Intervention de Hadrien Clouet

Réunion du mercredi 17 mai 2023 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHadrien Clouet, rapporteur :

La dépression périnatale, connue sous le terme de « syndrome post-partum », constitue aujourd'hui la deuxième cause de mortalité maternelle en France, et ce, juste après les accidents cardio-vasculaires. Pour être exact, 13,4 % des morts maternelles prennent cette forme notamment au moment du pic du quatrième mois après une naissance.

Au-delà du seul phénomène suicidaire, l'enquête nationale périnatale de 2021 a démontré que près de 17 % des femmes présentent différents signes de dépression post-partum dans les deux mois suivant l'accouchement.

Comme a pu nous dire la représentante de l'association Maman Blues, qui accueille, accompagne et aide des femmes atteintes de ce type de syndrome et de difficultés, les jeunes mamans subissent une pression d'autant plus forte que la norme procréatique en vigueur en France leur enjoint d'afficher des signes de bonheur en début de maternité. Ainsi, dans la ligne des préconisations de la Haute Autorité de santé (HAS) ainsi que de la commission « 1000 premiers jours », la LFSS 2022 a mis en place un entretien postnatal précoce obligatoire censé être mené par une sage-femme ou un médecin. Cet entretien intervient entre la quatrième et la huitième semaine après l'accouchement et est l'occasion pour les mères concernées d'évoquer les éventuels difficultés, troubles, attentes ou risques ainsi que pour les soignants de repérer différents signes ou facteurs qui pourraient prédisposer à des formes dépressives.

Alors que cet entretien est censé être entré en vigueur au 1er juillet 2022, l'obligation de le mener demeure extrêmement peu respectée. Des données parcellaires transmises par la Cnam en l'état montrent 28 338 entretiens entre septembre et décembre 2022, soit environ 10 % des naissances déclarées sur la même période. C'est donc un taux de non-recours qui, a priori, avoisine les 90 %. L'ensemble des professionnels rencontrés nous a confirmé que la pratique demeurait encore extrêmement faible.

S'agissant des données dont nous disposons à l'heure actuelle, des chiffres plus récents portant notamment sur le premier trimestre 2023 sont-ils disponibles ? La part des mères qui bénéficient de l'entretien supposé non obligatoire s'est-elle élevée depuis le mois de juillet dernier ?

Les auditions menées nous ont également permis d'identifier trois séries de difficultés sur lesquelles j'aimerais vous entendre et qui devraient être rapidement levées afin de permettre à cette politique préventive en termes de santé physique et mentale de voir le jour et d'être effective à la fois pour les mères concernées et pour leur partenaire de vie ainsi que pour les enfants.

La première difficulté est financière. Les personnes auditionnées ont fait part d'une certaine surprise en réalisant que l'entretien n'était pas pris en charge à 100 %, contrairement à l'entretien prénatal précoce, ce qui vient rompre la construction en miroir de ces deux moments d'entretien. Le dispositif obligatoire pénalise donc les parents les plus précaires qui ont le choix entre une obligation à respecter et un coût financier à engager. Ils ne disposent pas nécessairement d'assurance complémentaire. Dès lors, le reste à charge constitue un frein important qui dissuade le fait de donner suite au dispositif. Il me paraît inacceptable que la santé des mères, de leur partenaire et de leurs enfants pâtisse d'un ticket modérateur.

Par ailleurs, l'acte en tant que tel n'est pas codé par l'assurance maladie, notamment en ce qui concerne les médecins, contribuant ainsi à ce qu'ils n'effectuent pas, en toute logique, cet entretien. Pouvez-vous confirmer l'absence de cotation ? Si oui, quel est le calendrier prévu pour développer une telle cotation ?

La deuxième difficulté relève de la signification même de l'entretien postnatal. Il existe un manque de consensus entre les différents intervenants susceptibles de l'organiser. Les auditions ont révélé des interprétations très contradictoires : les uns estiment que l'entretien relève de la santé publique, d'une politique de prévention qui diagnostique une difficulté mentale ou des signes permettant de penser que cette difficulté va se produire ; les autres estiment que l'entretien est un outil de conseil conjugal permettant au couple d'organiser la division du travail sexuel notamment, mais conjugal également autour de l'arrivée de l'enfant. Pour d'autres intervenants, l'entretien serait l'occasion d'effectuer le bilan de la prise en charge de la mère, de l'ensemble du parcours de soins, de l'entretien prénatal jusqu'à l'accouchement.

Ce désaccord implicite tient notamment à une absence de formation des professionnels de santé concernant la santé mentale périnatale. Dès lors, des organismes de formation privés s'engouffrent dans la brèche et vendent à prix d'or des formations pour que les professionnels se sentent sécurisés dans le fait de délivrer cet entretien. Le collège des sages-femmes est le seul organisme à avoir proposé un guide des bonnes pratiques en la matière. Estimez-vous que ce guide est suffisant et que l'absence de ligne directrice peut être comblée ? Si oui, comment ? Quelles sont les pistes pour un outil d'harmonisation des entretiens postnataux, de leur contenu et de leur objectif ?

La loi prévoit qu'un second entretien puisse être proposé aux femmes qui en auraient besoin. Cet entretien a un caractère subsidiaire : il n'a lieu qu'à condition que le premier entretien permette de détecter des signes qui conduiraient à justifier un second. Or parmi les facteurs à risque fixés dans les textes figure la primiparité. Pourtant, la plupart des pédopsychiatres ou sages-femmes interrogés estiment que la primiparité ne joue absolument pas et les différentes enquêtes épidémiologiques le confirment. En revanche, les facteurs comme la précarité sociale ou des fragilités à caractère économique jouent comme des variables prédictives de l'exposition à une dépression post-partum et sont beaucoup plus déterminantes.

Quels sont donc les fondements qui ont pu conduire le critère de primiparité, qu'aucun professionnel du secteur ne partage ? Estimez-vous que ce critère demeure pertinent ?

Enfin, une troisième série d'interrogations porte sur l'organisation du système de soins autour de l'entretien postnatal. Force est de constater que les usagères en ignorent l'existence même. C'est parfois le cas des professionnels de santé. Est-il prévu, face à cette situation, de mener une campagne d'information ? Quels sont les moyens envisagés par le ministère ou la Cnam pour pallier ce défaut d'information et permettre de monter de 10 % de recours au dispositif à des chiffres qui nous paraîtraient plus décents pour la santé des femmes en question ?

De plus, les professionnels interrogés ont constaté l'absence d'articulation de l'entretien postnatal avec les dispositifs ultérieurs de prise en charge des épisodes dépressifs. Il n'est pas reconnu aux sages-femmes en particulier d'adresser leur patiente à des psychologues dont les séances seraient remboursées par l'assurance maladie contrairement aux médecins. Travaillez-vous dès lors dans le sens d'une prise en charge des patientes par l'assurance maladie qui seraient adressées à des professionnels de la santé mentale ?

En conclusion, l'entretien postnatal s'inscrit dans un continuum. Pour autant, ce n'est pas nécessairement la professionnelle de santé – généralement, la sage-femme – qui conduit cet entretien. Il y a là une rupture dans l'intervenant du parcours de soins. Cette situation multiplie les risques de faille dans le parcours de la parturiente. Que pensez-vous de l'idée d'un interlocuteur unique, d'un référent tout au long du parcours périnatal qui serait également en charge de l'entretien postnatal ?

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