Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du mardi 9 mai 2023 à 17h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques :

Vous redoublez ! Ce n'était qu'un trait d'esprit déplacé que vous me pardonnerez.

Parmi les circonstances qui s'imposent aujourd'hui à nous figure aussi la politique monétaire, car nous sommes dans un « policy mix ». Durant des années, depuis 2012 et le fameux « whatever it takes » de Mario Draghi, nous avons vécu dans un univers enchanté : avec des taux d'intérêt extrêmement bas, voire négatifs, plus nous nous endettions, moins nous remboursions. Nous avons atteint des niveaux de remboursement de la dette qui étaient dérisoires au regard du volume de celle-ci. Sa charge ne cessait de diminuer et était inférieure à 20 milliards d'euros.

Le contexte dont nous parlons aujourd'hui n'a rien à voir. Il est marqué par une forte remontée des taux, déjà engagée, qui va se poursuivre. Les chiffres que j'ai cités concernant la charge de la dette au cours des années qui viennent (jusqu'à 80 milliards d'euros) sont issus du programme de stabilité lui-même. Je maintiens que dans un univers normal, où les taux d'intérêt sont positifs, la charge de la dette devient une dépense fort peu utile, qui obère nos capacités à financer les investissements nécessaires dans toute une série de domaines, sauf à prendre d'autres mesures pour réduire l'endettement public. Tel était le raisonnement que je voulais faire.

Dès lors, je considère en effet que le service de la dette est une dépense appelée à croître. Si elle sert à financer la croissance, les investissements sont utiles. Elle ne doit pas, alors, croître plus vite que le PIB. Ce n'est pas le cas aujourd'hui, ce qui montre qu'elle a servi, globalement, à financer des dépenses qui sont insuffisamment productives. De ce point de vue, je pense que nos avis pourront converger.

S'agissant de la question du périmètre que vous évoquez, monsieur le président, le choix entre public et privé n'est pas neutre, sans aucun doute. Le niveau des prélèvements obligatoires n'est pas indifférent du point de vue de la croissance. Il faut s'assurer que le coût du financement des dépenses publiques est inférieur à leur bénéfice. En France, il n'est pas certain que ce soit toujours le cas.

Je réaffirme ce que j'ai eu l'occasion d'affirmer ici à l'occasion de mon audition sur le projet de loi de programmation militaire. Le Haut Conseil étant depuis peu saisi de cette question, grâce à vous, nous observons qu'il y a de plus en plus de dépenses programmées, qui sont des dépenses dynamiques. Dans un contexte où il faudrait par ailleurs maîtriser la dépense publique, le poids de l'ajustement reposerait nécessairement sur les dépenses non programmées. Les chiffres deviendraient alors assez spectaculaires. Globalement, nous devons, selon les données du programme de stabilité, faire des efforts plus importants que ce qui a été fait depuis des décennies. S'agissant des dépenses non programmées, le « changement de braquet » sera encore bien plus important puisque l'effort devra être jusque deux fois plus important que ce qui a été fait jusqu'à présent. C'est un défi considérable, ce qui peut aussi soulever des questions sur le fond.

Ainsi, la charge de la dette, qui a déjà augmenté de 15 milliards d'euros en 2022, devrait continuer d'augmenter. La charge d'intérêt risque d'augmenter fortement au cours des prochaines années, car les taux d'intérêt à long terme vont augmenter. Sur dix ans, cette hausse impliquera une charge supplémentaire de 80 milliards d'euros pour l'État, si les taux restent à leur niveau actuel.

Monsieur le président, vous avez évoqué à plusieurs reprises la notion d'austérité. Notons quand même que nous n'avons connu, lors des décennies passées, aucune année au cours de laquelle la dépense publique n'aurait pas crû. Celle-ci représente tout de même 58 % du PIB, ce qui est supérieur de 8 % à la moyenne de la zone euro. Parler d'austérité, alors qu'on fait simplement en sorte de limiter la croissance de la dépense publique, ne me paraît donc pas un mot tout à fait adapté.

Nous souhaitons que les baisses d'impôts ne soient pas intégralement conservées. On ne peut, à nos yeux, décider désormais de baisses d'impôts que si celles-ci sont compensées par la hausse d'autres impôts ou par une maîtrise équivalente de la dépense publique. Nous parlons donc bien des dépenses et des recettes, en nous prononçant clairement sur cette question des baisses d'impôts. Dans le contexte que chacun a à l'esprit, ces considérations me semblent devoir alimenter notre réflexion. Je pense qu'il serait raisonnable d'arrêter le « concours Lépine » sur ces questions. J'aurai l'occasion de le dire prochainement lors d'une manifestation à laquelle vous êtes invité, au Haut Conseil des finances publiques.

Monsieur le rapporteur général, s'agissant de la réévaluation du coût des mesures de soutien, face à l'inflation énergétique, les précédents chiffres du Gouvernement évaluaient le coût net des mesures à 23 milliards d'euros en 2022 et 19,5 milliards en 2023. Ils reposaient sur des prix à terme, sur les marchés de l'énergie, enregistrés mi-juillet et mi-août 2022, à un moment où ils se trouvaient à un niveau proche du pic de septembre. Depuis lors, les prix ont été divisés par trois, ce qui a conduit à une révision importante à la baisse du coût des dispositifs comme des recettes supplémentaires. Le coût du bouclier « gaz » a été revu : il passerait de 8,5 milliards (dans l'estimation initiale) à 6,7 milliards (selon l'estimation révisée) en 2022 et de 11,6 milliards à 2,3 milliards en 2023. Le coût du bouclier « électricité » a été abaissé plus faiblement, passant de 19 milliards à 18,2 milliards en 2022 et de 34,5 milliards à 29,3 milliards en 2023. Le coût des aides aux entreprises a été revu à la baisse pour 2022, passant de 1,5 milliard à 0,5 milliard. Il a été revu à la hausse pour 2023, passant de 7,5 à 8,1 milliards. Au total, la révision à la baisse des gains l'emporte sur celle du coût brut des dispositifs de soutien. Le coût net total des mesures de soutien a donc été revu à la hausse, passant de 23 milliards à 25 milliards en 2022 (+ 2 milliards) et de 19,5 à 28,5 milliards d'euros en 2023 (+ 9 milliards).

Les prévisions transmises au HCFP ne comportent pas de détails quant à la croissance supplémentaire des dépenses. La charge d'intérêt joue en tout cas un rôle important, car les taux d'intérêt ont augmenté davantage que prévu dans les précédents programmes.

Enfin, je crois qu'il faut lutter contre l'idée selon laquelle l'inflation serait une bonne chose pour les finances publiques. Je sais que ce n'est pas la vôtre, monsieur le rapporteur général. Évidemment, l'inflation a un effet favorable mécanique sur le ratio de dette publique, exprimé en pourcentage du PIB, puisque celui-ci augmente en valeur lorsque l'inflation est en hausse. Il faut cependant prendre en compte le coût des mesures mises en œuvre pour lutter contre les effets de l'inflation et l'augmentation de la charge de la dette. Celle-ci a beaucoup augmenté compte tenu de l'importance des emprunts indexés sur l'inflation qui avaient été pris par le passé. L'effet négatif de l'inflation sur l'activité joue aussi un rôle négatif sur les finances publiques. In fine, nous devons constater qu'en 2022, l'inflation a plutôt accru le ratio de dette publique.

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