Vos questions illustrent bien les différentes tensions au milieu desquelles se trouve l'OFB.
Vous m'avez interrogé sur les moyens humains dont l'OFB dispose. Pour le fonctionnement d'un établissement public dont les métiers sont liés à la gestion, à la police et à la mobilisation, le nombre d'agents est crucial. Les capacités d'action sont liées aux moyens humains déployés dans les territoires, et je note avec satisfaction que le Gouvernement l'a pris en compte. Au moment de sa création, l'OFB devait perdre 127 postes sur trois ans, mais ces suppressions ont progressivement été annulées et aucune n'a eu lieu, alors même que le contexte était à la diminution des effectifs de tous les établissements publics. Quinze postes ont même été créés dans la loi de finances initiale (LFI) de 2023.
À moyen terme, la création d'un grand établissement à partir de plusieurs structures permet de réaliser des économies, et la dématérialisation, de dégager de marges de manœuvre en modifiant la manière de travailler. C'est le travail qui a été accompli au sein de l'établissement ces dernières années, de manière à retrouver ces marges de manœuvre et à réorienter des forces en visant spécifiquement l'action dans les territoires. L'OFB s'est en particulier structuré dans le domaine marin, grâce à trente-sept créations d'emploi dans les parcs naturels marins. L'outre-mer a également bénéficié d'une augmentation des troupes de 20 %, ce qui porte l'effectif total à environ 170 personnes.
Le recul du trait de côte me tient particulièrement à cœur. L'OFB a mis beaucoup d'énergie, ces trois dernières années, depuis la loi « climat et résilience », à construire, sur le fondement d'un rapport de M. Buchou, un nouveau modèle qui permettra de vivre avec la montée du niveau des eaux. Réaménager le littoral en ayant une vision dans le temps passe d'abord par de la production de connaissances. Un décret établit, sur la base du volontariat, la liste des collectivités exposées, ce qui permet d'identifier les points d'érosion et d'aléas liés au recul du trait de côte puis de mettre en place les outils nécessaires à un réaménagement durable du littoral, tels que les plans pluriannuels d'aménagement et le bail réel d'adaptation à l'érosion côtière (Braec). Le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) et le Conservatoire du littoral font partie des opérateurs qui travaillent sur le sujet et proposent des solutions aux collectivités. Le modèle économique n'est pas encore calé. Il reste encore à faire, notamment en matière législative. Je suis convaincu que si nous ne prenons pas ce sujet à bras-le-corps, les collectivités concernées iront dans le mur. Il me semble que c'est la responsabilité de l'État d'éviter cela.
L'éolien est un sujet sur lequel l'OFB travaille également avec beaucoup d'énergie. Il est d'autant plus complexe que les enjeux diffèrent selon que les éoliennes se situent sur terre ou en mer. En mer, leur incidence diffère en fonction des types d'oiseaux et du lieu d'implantation. Les puffins, qui sont une espèce protégée emblématique, volent généralement entre 0 et 1 mètre. Des pales à 150 mètres ne sont donc pas un problème, sauf peut-être si on les équipe de lumières qui risqueraient d'attirer vers elles ces oiseaux de nuit. C'est tout bête, mais finalement pas si simple. D'autant que s'ajoute la question des oiseaux migrateurs. La France étant un important lieu de passage migratoire dans le Nord et dans le Sud, il faut vérifier si les oiseaux passent à hauteur des pales, s'ils se posent ou si les éoliennes les dévient de leur trajectoire. Pour le moment, nous n'en avons pas une connaissance parfaite, ce qui implique que nous devrons évoluer à mesure que nous l'améliorerons. Là encore, l'OFB investit beaucoup d'énergie ; je peux citer en particulier les études Migratlant et Migralion, concernant respectivement l'océan Atlantique et la mer Méditerranée, qui utilisent toutes les informations permettant de savoir comment les oiseaux se déplacent, dont les données radars et les bagues.
À terme, ces connaissances permettront de déterminer les conditions dans lesquelles pourront être construites les éoliennes. Je suis convaincu que les politiques publiques relatives à l'éolien et aux enjeux migratoires peuvent fonctionner ensemble, quitte, parfois, en fonction de la migration des oiseaux et de leur itinéraire, à brider ou à arrêter les éoliennes, voire à les aligner ou à envisager de déplacer les futurs parcs. Compte tenu des objectifs ambitieux que se fixe la France en matière de développement de l'énergie éolienne, c'est un enjeu de planification. L'OFB y travaillera par étapes.
