Nous sommes réunis pour l'examen de deux textes, les projets de loi de règlement du budget pour 2021 et pour 2022. Comme vous le savez, le premier projet de loi de règlement pour l'année 2021 a été rejeté par notre assemblée en lecture définitive le 3 août 2022, après avoir recueilli notre approbation en première et en nouvelle lectures.
Je vais essayer de vous convaincre de ne pas entraver l'adoption de ces textes. J'évacue ici les considérations sur l'exécution budgétaire, que chacun connaît : chaque groupe et chaque parlementaire a pu faire valoir son point de vue et interroger, en audition, le Gouvernement et le président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP). Vous connaissez les grands agrégats pour 2022 : le déficit public de la France s'élève à 4,7 % du PIB, contre un niveau de 5 % initialement prévu ; la dette publique correspond à 111,6 % du PIB, un taux lui aussi un peu meilleur que prévu ; l'exécution est marquée par des dépenses non anticipées, massives, en réponse à l'inflation – remise sur le carburant, charge de la dette – et par des recettes supplémentaires, qui ont compensé ces dépenses nouvelles.
Les débats sur ces éléments sont légitimes, nous les avons eus et nous les aurons encore. Mais le contenu des textes que nous examinons est entièrement contraint par l'article 37 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) et par des constats comptables.
Ainsi, l'article liminaire constate le solde public et ses composantes structurelle et conjoncturelle pour l'année écoulée. L'article 1er constate le solde du budget de l'État, en comparant les recettes et les dépenses. Eu égard à ce solde, l'article 2 décrit comment a été couvert – d'un point de vue technique – le besoin de financement de l'État, notamment par le programme d'émissions de dettes. L'article 3 autorise le transfert du solde de l'État au bilan de l'État et modifie en conséquence les valeurs de l'actif et du passif de l'État. Les articles 4, 5 et 6 constatent les dépenses, au centime d'euro près, sur chaque programme du budget général, sur les budgets annexes et sur les comptes spéciaux. Eu égard à ces dépenses, aux montants ouverts durant la gestion et aux reports effectués, ces articles procèdent aux annulations qui en résultent mécaniquement.
Dès lors, plusieurs éléments plaident pour que nous fassions en sorte, collectivement, de valider ces textes.
Il n'y a aucune marge de manœuvre dans l'écriture de ces dispositions par le Gouvernement. J'en veux pour preuve que le nouveau projet de loi de règlement pour 2021 est identique – à deux ou trois ajustements techniques près – à celui de l'année dernière : les constats comptables s'imposent au Gouvernement, comme ils s'imposent à nous ; aucun acte politique n'est engagé par ces projets de loi. Je constate d'ailleurs qu'un seul amendement, déposé en commission des finances, propose de modifier le texte d'un des deux projets de loi de règlement, puisque vos amendements portent essentiellement sur des demandes de rapport. J'indiquerai, lors de son examen, que cet unique amendement modificateur ne peut pas être adopté, précisément parce qu'il s'écarte du constat du solde public total, qui est une donnée et non pas une variable amendable.
En outre, la Cour des comptes a certifié les comptes de l'État pour les exercices 2021 et 2022. Sous certaines réserves classiques – de moins en moins nombreuses au fil des années –, la Cour certifie que « le compte général de l'État est, au regard du recueil des normes comptables de l'État, régulier et sincère, et donne, dans tous ses aspects significatifs, une image fidèle du résultat des opérations de l'exercice écoulé ». La Cour certifie donc que les éléments techniques et comptables qui fondent les textes que nous examinons sont exacts et sincères.
Néanmoins, l'absence de loi de règlement pose des problèmes techniques. Le bilan de l'État, constitué de son actif et de son passif, n'a pas pu être établi au terme de l'exercice 2021. Dès lors, le projet de loi de règlement pour 2022 est construit sur une base lacunaire, qui oblige à la mise en œuvre d'une modalité de traitement comptable – l'ajout d'une ligne spécifique –, à son article 3. Cette modalité permet, certes, une information complète et fidèle, et a été validée par le Conseil d'État et par la Cour des comptes. On imagine cependant mal que cette rustine grossisse chaque année, sans que jamais le bilan de l'État puisse être constaté et établi. Notre administration et notre comptabilité nationale méritent mieux que d'avoir à gérer un casse-tête technique, grossissant chaque année. L'absence de loi de règlement pose également des problèmes spécifiques sur les comptes spéciaux, empêchant toute modification des montants reportés.
La nouvelle configuration politique à l'Assemblée nationale et la Lolf réformée donnent aux oppositions d'autres outils, plus adéquats et efficaces, pour contester la politique budgétaire du Gouvernement. Je pense aux débats relatifs au programme de stabilité et aux orientations pluriannuelles des finances publiques, en avril ou en mai, aux nouveaux débats annuels sur la dette et sur les collectivités territoriales, à l'automne. Je pense surtout aux débats budgétaires eux-mêmes – à l'occasion des projets de loi de finances (PLF) et des projets de loi de finances rectificative (PLFR) –, ainsi qu'au printemps de l'évaluation, qui a précisément pour objet, pour chaque mission et programme, de confronter chaque ministre à son exécution budgétaire et aux politiques publiques qu'il met en œuvre, sous le regard des rapporteurs spéciaux et de notre commission des finances. L'objet de la loi de règlement n'est donc pas de discuter de l'exécution sur le fond, d'autres outils existant pour cela.
Pour conclure, ne pas disposer d'une loi annuelle de règlement des comptes revient à se priver de constats comptables incontestables ; de plus, cela est non seulement source de tracas pour nos administrations et nos juridictions administratives et financières, mais aussi dépourvu de sens politique. La réalité et la vérité du débat sur les politiques budgétaire et financière sont ailleurs.
Les amendements que nous allons examiner relèvent donc en quasi-totalité de demandes de rapport, donc d'informations. J'essaierai de répondre à chacune d'entre elles, beaucoup des informations sollicitées étant d'ores et déjà disponibles. Plus largement, les amendements déposés conduisent à poser cette question : si les demandes d'information sont satisfaites – dans le débat que nous allons avoir ou par l'adoption de certains amendements –, les oppositions sont-elles prêtes à ne pas entraver l'adoption de ces textes, puisqu'elles ne proposent pas de les modifier ?
J'en appelle donc à l'ensemble des groupes politiques, de façon ouverte et transparente : si vos demandes de rapport sont, pour l'essentiel, satisfaites, votre avis sur ces projets de loi évoluera-t-il en conséquence ? Il ne servirait à rien en effet d'inscrire dans la loi ces rapports sollicités si vous ne votez pas en faveur des textes dont ils découlent... Je suis prêt à en discuter, dans l'hémicycle ou avec chacun d'entre vous avant : pourriez-vous envisager de vous abstenir sur ces projets de loi, si nous accédions à vos demandes de rapport ? Cela contribuerait à simplifier la vie de nos administrations.