Monsieur le président, j'ignorais que j'inaugurais la série des commissions d'évaluation, mais j'en suis ravi, en tant que ministre du travail mais aussi en tant qu'ancien ministre chargé des comptes publics, attaché à ces questions d'exécution et d'évaluation. Ces travaux trouvent leur place dans le cadre du printemps de l'évaluation que l'Assemblée nationale a mis en place il y a quelques années.
Je profite d'être le premier ministre auditionné dans ce cadre pour souligner que c'est l'actuelle majorité qui a remanié, depuis 2018, le calendrier des débats sur les résultats de l'exercice. Nous avons ainsi renforcé la dynamique de responsabilisation budgétaire du Parlement de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Nous continuons de le faire avec l'entrée en vigueur de la loi organique du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques. Ce texte prévoit un dépôt des projets de loi de règlement avant le 1er mai de l'année suivante, comme nous l'avions fait en avril 2021 pour l'exécution de 2020, lorsque j'étais précisément chargé des comptes publics.
La présentation de l'exercice budgétaire, qui conduit à exposer des chiffres, constitue un exercice de transparence. Nous présentons aussi des résultats. En 2022, comme inscrit dans les annexes des comptes de l'État dans le rapport annuel de performances de la mission Travail et emploi, 24,8 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 20,8 milliards d'euros en crédits de paiement ont été consommés. Ces montants sont respectivement supérieurs de 57 % et 42 % de plus 15,8 milliards d'euros d'autorisations d'engagement et aux 14,6 milliards d'euros de crédits de paiement qui avaient été ouverts par la loi de finances initiale, soit un écart plus important qu'en 2021, qui traduit l'ampleur des incertitudes qui ont marqué cette année 2022, au moins la première partie de celle-ci.
Les mouvements intervenus en cours de gestion atteignent des montants nets de 10,1 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 8,5 milliards d'euros en crédits de paiement, soit respectivement 64 % et 58 % des ouvertures prévues par la loi de finances initiale. Ainsi les crédits disponibles ont-ils atteint le montant de 25,9 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 23,2 milliards d'euros en crédits de paiement.
Cependant, nous constatons globalement une sous-consommation d'un peu plus de 1 milliard d'euros en autorisations d'engagement et 2,4 milliards d'euros en crédits de paiement, soit une sous-consommation de 4 % et 10 % respectivement. La sous-exécution, en crédits de paiement, est supérieure de 500 millions d'euros à celle de 2021.
Ce tableau de la mission Travail et emploi, pour 2022 récapitule une exécution en réalité extrêmement complexe et assez peu lisible. La Cour des comptes l'a d'ailleurs souligné dans sa note d'analyse de l'exécution budgétaire.
Premièrement, cette exécution 2022 des crédits du ministère traduit la sortie de la crise sanitaire et la réussite du plan de relance. En 2022, nous avons collectivement éteint les dispositifs d'urgence mis en œuvre en réponse à la crise sanitaire. En relais des dispositifs de la mission Plan d'urgence face à la crise sanitaire, notamment des dispositifs d'activité partielle, l'action du Gouvernement pour préserver les emplois et les compétences et protéger les plus fragiles s'est appuyée sur des dispositifs plus classiques de soutien aux mutations économiques, inscrits au programme 103 Accompagnement des mutations économiques et développement de l'emploi. Le dispositif exceptionnel d'activité partielle s'est progressivement éteint en 2022 pour être remplacé par l'activité partielle de longue durée, pour les entreprises qui ont continué de subir les conséquences de la crise.
Deuxièmement, l'exécution de la mission Travail et emploi témoigne aussi de la bonne dynamique de l'emploi en 2022. Fortement marquée par la baisse du chômage, elle témoigne de la réussite de la relance post-covid et de la tenue de notre objectif de plein emploi.
Ce sont 400 000 emplois salariés qui ont été créés en 2022, ramenant le taux d'emploi salarié à son niveau d'avant-crise. Le taux de chômage s'établissait à 7,2 % au quatrième trimestre de l'année 2022, soit le plus bas niveau constaté depuis 2008. C'est même, à l'exception de cette année 2008, le niveau le plus bas jamais enregistré depuis quarante ans. Le taux d'activité s'établissait au quatrième trimestre de l'année 202, à plus de 68 %, soit son point le plus haut depuis le début de cette mesure par l'Insee en 1975.
