Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du mardi 9 mai 2023 à 17h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques :

La quasi-stabilité des taux de prélèvements obligatoires est effective. Elle renvoie à la fois au retour à l'élasticité spontanée de ces prélèvements, qui est égale à un an, et à l'absence de mesures de baisse des prélèvements obligatoires, voire leur hausse en 2025, à rebours des années récentes. Nous n'attendons pas de baisse massive du taux de ces prélèvements.

L'effet de la réforme des retraites sur la croissance potentielle était déjà pris en compte dans le projet de loi de programmation des finances publiques. Il peut être estimé entre 0,1 % et 0,2 % par an mais il est compensé par l'impact du vieillissement sur la population active. Celle-ci devait connaître, en l'absence de réforme, une croissance nulle. Cette croissance sera finalement de 0,3 %. Au total, aucun élément nouveau n'est donc apporté par la réforme des retraites par rapport aux éléments dont nous disposons et nous maintenons que les prévisions de croissance potentielle sont plutôt plus élevées que la totalité des autres prévisions, compte tenu de cette réforme, qui est anticipée par tous.

En cohérence avec la révision à la hausse de la prévision d'inflation, la progression prévue de la masse salariale a été revue et s'établit désormais à 6,1 % pour 2023. Cette hausse tient à la progression, plus forte qu'attendu initialement, du salaire moyen par tête : la croissance de celui-ci est passée de 4,2 % à 5,2 %. La prévision pour 2023 est à présent plausible. Pour 2024, le Gouvernement prévoit une croissance de la masse salariale de 3,4 % et du salaire moyen par tête de 2,8 %. Cette dernière prévision nous paraît un peu basse compte tenu de la croissance de l'inflation, qui restera forte en 2023, et des délais habituels de répercussion de l'inflation dans les salaires. J'ajoute qu'il demeure d'assez nombreuses incertitudes quant à la réduction de l'inflation en 2024.

Je vais ensuite vous apporter une réponse un peu plus globale, si vous me le permettez. Un pour cent de PIB en plus ou en moins représente 0,5 % de PIB de déficit public. Nous repasserions donc sous le seuil de 3 % du PIB en 2027 avec 0,6 % de PIB en moins, soit une contraction de 0,15 % du PIB par an durant quatre ans. Ce sont en réalité des calculs extrêmement théoriques et je voudrais exprimer un message plus politique. L'objectif de revenir à 3 % du PIB en 2027 ne se discute pas, ou mal. Cet effort semblerait déjà très peu, très tard. Les objectifs fixés par le programme de stabilité (2,7 % du PIB en 2027) nous semblent, de ce point de vue, meilleurs. La question porte sur le chemin pour y parvenir, c'est-à-dire sur la crédibilité des hypothèses pouvant y conduire. Le Haut Conseil a plutôt identifié une série d'hypothèses favorables. Si celles-ci ne se concrétisent pas et si l'on veut maintenir ces objectifs, alors il faut trouver d'autres moyens. On ne peut se satisfaire d'une situation de cette nature.

La Banque centrale européenne a relevé son taux de dépôt de 350 points de base en un an. Les déclarations des membres du directoire laissent anticiper une poursuite du resserrement monétaire afin d'agir sur l'inflation. Nous sommes dans une nouvelle ère du point de vue des taux d'intérêt, pour les taux courts comme pour les taux longs. Ce n'est pas neutre en termes d'impact sur la charge de la dette. La hausse déjà observée des taux longs (260 points de base depuis fin 2021 pour le rendement des OAT à dix ans) implique, sur dix ans, une charge supplémentaire de 80 milliards d'euros pour l'État, à condition que les taux d'intérêt ne connaissent pas de hausse supplémentaire. Il faut bien sûr prendre en compte les conditions de financement de la dette, qui ne sont pas neutres. Le « policy mix » ne l'est pas davantage.

Aucun pays, au sein de l'Union européenne, n'a exactement le même système de retraites que la France. Les études montrent plutôt que l'augmentation de l'âge de la retraite augmente l'emploi et le PIB. Elles montrent aussi que la baisse de l'indemnisation a des effets assez ambigus sur le chômage.