Vous êtes plusieurs à avoir parlé de police : c'est en effet un sujet majeur pour l'OFB, qui compte plus de 1 800 inspecteurs de l'environnement assermentés dans les territoires. Certains députés pensent qu'ils sont trop nombreux, trop répressifs ; d'autres estiment qu'il n'y en a pas assez et qu'ils font trop preuve de pédagogie. Là encore, il faut trouver le juste milieu. N'oublions pas que la police n'est pas une fin en soi, mais un outil : il ne s'agit pas de mettre le feu dans les territoires mais d'orienter les administrés vers la mise en œuvre des politiques environnementales.
En matière de police, je conçois les choses assez simplement. Le rôle du préfet est majeur : il est chargé d'organiser, au moins une fois par an, une réunion stratégique de la mission interservices de l'eau et de la nature (Misen), qu'il dirige dans son département. Il lui revient de hiérarchiser les enjeux du territoire ainsi que les enjeux nationaux contenus dans une stratégie nationale de contrôle définie par le ministère de la transition écologique – un document dont nous sommes en train de finaliser la revue. On ne peut pas mettre un agent derrière chaque personne : le préfet doit donc déterminer quels sont les enjeux prioritaires, où il faut faire bouger les choses, et organiser ses services en conséquence. L'OFB, qui participe aux différentes Misen, doit s'intégrer dans ces priorités de contrôle.
Ensuite, il faut évidemment organiser et exercer la mission de police. Il ne s'agit pas de piéger les différents acteurs, qu'ils soient élus, particuliers, chasseurs, pêcheurs ou agriculteurs. Bien que nul ne soit censé ignorer la loi, il est essentiel que nous affichions clairement, lisiblement, les enjeux environnementaux que nous jugeons prioritaires. Certains sont évidents, d'autres évoluent ; dès lors, il me semble plus pédagogique et efficace d'exercer une pression par le contrôle et d'infliger aux contrevenants des sanctions proportionnées et progressives. Si vous sortez le bazooka dès le premier contrôle, vous risquez d'être incompris par ceux que vous sanctionnez et de ne pas être suivi par le procureur. Lorsque ce dernier voit pour la première fois une sanction sur un sujet nouveau, il réagit souvent avec beaucoup de prudence : c'est ainsi qu'on se retrouve avec des rappels à la loi ou des classements qui peuvent aussi créer des problèmes.
La prise en compte des externalités négatives en matière environnementale n'est pas naturelle dans le cadre d'une économie de marché. Il faut expliquer les règles. Si cette stratégie ne fonctionne pas ou si nos interlocuteurs ne se montrent pas réceptifs, il revient alors à l'OFB, qui n'est pas un procureur, de constater les infractions de la manière la plus neutre possible. Cela donne lieu à des auditions. Plusieurs d'entre vous ont rapporté des expériences d'auditions ayant secoué les personnes intéressées, mais c'est un moyen de savoir ce qui s'est réellement passé, de mettre les choses par écrit et de permettre au procureur de prononcer une sanction proportionnée. C'est dans le cadre des comités opérationnels de lutte contre la délinquance environnementale que le procureur, le préfet et les services concernés doivent organiser les suites données au contrôle, qui peuvent être de nature judiciaire ou administrative.
S'agissant des conditions d'audition, la posture des agents de l'OFB et la manière dont ils conduisent les procédures constituent un enjeu réel et majeur. Ayant travaillé trois ans à l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, je mesure à quel point les professionnels ont besoin d'être bien formés pour mener à bien cette mission.
Tout d'abord, un agent ne conduisant pas un contrôle correctement peut se mettre dans une situation à risque. Or le directeur général de l'OFB se doit de faire en sorte que ses agents exercent leur métier dans des conditions de sécurité suffisantes. Quand vous faites des contrôles de braconnage, par exemple, vous avez intérêt à être bien préparé : lorsqu'un contrevenant est pris sur le fait, il n'assume pas toujours ses torts et a parfois tendance à surréagir ; la tension peut monter très vite. Tout l'enjeu est de réagir à ces situations dangereuses de manière calme et proportionnée : il faut être organisé, équipé, formé afin d'avoir les réflexes adéquats, sans dégainer évidemment le pistolet à chaque contrôle. Certes, les auditions peuvent parfois paraître un peu brutales, mais ceux qui ont assisté à une cérémonie du souvenir au centre de formation du Bouchet ont vu les nombreux noms inscrits sur la stèle érigée en mémoire des agents morts en service lors d'opérations de contrôle.
