Notre assemblée est saisie du projet de loi visant à autoriser la ratification du traité entre la République française et la République italienne pour une coopération bilatérale renforcée, signé à Rome le 26 novembre 2021.
Ce traité, également appelé traité du Quirinal, occupe une place à part parmi les multiples traités d'amitié que la France a conclus au cours de son histoire. Par son nom même, celui du siège de la présidence italienne à Rome, il fait écho au traité de l'Élysée, qui a posé, en 1963, les fondations du couple franco-allemand, en promouvant une coopération bilatérale renforcée et un dialogue systématique.
Si les contextes diffèrent fondamentalement, le traité du Quirinal vise lui aussi à sceller officiellement, dans un texte à portée générale, l'amitié profonde entre la France et l'Italie, afin de renforcer leurs liens institutionnels et d'œuvrer au rapprochement de leurs sociétés civiles. En matière économique, la France et l'Italie sont des partenaires commerciaux majeurs : avec un volume global d'échanges s'élevant en 2019 à 82 milliards d'euros, l'Italie est le troisième partenaire commercial de la France et la France, le premier investisseur étranger en Italie.
S'agissant des relations culturelles, les échanges sont extrêmement riches entre nos deux pays. Ils s'appuient sur des institutions prestigieuses telles que la Villa Medici – l'Académie française à Rome –, ou encore un réseau culturel très dense. Enfin, l'Italie compte 100 000 résidents français sur son territoire et la France, quelque 400 000 résidents italiens.
Les deux pays se révèlent ainsi des partenaires importants au regard de l'intrication de leur histoire, de leur culture, mais surtout des valeurs qu'ils partagent. La relation entre la France et l'Italie n'a toutefois pas été dans le passé suffisamment structurée ni même valorisée. En outre, elle a été sujette à des fluctuations importantes au gré d'événements politiques. Nous avons ainsi constaté des situations de déphasage, qui ont engendré de l'instabilité et des crispations entre nous. L'un des principaux objectifs de ce traité vise justement à créer un cadre global pérenne permettant de dépasser ces circonstances conjoncturelles.
Il ressort des travaux que j'ai menés dans le cadre de l'examen du texte que la relation entre la France et l'Italie est éprouvée par un double paradoxe. D'une part, nous avons des points de convergence très nombreux, mais nous ne parvenons pas à les exploiter à leur juste valeur. Or lorsque la France et l'Italie agissent de concert, elles obtiennent des résultats extraordinaires, tels que le plan de relance européen, défendu par les deux pays en 2020. D'autre part, du fait de notre proximité linguistique et culturelle, nous pensons intuitivement nous connaître, alors que nos deux pays sont en réalité assez différents ; cela conduit parfois à des malentendus.
Le traité du Quirinal est pensé justement pour dépasser ce double paradoxe, en œuvrant à une meilleure structuration de la relation bilatérale franco-italienne, en améliorant la connaissance mutuelle entre nos deux pays et en favorisant l'émergence d'une matrice permettant de développer des projets concrets dans tous les domaines de coopération.
Le texte du traité s'appuie sur quatre piliers. En premier lieu, un rappel de ce qui nourrit historiquement les relations franco-italiennes – l'amitié ou l'amicizia entre nos deux pays : les valeurs partagées et leur vision commune pour l'Europe. En deuxième lieu, la promotion des échanges dans tous les domaines, au moyen de formations conjointes entre les fonctionnaires, de programmes d'échanges pour les jeunes ou encore du développement de résidences d'artistes. En troisième lieu, l'ambition de faire de ce cadre pérenne une matrice à projets, afin de permettre l'éclosion de programmes bilatéraux concrets. Sont énumérés dans le traité plusieurs domaines de coopération possibles tels que l'économie, l'énergie, la défense, l'espace, le numérique, la lutte contre le changement climatique, la protection des Alpes et de la Méditerranée, la santé, l'éducation, la recherche, la culture ou encore la jeunesse – et j'en passe. Enfin, en quatrième lieu, la volonté, rappelée par Mme la secrétaire d'État, de développer ce réflexe franco-italien grâce à des mécanismes de consultation régulière, tant au niveau politique qu'au niveau administratif.
