Nous avons l'honneur d'accueillir M. Manuel Valls, Premier ministre du 31 mars 2014 au 6 décembre 2016. Monsieur le Premier ministre, je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de vous être rendu disponible pour répondre à nos questions.
Le 11 juillet 2022, plusieurs membres du Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ ) ont publié ce qu'il est désormais convenu d'appeler les Uber Files, en s'appuyant sur 124 000 documents internes à l'entreprise, datés de 2013 à 2017. Cette enquête a dénoncé un lobbying agressif de la société américaine pour implanter en France – comme dans de nombreux autres pays – des véhicules de transport avec chauffeur (VTC) et pour concurrencer le secteur du transport public particulier de personnes, réservé jusqu'alors aux taxis.
Dans ce contexte ,notre commission d'enquête a deux objets : d'une part, identifier l'ensemble des actions de lobbying menées par Uber pour s'implanter en France et le rôle des décideurs publics de l'époque et émettre des recommandations concernant l'encadrement des relations entre décideurs publics et représentants d'intérêts ; d'autre part, évaluer les conséquences économiques, sociales et environnementales, en France, du modèle Uber – désormais appelé « ubérisation » – ainsi que les réponses apportées et à apporter par les décideurs publics en la matière.
Dans la mesure où vous avez été ministre de l'intérieur, puis Premier ministre lors du conflit entre les taxis et les VTC après l'arrivée d'Uber sur le marché français, entre 2014 et 2016, votre témoignage nous a semblé indispensable pour vérifier les faits révélés par les Uber files.
Les Uber files ont mis en évidence dix-sept échanges significatifs entre Uber et le cabinet du ministre de l'Économie de l'époque. Les articles mettent en évidence que cette entreprise a pu exposer ses arguments et tenter d'obtenir des modifications législatives favorables au développement de son modèle d'affaires. En outre, un « deal » aurait été conclu entre le ministre de l'Économie et Uber, après accord avec le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve. Nous avons entendu ce matin M. Cazeneuve et M. Vidalies, l'ancien secrétaire d'État chargé des Transports. L'un et l'autre nous ont dit qu'il n'y avait pas eu de deal et qu'aucune décision de l'époque relative à la réglementation des VTC – « loi Thévenoud », « loi Grandguillaume » et règlements – n'avait échappé au processus d'arbitrage interministériel. Vous pourrez nous confirmer cela.
De quelle manière votre gouvernement a-t-il traité la crise entre les taxis et les VTC, et entre les chauffeurs de VTC et les plateformes comme Uber, entre 2014 et 2016 ? Pouvez-vous préciser s'il existait des divergences entre le ministre de l'Intérieur, le secrétaire d'État chargé des Transports et le ministre de l'Économie ? Les discussions étaient-elles opaques ou, au contraire, étaient-elles transparentes, assumées et menées dans le cadre d'un dialogue interministériel classique ?
Lors de la première crise de 2014, qui a conduit à la désignation de M. Thévenoud comme médiateur, lui avez-vous transmis des consignes en amont, pour privilégier le maintien du monopole des taxis ou pour ouvrir à la concurrence une partie du marché des VTC ? Selon vous, les acteurs concernés – vous-même comme les autres membres du Gouvernement – ont-ils pu opérer librement, de façon transparente et au nom de l'intérêt général, ou ont-ils fait l'objet de pressions de la part de lobbys ou d'autres acteurs ?
Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale.
Avant de vous laisser la parole, je vous rappelle également que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».