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Intervention de Laurence Boone

Réunion du lundi 25 juillet 2022 à 20h00
Commission des affaires étrangères

Laurence Boone, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée de l'Europe :

Monsieur le président, je vous remercie sincèrement pour votre propos liminaire et votre invitation. Permettez-moi également de vous féliciter de votre élection.

Chacun ici connaît l'investissement qui a été le vôtre, et celui de nombreux députés ici présents, pour faire vivre la PFUE. Tous, vous avez œuvré pour la coopération interparlementaire, qui a joué un rôle décisif dans l'avancement de nos dossiers communs. Vous avez, comme toujours, apporté un éclairage précieux au débat public.

Je sais que l'ordre du jour de la présente session extraordinaire est dense. J'ai bien volontiers répondu à l'invitation de la commission des affaires européennes et à celle de votre commission car il importe, me semble-t-il, que nous puissions échanger avant la déclaration du Gouvernement sur le bilan de la PFUE, suivie d'un débat, qui est prévue jeudi 28 juillet dans l'hémicycle. Je suis, bien entendu, à votre disposition.

La PFUE a été saluée sur l'ensemble du continent. À Bruxelles la semaine dernière, à Prague la semaine précédente, j'ai été très impressionnée par la reconnaissance qu'elle inspire. C'est avant tout une réussite collective, qui est aussi la vôtre.

Je commencerai par évoquer les deux éléments structurants de la PFUE qu'ont été la guerre en Ukraine et l'agenda de souveraineté, avant de parler de la suite, sous la présidence tchèque, et de ce qui reste à faire, qui est considérable.

S'agissant de la guerre en Ukraine, déclenchée le 24 février dernier, c'est l'honneur de la France d'avoir tout fait pour essayer d'éviter ce drame, dont nous mesurons aujourd'hui ce qu'il nous coûte, et d'avoir su mobiliser ses partenaires européens pour y répondre. Nous l'avons fait d'abord à l'échelle nationale. La France a pris toutes ses responsabilités pour soutenir l'Ukraine dans cette guerre d'agression, qui lui a été imposée et qu'elle doit gagner. À la présidence du Conseil de l'UE, la France a aussi été au rendez-vous pour répondre à l'agression de la Russie. Les sanctions prises sont sans précédent, tant par leur ampleur que par la rapidité avec laquelle elles ont été adoptées. En tout, six paquets de sanctions ont été décidés, dans l'objectif clair d'empêcher le président Poutine de poursuivre la guerre lancée le 24 février. La semaine dernière, les vingt-sept ministres réunis au sein du Conseil des affaires étrangères se sont mis d'accord sur un nouveau paquet de sanctions, qui vise à maintenir et à harmoniser les précédentes, augmentées de sanctions sur l'or.

Par ailleurs, l'UE a accompli une grande avancée et brisé un tabou majeur en finançant des armements, y compris létaux, qui sont nécessaires à l'Ukraine pour se défendre. Le 18 juillet, le Conseil des affaires étrangères a adopté une cinquième tranche de 500 millions d'euros, ce qui porte à 2,5 milliards le montant total du soutien de l'UE.

Outre une aide militaire, l'UE a fourni une aide humanitaire en accueillant des millions d'Ukrainiens et d'Ukrainiennes chassés par le conflit. Dès le 27 février, soit trois jours après le début de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, les vingt-sept États membres, dans le cadre d'un Conseil extraordinaire Justice et affaires intérieures, ont décidé à l'unanimité d'activer, pour les réfugiés ukrainiens, le dispositif de protection temporaire. À l'heure actuelle, 3,8 millions d'Ukrainiens bénéficient de ce statut.

L'UE a aussi fourni une aide alimentaire, en ouvrant des voies de solidarité pour évacuer, par les territoires de l'UE, autant de céréales ukrainiennes que possible. En juin, plus de 2,4 millions de tonnes de céréales ont été exportées, principalement via la Roumanie. Ce chiffre est inférieur à celui des exportations de l'Ukraine avant-guerre, mais il est significatif. Je n'ignore pas les développements survenus ce week-end. Bien entendu, nous souhaitons que l'accord conclu vendredi 22 juillet sous l'égide de l'ONU soit respecté, afin que reprennent les exportations de céréales dont tant de pays, notamment de l'autre côté de la Méditerranée, ont besoin.

