Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du mardi 9 mai 2023 à 17h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques :

Je m'en tiendrai à mon rôle. Je ne suis ni un oracle, ni porteur d'une vérité, ni législateur. Je n'interviendrai donc pas dans le champ politique, qui n'est plus le mien.

Les questions de monsieur de Courson nous rappellent la différence qui existe entre le souhaitable, le crédible, le réaliste et le probable, s'agissant de la contribution du commerce extérieur. Cela me donne l'occasion de faire une remarque plus générale : à nos yeux, toutes les hypothèses du programme de stabilité sont assez optimistes. Elles ne sont pas absurdes ni hors d'atteinte. On peut rêver qu'elles se réalisent mais il paraît difficile d'imaginer qu'elles puissent toutes se réaliser simultanément, car toutes sont optimistes. Nous n'affirmons pas, pour autant, qu'il y a là des hypothèses insincères ou qui soient problématiques. Nous portons un jugement qui se fonde sur un raisonnement économique. C'est ainsi que fonctionne le Haut Conseil, qui est une instance pluraliste à tous égards.

Ces observations sont encore plus vraies concernant le commerce extérieur. Les hypothèses du programme de stabilité ne sont pas hors d'atteinte car il existe des marges du point de vue des exportations, notamment dans le secteur aéronautique. On peut tout de même considérer que ces hypothèses n'ont rien de pessimiste, compte tenu des performances tendancielles de notre appareil productif en termes de parts de marché. Cela suppose une augmentation massive de la qualité de cet appareil dans toute une série de plans, autant d'efforts qui seraient à financer par ailleurs.

Le Gouvernement prévoit que la réforme des retraites augmenterait l'emploi total et le PIB de 0,7 % en 2027. Cette évaluation nous paraît plutôt optimiste car ce scénario suppose que la demande globale de travail et l'investissement des entreprises s'ajustent sans délai à cette offre de travail plus importante. Or on observe généralement l'existence de délais d'ajustement, dans pareils cas.

Je crois avoir répondu à plusieurs reprises à votre question concernant les prélèvements obligatoires. Encore une fois, nous restons à notre place.

De façon un peu plus générale, nous constatons que le pays n'a pas de marges de manœuvre, ce qui fait aussi écho à la question posée à propos de la notation de l'agence Fitch. Je vous le dis à tous, mesdames et messieurs les députés, je suis un citoyen, j'entends, je lis, parfois, l'appel à des baisses d'impôt. Des baisses d'impôt qui ne sont pas financées impliquent une augmentation des déficits. Ce n'est pas le signal qui est attendu de l'économie française au cours de cette période. Cela n'interdit pas de décider de baisses d'impôt, mais celles-ci doivent être compensées. Cela peut être compensé par une baisse concomitante de la dépense ou par une hausse d'autres impôts. Il vous appartient de le dire.

Monsieur Labaronne, votre question a plusieurs dimensions. Je sais que vous êtes notre rapporteur spécial pour la Cour des comptes et pour le Haut Conseil des finances publiques. Nous avons eu ce débat à plusieurs reprises, au titre du Haut Conseil. Il y a d'abord l'immédiat. De ce point de vue, j'observe qu'il existe un écart entre le programme de stabilité, notamment du point de vue de la prévision de croissance, et le programme de stabilité de la Commission européenne. Or, une fois que l'on entre dans le cadre de la réforme, il faut que ces deux exercices témoignent d'une congruence.

Il y a un autre point dont nous aurons l'occasion de discuter à l'avenir, monsieur le député. Vous êtes parfois interrogé quant aux moyens du Haut Conseil des finances publiques. Si cette réforme est envisagée, ses missions seront considérablement accrues. Dès lors qu'il est question d'une appropriation nationale des programmes, cela induit des contrôles plus importants et, par voie de conséquence, une extension du mandat des institutions budgétaires indépendantes. Nous en reparlerons, d'autant plus qu'il est impossible aujourd'hui de mesurer l'étendue de cet accroissement, la réforme n'ayant pas encore été adoptée par le Haut Conseil. Si elle l'est, cela aura un impact sur nos travaux communs.

Il ne m'appartient pas de proposer qu'une loi de programmation des finances publiques soit adoptée préalablement aux lois de programmation. Nous devons néanmoins tous avoir conscience que les lois de programmation sectorielles obèrent les marges de manœuvre. Si nous n'y voyons pas clair de manière globale, nous nous retrouverons in fine avec une pression ( a fortiori si les lois de programmation sont toutes dépensières) qui pèse uniquement sur les mesures non programmées. Celles-ci, qui englobent notamment les politiques sociales, peuvent être sensibles pour les Français.

En matière d'inflation, les hypothèses retenues par le programme de stabilité sont atteignables mais supposent l'activation de facteurs favorables, tels que le repli des prix des matières premières. Or certains facteurs de persistance de tendances passées ou en cours semblent également présents, par exemple l'impact des baisses passées des prix agricoles ou l'impact retardé des hausses de salaire en cours. Lorsque la pression inflationniste est apparue, de nombreux observateurs estimaient qu'elle devrait disparaître au bout de deux ou trois mois. Elle demeure vive depuis plus d'un an. Chaque fois, les prévisions se décalent. Il est vrai, monsieur le rapporteur général, que les prévisions du Gouvernement, notamment en matière d'exécution budgétaire, ont toujours été respectées, et même parfois réalisées de façon un peu plus favorable. S'agissant de l'inflation, toutefois, la prévision ne cesse de se dégrader et je pense que nous devons tous faire preuve d'une grande prudence sur ce sujet. C'est la raison pour laquelle le Haut Conseil note que le retour à la normale va probablement moins vite que nous ne le souhaitons. Il faut donc rester vigilant, sans anticiper une baisse très rapide.

Monsieur le député, vous me demandez ce qu'il adviendrait si nous n'étions pas sous le seuil de 3 % du PIB en 2027. Je me refuse à l'imaginer. Nous serons déjà décalés par rapport à tous nos partenaires européens en 2026 et par rapport à presque tous nos partenaires en 2025. J'ai détaillé ce comparatif dans mon propos liminaire. Il fut un temps où nous étions dans une position beaucoup plus favorable et nous sommes en passe d'afficher la position la moins favorable parmi tous nos partenaires. Cela peut finir par poser quelques difficultés, que je ne veux pas imaginer. Je sais que le Gouvernement lui-même n'envisage pas un tel cas de figure, ce qui l'a conduit à proposer des objectifs plus ambitieux cette fois-ci.

Enfin, Madame Louwagie, j'aurai un propos de bon sens. Le programme de stabilité déposé par le Gouvernement poursuit des objectifs plus ambitieux que ceux qui étaient fixés par le projet de loi de programmation des finances publiques. Il passe à 2,6 %, au lieu de 2,9 % dans la prévision initiale, et envisage un désendettement à partir de 2024, alors que celui-ci ne devait s'amorcer qu'en toute fin de période dans la projection initiale. J'ai salué, au nom du Haut Conseil, ces évolutions. Cela veut dire que le jour où le Gouvernement déposera un nouveau projet de loi de programmation de finances publiques, celle-ci ne sera pas exactement la même. Quant aux moyens de s'assurer de leur compatibilité, l'exercice incombe au Gouvernement.

J'ai estimé qu'une loi de programmation de finances publiques était nécessaire. Je le maintiens. Pour qu'elle constitue un renfort en termes de crédibilité et non une source de perplexité, elle doit être réaliste.

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