Ce cycle positif s'est traduit par une réduction du recours aux allocations de solidarité, inscrites au programme 102 Accès et retour à l'emploi. L'exécution, pour les allocations de solidarité, en 2022, s'est élevée à 1,9 milliard d'euros en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement, soit une sous-exécution de 415 millions d'euros par rapport à loi de finances initiale. Cette sous-exécution s'explique, pour 91 % de ce montant, par la sous-consommation de l'allocation de solidarité spécifique, qui a représenté 376 millions d'euros en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement. Il faut plutôt y voir une bonne nouvelle puisque cette moindre consommation découle d'une diminution du nombre de demandeurs d'emploi.
Troisièmement, l'exécution 2022 montre aussi que nous ne nous satisfaisons pas de cette situation et que nous souhaitons aller plus loin dans la réduction du chômage et l'amélioration de la qualité de l'emploi. Nous avons ainsi renforcé, en 2022, nos efforts en faveur de la jeunesse. Si la situation de l'emploi s'améliore globalement, elle ne s'améliore pas automatiquement pour tous. Aussi avons-nous voulu soutenir les personnes qui restent les plus éloignées de l'emploi malgré la dynamique du marché du travail.
La programmation des mesures destinées aux jeunes a ainsi atteint un niveau inédit, leur montant ayant plus que doublé par rapport à la programmation de 2020, avec 1,9 milliard d'euros en loi de finances initiale pour 2022, contre 1,2 milliard en 2021 et 800 millions d'euros en 2020. C'est notamment le pari du contrat d'engagement jeune (CEJ), lancé au mois de mars 2022 en remplacement de la garantie jeunes. Le dispositif s'approche, à la fin d'année 2022, de notre objectif de 300 000 entrées, dont deux tiers dans le cadre des missions locales. Le rapport rendu par l'inspection générale des affaires sociales au mois de décembre dernier a montré l'efficacité de la mesure. Le taux d'accès à l'emploi des jeunes inscrits à Pôle emploi et inscrits dans un contrat d'engagement jeune s'établit ainsi à 78 %, pour un taux d'accès à l'emploi durable de 48 % en onze mois – il s'agit de la première cohorte, celle du mois de mars 2022, pour laquelle nous avons pu mesurer l'intégralité des effets. Ce sont des résultats que je regarde avec prudence mais qui sont encourageants. Ils nous incitent à poursuivre ces efforts.
Nous avons aussi fait le choix de la formation par l'alternance et par le plan d'investissement dans les compétences (PIC), avec le développement volontariste de l'alternance, notamment l'apprentissage, dispositif efficace pour intégrer et former les jeunes. C'est d'ailleurs l'atteinte de ces objectifs ambitieux en matière d'apprentissage qui explique l'essentiel de la différence entre la programmation et l'exécution. C'est le signe que la politique d'insertion et de formation porte ses fruits. Ainsi, en dépit de la crise sanitaire, le nombre d'entrées dans le dispositif, pour le secteur privé, a doublé entre 2019 et 2021, passant de près de 360 000 à plus de 700 000. Notre effort soutenu, en 2022, a permis de porter ce chiffre à près de 840 000 entrées en apprentissage, dont 811 000 dans le secteur privé, ce qui nous rapproche de la cible d'un million d'alternants par an d'ici à la fin du quinquennat.
Ce soutien à l'apprentissage a représenté au total 16,8 milliards d'euros en 2022, dont 10,3 milliards d'euros apportés par France compétences au titre de la prise en charge des « coûts-contrat ». S'y est ajouté un financement par le budget de l'État à hauteur de 6,5 milliards d'euros, hors les subventions exceptionnelles versées à France compétences pour un montant total de 4 milliards d'euros. Ce soutien a été porté par différents programmes en 2022, notamment le programme 364 Cohésion de la mission Plan de relance et le programme 103 Accompagnement des mutations économiques et du développement de l'emploi.
Sur les 6,5 milliards d'euros portés par le budget de l'État, les aides exceptionnelles à l'embauche d'apprentis ont compté pour 4,8 milliards d'euros en termes de crédits de paiement exécutés, y compris pour les contrats de professionnalisation. Les exonérations de cotisations sociales et d'impôt sur le revenu, pour les apprentis, représentent 1,6 milliard d'euros. C'est l'effet d'arrondi qui nous permet d'atteindre le montant de 6,5 milliards d'euros.
Ce succès de l'apprentissage a aussi contribué en retour à creuser le déficit de France compétences. C'est pourquoi chacun des collectifs budgétaires de l'année passée s'est traduit par l'ouverture de 2 milliards d'euros de subvention exceptionnelle en soutien à la trésorerie de l'opérateur, l'État étant au rendez-vous du financement de France compétences lorsque ce besoin se fait jour.
De la même manière, notre investissement dans la formation s'est poursuivi. Le PIC s'est poursuivi en 2022, également avec des résultats concrets, notamment en termes de retour à l'emploi. J'y reviendrai.