S'agissant des dépenses fiscales, la Cour des comptes publiera cet été une note structurelle sur les dépenses fiscales. Nous allons contribuer, de manière indépendante, à la revue des dépenses lancée par le Gouvernement, à travers neuf notes structurelles qui seront publiées en juin et juillet 2023, dont l'une sur les dépenses fiscales. Je ne peux évidemment dévoiler le contenu de cette note, qui est d'ailleurs en cours de préparation. Je peux néanmoins rappeler que les travaux passés de la Cour ont mis en lumière l'importance des dépenses fiscales défavorables au climat. C'est un point incontestable.

Concernant la dégradation de la note de la France par Fitch, je serai extrêmement prudent. Je ne me prononce pas sur les attendus de la décision, ni sur la décision elle-même. Je ne crois pas beaucoup à un impact fort de cette décision sur le coût de notre crédit. J'ai été ministre des finances en 2012 et 2013, à l'époque où l'on se battait sur la ligne de front du triple A. Les effets ont, en réalité, été très faibles. J'ai tendance à penser que les agences de notation ont un rôle moins important que durant la crise financière. Nous ne sommes pas tout à fait à la même époque. La note française reste convenable et la signature de la France est bonne. Ceci ne signifie pas que ce soit sans conséquence sur les politiques publiques. Je pense qu'il faut en tirer une leçon en forme d'alerte : des perspectives crédibles d'amélioration de nos finances publiques sont nécessaires.

Dès lors, je pense que des mesures non financées devraient être évitées. C'est la raison pour laquelle nos avis comportent en effet, monsieur le président, un nouveau message qui porte sur les prélèvements obligatoires. Il ne m'appartient pas, madame la députée, d'indiquer quels prélèvements doivent augmenter ou diminuer ni ce à quoi nous pensons. Ce n'est pas du tout notre rôle. Nous précisons simplement, dans un souci d'équilibre général, que si le Gouvernement décide de diminuer les impôts – décision pour laquelle il aurait toute légitimité –, on ne peut plus le faire de manière non financée. S'il y a un message politique fort dont je voudrais qu'il soit retenu de nos échanges, c'est celui-ci. S'il y a des baisses d'impôts, elles doivent être compensées par des hausses équivalentes ou par des baisses équivalentes, ou encore par une combinaison d'actions sur ces deux leviers. On ne peut se permettre de créer de nouvelles sources de déficit à travers de telles décisions. Ce ne serait pas un bon signal.

Dans le même souci, la revue des dépenses publiques prévue par Bruno Le Maire me paraît indispensable pour étayer les réformes nécessaires. La Cour des comptes y participera à travers les notes structurelles que j'ai évoquées.

Les observations que contient notre avis ne portent aucune condamnation. Les objectifs et la volonté affichés vont dans la bonne direction. Il est bien de prendre en compte le désendettement et de vouloir réduire plus rapidement le déficit. Il est effectivement souhaitable de vouloir sortir plus rapidement de la période d'augmentation de la dette dans laquelle nous sommes. Il faut s'en donner les moyens. Or les hypothèses retenues sont plutôt favorables aux objectifs poursuivis. Il y a là un petit hiatus qu'il faudra combler d'une façon ou d'une autre. Je pense en effet qu'une loi de programmation est indispensable. Certes, le programme de stabilité prévoit et anticipe mais il ne programme pas nos dépenses publiques. Tel n'est pas son rôle. Il faut donc que l'Assemblée nationale vote une telle loi et que celle-ci soit crédible. Elle constituera alors une ancre pour une stratégie de désendettement. Si elle ne l'est pas, elle devient une source de perplexité (y compris pour ceux qui nous observent), ce qui n'est pas sans rapport avec les questions précédentes que j'évoquais. Nous appartenons à une union monétaire, l'euro, que nos compatriotes approuvent, quelles que soient leurs opinions politiques. Dès lors qu'on fait partie d'une copropriété, il faut en observer le règlement.

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