Par ailleurs, lorsqu'un agent conduit mal une audition ou une procédure, cette dernière tombera devant le procureur, même si l'infraction est bel et bien caractérisée, ce qui peut être incroyablement frustrant. Certains de nos sujets savent très bien faire annuler des procédures ; aussi ces dernières doivent-elles être conduites selon les règles, à charge et à décharge, en expliquant les choses. Les agents de l'OFB sont très bien formés dans ce domaine et s'efforcent d'adapter leur posture au type d'acteur qu'ils ont face à eux.
Ces enjeux complexes sont absolument essentiels : nos politiques de la biodiversité et de l'eau doivent être mises en œuvre de manière proportionnée.
Madame Ferrer, l'article du Monde que vous avez cité montre bien que trop de pédagogie ou, au contraire, pas assez de pédagogie produit des effets déviants. Dans le domaine de l'agriculture et de l'arboriculture, je souhaite que l'on n'oppose pas les différents mondes, mais je suis convaincu que nous sommes capables de faire évoluer le système.
Pendant des années, nous n'avons pas pris à bras-le-corps le problème des produits phytosanitaires. Lors du Grenelle de l'environnement, on avait déjà dit qu'il fallait diviser par deux l'utilisation de ces produits d'ici à 2018. Cet enjeu reste majeur. Si nous ne sommes pas collectivement capables de réduire l'emploi des produits phytosanitaires, nous aurons tous des problèmes. Sans insectes, il n'y aura plus d'agriculture ! J'espère que nous n'en viendrons pas à opérer la pollinisation par drone, comme à certains endroits des États-Unis. Un plan national en faveur des insectes pollinisateurs et de la pollinisation a été lancé il y a deux ans. Les actions nécessaires ne seront pas mises en œuvre contre les agriculteurs, mais elles ne seront pas non plus appliquées sur la seule base de la bonne volonté des acteurs concernés.
Il faut expliquer les choses et faire évoluer les normes. Ainsi, l'indispensable arrêté « abeilles » évoqué dans l'article du Monde, entré en vigueur au printemps 2022, s'applique depuis maintenant une année pleine. Tous les acteurs concernés n'ont pas encore tout à fait compris ce qui est permis, ce qui est interdit, les méthodes autorisées et les dérogations possibles. Nous devons donc accompagner les agriculteurs comme les arboriculteurs pour qu'ils fassent évoluer leurs pratiques. Nous devons leur apporter des solutions, car il en existe. Par ailleurs, nous avons beau être opposés à l'utilisation des produits sanitaires, nous avons tous, en tant que consommateurs, un peu de mal à acheter une tomate, une cerise ou une pomme qui ne serait pas bien ronde et bien propre. Il y a donc un effort d'éducation à faire auprès de nos concitoyens, pour qu'ils comprennent qu'une tomate moins belle mais ayant plus de goût vaut mieux qu'une tomate bien ronde mais ne contenant que de l'eau. Les pommes n'ayant pas une apparence parfaite peuvent aussi être très bonnes, surtout si elles n'ont pas été traitées avec des produits phytosanitaires. Notre action doit être progressive mais monter en puissance ; il reste des marges de progrès à accomplir mais nous devrons appliquer pleinement l'arrêté « abeilles » si nous ne voulons pas avoir des problèmes.
Ce qui est vrai s'agissant des produits phytosanitaires l'est aussi au sujet des intrants et de toute l'agriculture : il faut prendre ces problèmes à bras-le-corps. Regardez le nombre de nos concitoyens dont l'eau est devenue non potable du fait de l'utilisation de produits phytosanitaires et de micropolluants. À certains endroits, l'eau contient trop de nitrates. Si le problème n'est pas traité en amont, il doit l'être en aval, ce qui n'est pas plus facile.
Monsieur Maquet, vous avez parlé des procédures excessives, des injonctions déconnectées, du formalisme au détriment du bon sens. J'ai déjà évoqué ces sujets lorsque j'ai abordé les questions relatives à la police.
L'OFB doit s'intégrer dans les territoires, vivre avec les acteurs locaux et accompagner leur évolution. Il existe des outils permettant d'aider l'agriculture, dans le cadre de la politique agricole commune (PAC), comme les mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC), ou non – je pense par exemple aux paiements pour services environnementaux (PSE).