Le plus impressionnant, du point de vue politique, est la capacité de tirer les conséquences de la guerre dont l'UE a fait preuve pour se projeter et devenir plus forte, plus souveraine et plus autonome. Lors d'une conférence interparlementaire au Sénat, vous avez, Monsieur le président, prononcé ces mots très forts, qui doivent orienter nos actions à l'avenir : « Nous sommes unis. Il nous reste à être forts. […] Si nous ne réagissons pas, le XXIe siècle se fera sans nous ». Nul ici n'en doute, me semble-t-il : les Européens ont su réagir, non seulement par les actions immédiates que je viens de rappeler mais également de façon stratégique, et ce dans trois domaines.

En matière énergétique, les chefs d'État et de gouvernement réunis au sommet de Versailles sont convenus de travailler à sortir d'urgence de notre dépendance au pétrole et au gaz russes. L'objectif est de réduire de deux-tiers la consommation de gaz russe d'ici à la fin de l'année. Cette première évolution tend à corriger la naïveté dont nous avons pu faire preuve dans nos rapports avec la Russie. Dans ce conflit, la première et principale arme de Vladimir Poutine est notre dépendance à l'énergie qu'il nous fournit.

Une autre décision a été prise au sommet de Versailles : remédier d'urgence au sous-investissement des Européens dans leur défense. Lorsque j'étais conseillère à l'Élysée, il y a cinq ans seulement, l'Europe de la défense était impensable. Aujourd'hui, nous nous apprêtons à adopter un instrument européen doté d'un fonds d'urgence de près de 500 millions d'euros qui permettra aux États membres de reconstituer leurs stocks, grâce à un mécanisme d'approvisionnement conjoint. Ainsi, les petits pays pourront acheter des armes et des munitions pour remplacer celles qu'ils ont cédées à l'Ukraine. À plus long terme, nous voulons mettre en œuvre un programme d'investissement européen pérenne.

La troisième évolution stratégique façonnera l'Europe dans laquelle nous avançons : à Versailles, les chefs d'État et de gouvernement ont décidé d'approfondir leur vision stratégique de notre voisinage. Ils ont ainsi choisi, à l'unanimité, lors du Conseil européen de juin, d'accorder à l'Ukraine et à la Moldavie le statut de candidat à l'UE, et à la Géorgie une perspective européenne. Il ne s'agit pas d'une porte ouverte à une adhésion rapide. Cette décision, certes historique, inaugure un parcours long et exigeant. L'Ukraine devra suivre une feuille de route très claire en matière de réformes. Nous serons là pour l'accompagner. Il y va de l'intérêt de ce pays et du nôtre.

Par ailleurs, plus déterminée que jamais à ouvrir sans tarder des négociations d'adhésion avec Skopje et Tirana, la France a présenté le 30 juin, dans les dernières heures de son semestre de présidence, une proposition de compromis permettant de résoudre les dernières questions en suspens entre la Bulgarie et la Macédoine du Nord. Cette mobilisation de la France a porté ses fruits : le 17 juillet, les gouvernements bulgare et macédonien ont signé à Sofia un protocole bilatéral visant à la mise en œuvre du traité d'amitié de 2017. Mardi dernier, j'ai eu l'honneur de participer aux premières conférences intergouvernementales organisées avec la Macédoine du Nord et l'Albanie.

Cette vision stratégique englobe les Balkans occidentaux, auxquels vous êtes nombreux à porter intérêt, à juste titre, dès lors que cette région fait partie, géographiquement, historiquement et culturellement, de l'Europe. Il est du devoir et de l'intérêt de l'UE de redoubler d'efforts en vue d'assurer son ancrage européen.

On ne dira jamais assez à quel point il importe d'œuvrer pour que ces pays ne soient pas rattrapés par l'Histoire et pour que leur instabilité ne soit pas exploitée par la Russie, ce qui a été une priorité de notre présidence du Conseil de l'UE et doit l'être pour les suivantes. La réunion des dirigeants de l'UE et des Balkans occidentaux du 23 juin dernier, qui s'est tenue à l'initiative de la France, a permis d'avoir une vraie discussion sur la perspective européenne de ces États, envers laquelle l'UE a un attachement total et sans équivoque. Par ailleurs, le Conseil européen est convenu de revenir rapidement sur la question de l'octroi du statut de candidat à la Bosnie-Herzégovine.

S'agissant de l'avenir, j'aimerais aussi évoquer la communauté politique européenne (CPE). Ni la perspective d'une adhésion à l'UE, ni l'ouverture de négociations d'adhésion ne relèvent le défi consistant à arrimer à l'UE les pays concernés. Le processus est très long et semé d'embûches. La nouvelle méthode qui est suivie rend même possible un retour en arrière. Telle est la raison principale pour laquelle le Président de la République a proposé de créer la CPE.

