Je ne répondrai pas individuellement à tous les orateurs, une grande partie d'entre eux ayant manifesté leur intention de soutenir le projet de loi – ce dont je me réjouis – et tous ayant exprimé des préoccupations convergentes. Je m'en tiendrai à trois points.
Certains, comme M. Le Gall, estiment que la sécurité de l'Europe est assurée indépendamment de l'activation de l'article 5 de l'OTAN par l'article 42.7 du traité sur l'Union européenne, qui prévoit une solidarité entre les États membres en cas d'agression. Ils ne voient donc pas ce qu'apporterait, pour la Finlande et la Suède, l'adhésion à l'Alliance atlantique.
Je ferai à cet égard deux observations. En premier lieu, la zone grise ne porte pas chance : ainsi, la Géorgie, la Moldavie et l'Ukraine, trois pays qui ont toujours manifesté leur désir de se rapprocher de l'Europe occidentale et de nos démocraties, ont été victimes d'une agression russe et ont vu une partie de leurs territoires occupée. Je comprends que cela ait conduit nos amis finlandais et suédois à considérer que la ligne claire était préférable. L'incertitude étant la cause de bien des conflits, cela est en soi une source de sécurité.
En second lieu, l'engagement prévu par les deux traités n'est pas de même nature – cela a été souligné précédemment par les experts du ministère des Armées et du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. L'article 5 est plus ferme que l'article 42.7, puisqu'il prévoit qu'une agression contre un État membre « sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties » et que « chacune d'elles […] assistera la ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d'accord avec les autres parties, telle action qu'elle jugera nécessaire, y compris l'emploi de la force armée ». Une telle allusion à la force armée n'existe pas dans l'article 42.7. L'article 5 du Traité de Bruxelles modifié, qui régissait les relations entre États membres de l'Union de l'Europe occidentale (UEO), était d'ailleurs encore plus net – j'ai toujours regretté sa disparition.
Plus généralement, pourquoi deux systèmes ? C'est le produit de l'histoire, et plus particulièrement de cette grande idée qu'est la sécurité collective, qui fut défendue par le président Wilson et, en France, par Léon Bourgeois, Aristide Briand, Léon Blum et d'autres grands esprits. L'objectif était que, face à des agressions nationalistes, les pays unis par leur confiance dans les valeurs démocratiques s'engagent à faire montre de solidarité. Si cette volonté a échoué en 1918 du fait du refus américain de signer le traité de Versailles, elle a été réaffirmée, dans des conditions extrêmement difficiles, après la seconde guerre mondiale, notamment par le président Truman qui a opposé aux visées soviétiques un front d'airain qui a permis de maintenir les libertés démocratiques à l'Ouest de l'Europe. Cette sécurité collective reste l'instrument fondamental de notre défense, et je ne vois pas pourquoi on s'en inquiéterait.
De ce point de vue, l'Union européenne est complémentaire de l'OTAN, puisque l'apport de la solidarité européenne à la défense couvre des domaines que l'OTAN ne couvre pas nécessairement, notamment tout ce qui relève de l'action non militaire ou indirecte ou de l'action « hors zone », par exemple à travers les actions que nous menons en Afrique ou en Méditerranée, ou encore le renforcement des moyens technologiques et militaires en Europe. Le Sommet de Madrid a consigné la complémentarité accrue de ces moyens de défense.
Certes, un problème se poserait si les États-Unis s'éloignaient de leurs principes et renonçaient à appliquer l'article 5. Dans ce cas, mon rapport le dit clairement, c'est non seulement la complémentarité, mais la relève par les Européens qui serait à construire. Nous n'en sommes pas là ; pour l'heure, nous n'avons rien à reprocher au président Biden, dont la gestion de la crise ukrainienne est exemplaire. Mais l'avenir est incertain.
Tout comme M. Le Gall et M. Lecoq, je suis indigné de la façon dont l'État turc marchande sa ratification. Néanmoins, je ne crois pas que cela fasse peser une menace supplémentaire ni sur les Kurdes, ni sur les Grecs. Les Turcs ont le souci d'une certaine respectabilité et ne vont pas se lancer de façon inconsidérée dans l'aggravation de l'un ou l'autre de ces conflits. Ayant reçu la maire de Raqqa, nous sommes bien placés pour savoir que la situation des Kurdes est de toute manière extrêmement délicate. Je crois savoir que leurs relations avec les Turcs se sont un peu apaisées et je ne pense pas, monsieur Lecoq, que ce qui a été convenu dans le cadre de la procédure d'adhésion puisse nuire de quelque façon que ce soit à ceux qui, comme vous l'avez justement rappelé, ont été nos alliés dans la lutte contre Daech. Cependant, je propose que notre commission soit extrêmement vigilante, dans les mois qui viennent, à d'éventuels dérapages d'Ankara.