Intervention de Louise Morel

Réunion du mercredi 10 mai 2023 à 13h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLouise Morel, rapporteure :

Pour répondre à Lysiane Métayer, je dirais que l'Europe de la défense dépend d'abord d'un renforcement de ses capacités, car c'est sur elles que peut se fonder à terme une véritable autonomie stratégique. Compte tenu des limites fixées par les traités, le développement des capacités militaires de l'Union européenne peut être justifié sous l'angle de la politique industrielle. Il convient ainsi de s'appuyer principalement sur l'article 173 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). L'article 346 TFUE accorde quant à lui aux États membres une grande latitude concernant les marchés publics en matière de défense, en raison du caractère sensible de ces achats.

La coopération industrielle constitue un socle durable des échanges entre les États membres, et la Commission a adopté en 2013 une stratégie visant à stimuler la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE), suivie d'un plan d'action proposant en 2016 la création de nouveaux outils et l'instauration du Fonds européen de défense. Ce fonds est principalement destiné au financement de la recherche et au développement des technologies et produits de la défense, pour encourager in fine les investissements dans les chaînes d'approvisionnement de la défense.

La BITDE dépend enfin du renforcement du marché intérieur dans l'Union européenne, afin de réduire sa fragmentation et d'améliorer sa compétitivité en déployant les règles propres aux marchés publics de la défense et aux transferts de produits liés à la défense.

Les différents outils européens constituent un jalon vers l'objectif d'une défense commune, mais ne s'accompagnent pas d'investissements d'un niveau comparable à ceux prévus dans la LPM. Le Fonds européen de défense est doté d'environ 8 milliards d'euros pour la période 2021 à 2027, et vise à financer les projets dans lesquels au moins trois États européens différents sont partie prenante. Il y a près de 20 ans, en 2004, était créée l'Agence européenne de défense (AED), chargée de renforcer la convergence et la coordination de l'Union européenne sur les achats conjoints.

Par ailleurs, plusieurs projets communs européens ont été initiés, qui contribuent à renforcer la BITDE, à l'instar du système de combat aérien du futur (SCAF) et du Système Principal de Combat Terrestre (ou Main Ground Combat System, MGS)

J'en viens aux questions d'André Chassaigne. Vous avez rappelé la hausse considérable du budget prévue dans la LPM pour les années 2024 à 2030, et manifesté vos doutes concernant le retour de la guerre de haute intensité.

Je voudrais tout d'abord souligner que les coopérations structurées permanentes en matière de défense peuvent s'appuyer sur le Fonds européen de défense, à côté d'autres outils tels la Facilité européenne pour la paix (FEP), qui est un instrument extrabudgétaire. Ainsi, toutes les dépenses programmées à l'échelle nationale ne rentrent pas vraiment en compte dans les débats européens. On peut certes discuter de la pertinence de ces dépenses, mais cela sera certainement l'objet de nombreuses heures de débats à partir de la semaine prochaine en séance publique.

Ensuite, nous sommes liés par les dispositions des traités, et l'article 42 du traité sur l'Union européenne (TUE) prévoit une clause d'assistance mutuelle. Dès lors que la guerre de haute intensité est revenue sur le continent européen, notre responsabilité est de préciser la politique à adopter face aux guerres de haute intensité. Ces politiques n'ont pas été créées du jour au lendemain : la boussole stratégique a notamment fourni une évaluation commune des menaces et défis auxquels est confrontée l'Union européenne, et dont la guerre de haute intensité fait partie. L'Union européenne mobilise en conséquence certains outils, tandis que certains instruments extrabudgétaires peuvent être alimentés. Mais ce sont surtout les États nationaux qui font le choix ou non d'augmenter leur propre budget militaire. Les choix nationaux des autres États membres suivent la même direction que ceux de la France, ce qui est pertinent comme nous l'ont confirmé les différentes personnes auditionnées dans le cadre du rapport d'information.

Enfin, ces débats s'inscrivent plus largement dans le cadre de l'OTAN. Vous disiez que nous étions « à la remorque des États-Unis ». L'OTAN promeut pourtant un cadre quadriennal permettant de nous équiper en bonne intelligence avec nos partenaires pour assurer une certaine complémentarité au service de la défense du continent.

Je reviendrai à présent sur les réflexions de Charles Sitzenstuhl. Il est effectivement important que la commission des Affaires européennes se saisisse de cette LPM, dont le rapport annexé mentionne seulement de manière allusive les enjeux européens. Le rapport d'information de la commission des Affaires européennes permettra donc d'éclairer nos échanges et débats au cours des prochaines semaines, et contribuera à terme à une vision plus précise de la défense commune européenne.

La boussole stratégique a été publiée quasiment au moment où la guerre en Ukraine éclatait. Si l'exercice a permis aux États membres de se coordonner et de définir les différentes menaces, il n'a donc pas directement pris en compte la guerre en Ukraine. En débattant aujourd'hui de la dimension européenne de la LPM, nous pouvons ainsi discuter de ces menaces qui pèsent en particulier sur les États membres de l'est de l'Europe.

Pour conclure, on dit souvent que l'Union européenne se construit au fil des crises. La règle d'or a suivi la crise financière, les accords de Dublin ont été une réponse à la crise migratoire, tandis que la procédure commune d'acquisition des vaccins a tiré les leçons de la crise sanitaire. On aurait donc naturellement pu penser que la guerre en Ukraine allait aboutir à un renforcement de l'Europe de la défense. En réalité, dans un certain nombre de pays d'Europe de l'Est, ceci a conduit à un renforcement de l'OTAN, qui procure un sentiment de protection supérieur.

L'autonomie stratégique européenne s'appuie sur un certain nombre d'outils qui gagneraient à être développés. Il nous revient donc d'écrire la suite. Allons-nous vraiment vers une autonomie stratégique européenne ? Comment renforcer la défense européenne face à l'OTAN, tout en gardant à l'esprit que l'une et l'autre peuvent aller de concert ?

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