S'agissant du PIC, la sous-exécution se monte à 2,4 milliards d'euros au total, dont 2,3 milliards d'euros sont encore disponibles à la fin de l'année pour ce seul programme ; c'est le principal facteur de sous-exécution de la mission. Ce montant de 2,3 milliards d'euros englobe notamment 1,8 milliard d'euros au titre du fonds de concours. Ce décalage, dans la consommation des crédits du programme, tient d'abord à la conjoncture : entre la sortie de la crise sanitaire et la remontée de l'inflation, l'offre et la demande de formation étaient encore assez perturbées en 2022. En outre, la complexité des mouvements de gestion témoigne de la faible lisibilité de l'exécution de ce programme. Je pourrais par exemple citer les transferts du programme 364 vers l'action PIC du programme 103, pour un montant total de 264 millions d'euros de crédits de paiement.
Je voudrais néanmoins souligner l'importance du plan, qui a permis la mobilisation d'un effort inédit de près de 14 milliards d'euros dans la formation des jeunes et des demandeurs d'emploi entre 2018 et 2022, avec des résultats intéressants. Le dernier rapport du comité scientifique d'évaluation montre qu'un demandeur d'emploi entré en formation dans le cadre du PIC voit sa probabilité d'être embauché dans les dix-huit mois augmenter de 9 %, par rapport à un demandeur sans formation. Ce levier vers l'embauche est encore plus fort pour ceux qui sont restés sans emploi depuis plus d'un an – avec une probabilité d'être embauché dans les dix-huit mois accrue de 14 points par rapport à un demandeur sans formation – et pour les demandeurs d'emploi de plus de cinquante ans, dont la probabilité d'être embauchés dans les dix-huit mois est accrue de 17 points par rapport à des demandeurs sans formation. L'expérience a donc confirmé l'hypothèse selon laquelle la formation rapproche de l'emploi.
Enfin, le plein emploi passe aussi par l'insertion. Nous avons conforté le Fonds d'insertion dans l'emploi (FIE) en 2022, notamment par le développement de l'insertion par l'activité économique. Cette action a mobilisé près de 1,2 milliard d'euros en autorisations d'engagement et 1,3 milliard d'euros en crédits de paiement. Nous avons aussi intégré les initiatives territoriales et l'aide à la création d'entreprise, afin de respecter le pacte d'ambition. Ce sont ainsi 94 000 équivalents temps plein (ETP) qui ont été conventionnés par l'État avec les structures en 2022.
Ces dépenses se signalent également par une sous-exécution par rapport à la loi de finances initiale, d'environ 127 millions d'euros en autorisations d'engagement et 132 millions d'euros en crédits de paiement. Cette sous-exécution « en trompe-l'œil » s'explique par la mobilisation en gestion d'une partie de la trésorerie de l'Agence de services et de paiement (ASP) et d'une moindre réalisation en ETP.
Enfin, le budget 2022 nous a permis de financer notre politique d'amélioration de la qualité du travail. Les interventions au sein des entreprises de l'inspection du travail ont été orientées en fonction de nos priorités : la lutte contre le travail illégal et les fraudes au détachement, comme depuis 2019. Plus singulièrement, la part des interventions dédiées à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes a fait l'objet d'un suivi particulier. Nous allons renforcer, en 2023, ces moyens, et les recrutements, qui seront au nombre de 300 cette année. Ce nombre traduit la volonté de faire face à la vacance et à un nombre important de départs : ce ne sont pas des postes en plus par rapport à notre schéma d'emploi.
Nous avons accompagné les politiques de plein emploi en 2022 et nous continuerons de le faire en 2023. Les différents documents dont vous disposez, notamment la note d'analyse de l'exécution budgétaire de la Cour des comptes, comportent des recommandations en matière d'amélioration du pilotage et de lisibilité de celui-ci. Cela fait partie des priorités que j'ai assignées à nos services, notamment afin d'obtenir une meilleure lisibilité des dispositifs faisant l'objet d'un déploiement territorial. Je pense à l'insertion par l'activité économique ou aux crédits du PIC. L'objectif est que nous disposions d'un suivi mensuel.
Nous devons aussi travailler à résoudre un certain nombre de difficultés que nous connaissons. L'augmentation très forte du nombre d'alternants se traduit en particulier par un déficit structurel de France compétences, auquel nous devons apporter des réponses. C'est la raison pour laquelle dès la loi de finances initiale, des concours de 1,7 milliard d'euros ont été prévus, alors que tous les concours étaient renvoyés, lors des années précédentes, à des lois de finances rectificatives.