Pour encourager la biodiversité, il convient notamment de favoriser la plantation de bandes enherbées et de haies. Nous n'y sommes manifestement pas arrivés : selon un récent rapport du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), qui dépend du ministère de l'agriculture, 20 000 kilomètres de haies ont été détruits tous les ans ces dernières années. L'impact de ces actions est pourtant majeur pour la biodiversité et la résilience de nos systèmes : pas de haies, cela signifie plus d'érosion, des coulées de boue, des inondations, mais aussi des épisodes de sécheresse l'été puisque l'eau ne s'est pas infiltrée là où elle était nécessaire – c'est ce que nous vivrons encore l'été prochain, le comité d'anticipation et de suivi hydrologique (CASH) se réunit d'ailleurs ce matin. On voit bien que nous ne savons pas encore gérer correctement l'eau et la biodiversité dans certains territoires. Il faut planter plus de haies et apprendre à ralentir l'eau.
Cela me permet de répondre à une autre question sur la renaturation des villes, posée par Mme Luquet. Nous devons repenser différemment le cycle de l'eau et son impact sur la nature, non seulement dans les campagnes, mais aussi dans les villes. En milieu urbain, pour pallier les effets du changement climatique, il faut lutter contre les îlots de chaleur, ce qui implique d'accorder une place accrue à la nature, aux arbres, à l'herbe, et de gérer le cycle de l'eau. Il faut arrêter de tout imperméabiliser, de diriger toute l'eau dans de gros tuyaux qui l'enverront le plus vite possible à la mer. L'eau doit s'infiltrer là où elle tombe. C'est en désimperméabilisant les sols, en prévoyant des nœuds hydrauliques et en plantant des arbres et de l'herbe que l'eau va rester sous nos pieds afin d'être mobilisée au moment où nous en aurons besoin. Les meilleures bassines sont celles qui se trouvent en sous-sol. Nous subissons cette année une crise des nappes phréatiques parce que nous n'arrivons plus à les remplir. C'est donc, à mes yeux, un enjeu majeur que de repenser l'urbanisation.
Le travail mené en partenariat avec les collectivités est-il suffisant ? Cette question me permet de vous parler de la stratégie nationale pour la biodiversité (SNB), de la COP15 et de la planification écologique territoriale mise en place par le Gouvernement l'été dernier.
Objectivement, nous ne sommes pas à la hauteur de ce que nous devrions faire pour vivre en harmonie et respecter un certain équilibre vis-à-vis des ressources naturelles. Tous les indicateurs sont à la baisse : la récente étude sur le déclin des oiseaux et les résultats de la COP15, par exemple, témoignent d'une érosion énorme de la biodiversité. C'est un fait. Cela ne veut pas dire que tout est perdu, mais qu'il nous faudra changer de braquet dans un certain nombre de domaines. Ce n'est pas en mettant certaines zones sous cloche que nous réglerons le problème : rien ne sert de mettre 30 % du territoire sous cloche si nous faisons n'importe quoi dans les 70 % restants. La stratégie nationale pour les aires protégées a déterminé quelles zones devaient faire l'objet d'une protection, forte ou moins forte – ces îlots de biodiversité vont permettre à la nature de reconquérir des espaces –, mais l'enjeu réel est de trouver un équilibre quant à notre façon d'utiliser et de vivre avec la nature et la biodiversité sur le reste du territoire. À cet égard, il faut que nos pratiques industrielles, agricoles et urbaines soient compatibles avec ce que la nature est capable de nous offrir. Le défi est de tenir non pour les vingt, mais pour les 150 prochaines années. Tel est l'objet de la SNB et de la planification économique territoriale.
J'espère que des annonces seront faites très prochainement sur ces sujets, dans le prolongement de la COP15 qui a constitué une avancée majeure : c'est la première fois que nous avons défini un cadre mondial en matière de biodiversité. L'Europe est plutôt en avance sur ces sujets, où elle est un élément moteur, notamment dans le cadre du Pacte vert et de son projet de restauration de la nature en cours de discussion. La « pause réglementaire » demandée par le Président de la République s'entend après le Pacte vert. En mettant en œuvre toutes ces mesures, nous aurons déjà fait un grand pas.
Je termine en évoquant la relation avec les usagers, qui constitue évidemment pour l'OFB un enjeu majeur. Avec un peu moins de 3 000 agents, l'Office ne peut pas tout faire tout seul : il lui faut donc nécessairement travailler avec les acteurs des territoires. La mobilisation des équipes au niveau national doit être prolongée par des actions de formation et du partage d'informations avec des relais dans les territoires, qu'il s'agisse des associations de protection de la nature ou des collectivités. Pour ces dernières, les atlas de la biodiversité communale constituent une excellente porte d'entrée pour traiter de toutes ces questions, ce qui pourra se traduire par des mesures touchant, par exemple, les plans locaux d'urbanisme (PLU).