Il s'agira d'un forum au sein duquel nous pourrons renforcer l'appui aux réformes et les coopérations non seulement avec les pays candidats, mais aussi avec les pays limitrophes, le tout sur un pied d'égalité. L'idée n'est pas de transférer un acquis mais de mener des coopérations d'égal à égal et de remédier à l'absence d'une enceinte de dialogue à l'échelle de l'ensemble de l'Europe. Les questions relatives à la sécurité, au changement climatique, aux approvisionnements énergétiques, à la mobilité, voire à certains segments du marché intérieur pourront être abordées dans ce cadre. Les pays voisins de l'UE devront obtenir des bénéfices tangibles au fur et à mesure des discussions, au lieu de se heurter à des difficultés pendant dix ans.

La CPE n'est ni une solution alternative à l'élargissement, ni une duplication des organisations existantes, ni une complexification institutionnelle, puisque cette communauté respectera l'autonomie de l'UE, tout en offrant une plus-value et en permettant d'arrimer des pays. La première réunion se tiendra à Prague les 6 et 7 octobre, sous présidence tchèque.

J'en viens à l'agenda de souveraineté, qui a d'emblée été un axe fondamental de la PFUE. Il s'agissait de renforcer la souveraineté de l'Union européenne en ce qui concerne la transition écologique, le numérique, la défense, la politique commerciale, la politique industrielle, l'espace Schengen et les migrations mais aussi la politique sociale.

En matière de transition écologique, les États membres ont adopté le 28 juin une formidable avancée concernant le paquet « Ajustement à l'objectif 55 », qui nous permettra d'atteindre d'ici à 2030 l'objectif de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre de l'UE par rapport à leur niveau en 1990.

Pour ce qui est du numérique, nous avons franchi un grand pas, unique au monde, avec l'adoption du règlement sur les marchés numériques, dit DMA, et du règlement sur les services numériques, le DSA. Il s'agit de limiter les pouvoirs monopolistiques des géants du numérique, de permettre à des entreprises européennes de se développer sur ces marchés et d'accroître le pouvoir de vigilance des utilisateurs, tout en responsabilisant les entreprises au sujet des informations qu'elles véhiculent.

Dans le domaine de la défense, nous avons fait adopter la Boussole stratégique. Ce premier Livre blanc sur la défense européenne constitue une étape pour l'UE. Il fixe des objectifs de court terme, relatifs à la guerre en Ukraine, et des objectifs de moyen terme en matière de moyens, d'industrie et d'articulation avec l'OTAN. L'UE apprend le langage de la puissance, ce qui lui permettra de peser dans les conflits en tant qu'acteur international.

En matière de commerce, mais aussi d'énergie, nous avons mis un terme à la naïveté dont l'UE a jadis fait preuve, grâce à des instruments visant à établir une réciprocité avec nos grands partenaires, s'agissant notamment de l'accès aux marchés publics, et grâce à la taxe carbone aux frontières, qui tend à faire adopter par des pays tiers des politiques de transition énergétique aussi ambitieuses que celle de l'UE.

Sur le plan industriel, l'UE a vraiment pris conscience de la nécessité de réduire sa dépendance vis-à-vis de l'extérieur et de renforcer ses capacités. Trop longtemps, la politique industrielle a été négligée, voire un peu méprisée. Tel n'est plus le cas, comme le prouvent les premiers succès de l'alliance européenne pour les batteries et les programmes paneuropéens en cours dans des domaines stratégiques tels que l'hydrogène, les semi-conducteurs, le cloud et la santé.

La protection de nos frontières, l'espace Schengen et la politique en matière de migrations sont aussi des éléments importants de notre souveraineté. Nous avons obtenu des avancées majeures permettant de résorber des points de blocage anciens. Un accord a ainsi été trouvé au Conseil de l'UE pour renforcer l'espace Schengen et lui donner un pilotage politique. Par ailleurs, nous avons franchi une première étape en ce qui concerne le pacte sur la migration et l'asile, qui reposera sur deux piliers, la responsabilité et la solidarité. Compte tenu des blocages en la matière, il s'agit d'une avancée significative.

