sur le fait qu'on n'est pas en train de discuter avec M. ou Mme Dupont mais avec un agent des services de renseignement de tel pays et qu'on reprend un Tweet que l'on croit repris par 200 000 ou 300 000 personnes, alors que ce sont 200 000 ou 300 000 clics faits d'un bloc entre 1 h 05 et 1 h 07 du matin, vraisemblablement d'un endroit où les fonctionnaires travaillent, donc pas chez nous et vraisemblablement le fait d'un bot. Nous devons faire comprendre qu'une information en train de s'étendre peut être artificiellement amplifiée, construite et développée et que l'on ne discute pas avec des gens comme vous et moi mais avec des agents qui reprennent un discours de propagande. Nous le voyons à la présence de fautes d'orthographe, d'anglicismes, de russicismes ou de mêmes faux accents aux mêmes endroits. Nous le faisons savoir, puis les gens jugent. S'ils considèrent que l'information vaut la peine d'être reprise, ils doivent savoir qu'elle a été montée, utilisée, développée par un État étranger ou le proxy d'un État étranger. Viginum a pour objectif la transparence et de pouvoir présenter comme telle une information venant de l'étranger et d'en tirer les conséquences. Le cas échéant, s'il apparaît qu'elle tombe sous le coup de la loi en raison, par exemple, d'attaques antisémites, nous saisissons la justice et en revenons à la bonne vieille loi de 1880 sur la presse.