La structuration des relations institutionnelles prévues par le traité a en effet pour objectif de faire émerger une culture administrative commune et des habitudes de dialogue systématique, de sorte que se développe ce fameux réflexe, tout comme il existe un réflexe franco-allemand. Un tel rapprochement est rendu possible par des mécanismes de consultation régulière. Sont notamment prévus au niveau gouvernemental – je ne vais en citer que quelques-uns : la relance du conseil franco-italien de défense et de sécurité, créé il y a déjà quelques années ; la création d'un forum de concertation économique ; l'instauration d'un dialogue stratégique sur les transports ; la tenue de réunions bilatérales entre différents ministères. Au niveau administratif – je ne vais pas non plus les énumérer tous –, ces formats comprennent des instances de concertation thématique, des échanges entre fonctionnaires ou encore des formations communes.
Le traité du Quirinal, signé entre deux États fondateurs de l'Union européenne, revêt une dimension européenne clairement affichée et assumée par les deux pays. La coopération bilatérale entre la France et l'Italie favorisera, j'en suis convaincue, l'approfondissement du projet européen par l'intégration plus forte des territoires et des sociétés civiles des deux pays. Les résultats engrangés pour l'Europe par le couple franco-allemand démontrent la pertinence d'une telle démarche. Renforcer les liens et la confiance entre les peuples de l'Union bénéficie à l'Europe tout entière. Les États membres sont d'autant plus confiants dans le jeu communautaire que des relations bilatérales leur apparaissent fortes et fiables.
La portée de ce traité dépendra naturellement de la volonté politique des acteurs et de son appropriation par l'ensemble des administrations concernées. Or il ressort de mes travaux que les relations entre l'administration française et l'administration italienne ont commencé à changer dès le début des discussions du traité ; ce réflexe franco-italien a commencé à émerger et il a déjà été engagé.
J'appelle votre attention sur un rôle particulier : celui que nous, parlementaires, pourrions jouer pour permettre à ce traité de remplir ses objectifs. Dans son préambule, le texte reconnaît l'importance et la vitalité de la coopération entre les parlements français et italien et souligne à juste titre l'intérêt de la diplomatie parlementaire. Échanger plus régulièrement avec nos homologues italiens pourrait se révéler bénéfique pour le renforcement de nos liens, pour l'amélioration de notre connaissance mutuelle, ainsi que pour la formation de positions convergentes. En ce sens, il serait opportun que notre Assemblée se mobilise au plus vite en faveur d'un affermissement de la coopération parlementaire instituée en novembre 2021 entre l'Assemblée nationale française et la Camera dei deputati italiana.
Pour conclure, l'avenir du traité dépendra de la régularité avec laquelle les parties s'investiront – cela nous concerne aussi – dans les mécanismes de consultation politique, des rencontres périodiques permettant de favoriser en amont le règlement d'éventuels malentendus. Il dépendra également de la qualité des échanges entre les sociétés civiles de nos deux pays, qui permettront de valoriser le parcours commun et de faire émerger des ambassadeurs de la relation franco-italienne, notamment au sein de la jeunesse. Enfin, il dépendra d'une juste évaluation des priorités et des besoins, afin d'assurer une coopération efficace dans tous les domaines prévus par ce traité.
Je tiens à le rappeler, ce traité est un cadre, une enveloppe, qu'il nous faudra remplir. La coopération bilatérale renforcée entre la France et l'Italie sera ce que le traité produira. En Italie, le texte a été définitivement ratifié par le Parlement italien à la suite de votes largement favorables, tant à la Chambre des députés, le 25 mai 2022, qu'au Sénat le 5 juillet. J'insiste sur l'intérêt que la coopération bilatérale renforcée présente pour nos deux pays, mais aussi et peut-être surtout, pour l'Europe dans son ensemble. Pour cette raison j'invite l'Assemblée à voter sans réserve en faveur de l'approbation de ce traité.