S'agissant de la politique sociale, qui est l'une des ancres de l'UE et l'une des sources de son attractivité, nous sommes parvenus à un accord sur une directive relative aux salaires minimaux, en dépit de la diversité des cadres nationaux dans ce domaine. Par ailleurs, je suis très fière, spécialement en tant que femme, que notre pays ait pu faire adopter, après dix ans de blocage, une directive sur la participation des femmes au sein des conseils d'administration, ce qui est d'autant plus important à l'heure où l'égalité entre les femmes et les hommes régresse de manière inquiétante dans de nombreux pays. Dans ce contexte, le Président de la République a également défendu devant le Parlement européen, le 19 janvier, l'inscription du droit à l'avortement dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

J'en viens à la politique étrangère, qui complète l'agenda de souveraineté. Il est important que l'Union européenne ait une politique étrangère. La vie internationale a bien changé. Elle est devenue chaotique, voire dangereuse. La France a donc entamé un renouvellement de nos partenariats avec les grandes régions du monde, dont dépend notre avenir, au premier rang desquelles l'Afrique. Lors du sommet Union européenne – Union africaine des 17 et 18 février, nous avons procédé à une refondation du partenariat entre l'Afrique et l'Union européenne, autour des questions économiques, de la formation et de la jeunesse. Quant à la région indo-pacifique, elle est vitale non seulement pour nos exportations et nos approvisionnements mais aussi en matière militaire et de numérique, en raison de la montée en puissance de la Chine.

Les partenariats transatlantiques sont également importants. Il sera difficile de relever les défis écologiques, numériques et internationaux sans coopération entre l'Europe et les États-Unis. Or nous savons, pour l'avoir vécu en 2017, que la politique américaine peut être fragile et volatile. Il importe donc que nous construisions avec les États-Unis une relation suffisamment solide et équilibrée pour résister à d'éventuelles nouvelles turbulences. Nous pouvons nous féliciter des avancées concernant l'articulation entre l'UE et l'OTAN que constituent les demandes d'adhésion de la Finlande et de la Suède à l'OTAN, ainsi que le renoncement du Danemark à son opt-out à l'égard de la politique de sécurité et de défense commune.

La présidence tchèque puis la présidence suédoise devraient s'inscrire dans la continuité de ce qui a déjà été fait.

Le conseil des ministres européens de l'énergie étudiera demain comment assurer la sécurité d'approvisionnement de l'Union européenne, par le stockage, la réduction de la consommation d'énergie et un plan de solidarité. C'est d'autant plus crucial et urgent que la Russie a de nouveau réduit ses exportations de gaz. Les discussions en trilogue sur le paquet relatif à la réduction de 55 % de nos émissions de gaz à effet de serre le seront tout autant. Enfin, la présidence tchèque poursuivra les travaux visant à réduire notre dépendance industrielle s'agissant des semi-conducteurs et des matières premières critiques.

Notre présidence avait suscité beaucoup d'attentes concernant les valeurs et l'État de droit. Des discussions seront menées non seulement sur certains pays mais aussi pour améliorer des instruments existants, notamment le régime de conditionnalité et les instruments garantissant la protection et la sécurité des journalistes – ce sont des aspects très importants pour le débat démocratique.

Enfin, la Conférence sur l'avenir de l'Europe a été le premier exercice de participation des citoyens à l'écriture du futur de l'Union. Les propositions du rapport publié le 9 mai doivent trouver des traductions concrètes. Un événement de restitution sera organisé à l'automne. Dans leur grande majorité, ces propositions ne nécessitent pas de changement institutionnel ou de révision de traités et pourront donc être mises en œuvre rapidement. C'est essentiel pour que les citoyens voient que l'Europe répond à leurs attentes. Par ailleurs, dans son discours du 9 mai à Strasbourg, le Président de la République s'est prononcé, pour les dispositions qui le demandent, en faveur d'une révision des traités. Il faudra réfléchir non seulement au contenu d'une telle révision mais aussi à ses objectifs.

S'agissant du modèle démocratique européen et de la façon dont nous pouvons nous préserver des ingérences étrangères, un accord a été obtenu en mars sur la refonte du règlement relatif au statut et au financement des partis politiques européens. C'est bien, mais ce n'est pas suffisant : d'ici au printemps 2023, il faudra parvenir à un accord sur les autres textes du paquet « démocratie », concernant le financement des partis politiques, la transparence et le ciblage des publicités à caractère politique et la réforme de l'Acte électoral européen. Sur tous ces sujets, nous soutiendrons la présidence tchèque.

La présidence française de l'Union européenne a été exceptionnelle. Il importe de continuer et d'étendre les actions engagées, en particulier face à la guerre en Ukraine.

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