Intervention de Alain Vidalies

Réunion du jeudi 11 mai 2023 à 9h00
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Alain Vidalies, ancien secrétaire d'État chargé des Transports, de la Mer et de la Pêche :

La société Uber s'est installée en France avec la certitude que la révolution dans le transport particulier de personnes qu'elle proposait justifiait la méthode du passage en force et le risque assumé d'un conflit juridique exacerbé. Cette stratégie n'est pas spécifique à la France, elle a été répétée dans toutes les métropoles concernées.

En France, pour parvenir à ses fins, la société Uber a délibérément mis en service UberPop, un système aberrant où chaque citoyen pouvait devenir chauffeur à ses heures perdues et a utilisé le cadre juridique de la loi d'orientation des transports intérieurs (LOTI), qui permettait le recrutement de chauffeurs avec un simple permis B. Initialement, il s'agit là de la fraude massive d'Uber.

Il a été mis fin au système UberPop et le contournement de la loi par la LOTI a été rendu impossible par un dispositif législatif. Le gouvernement de l'époque a donc été confronté à un double conflit : le conflit entre les taxis et les VTC mais aussi le conflit entre les chauffeurs VTC et la société Uber. Ces deux conflits devaient être gérées, parfois en même temps.

Je rappelle que l'opinion publique et les médias étaient très favorables à Uber qui rencontrait un véritable succès chez les utilisateurs et recrutait des milliers de chauffeurs dans les banlieues, notamment en Seine-Saint-Denis. Le service public de l'emploi, que j'avais interrogé à l'époque, participait d'ailleurs à ces opérations de recrutement aux côtés d'Uber dans une période où l'objectif de l'inversion de la courbe du chômage était le sujet majeur du débat public.

Les experts économiques, dont nous savons aujourd'hui que certains ont été rémunérés par Uber, alimentaient ce succès en célébrant la victoire du nouveau monde, autrement dit celui de la dérèglementation, sur l'ancien monde ; autrement dit celui du respect du droit du travail, mais aussi des règles spécifiques, par exemple pour les chauffeurs de taxis. J'ajoute que le ministre des Transports n'avait au départ qu'une compétence limitée, puisque pour des raisons historiques, les taxis relevaient de la compétence du ministre de l'Intérieur. Bernard Cazeneuve a demandé le transfert de l'ensemble du dossier au ministère des Transports, qui était chargé des VTC.

Au sein du Gouvernement, la ligne favorable à Uber était défendue par le ministre Emmanuel Macron alors qu'avec Bernard Cazeneuve, nous avions une autre approche. Emmanuel Macron ne cachait pas ses convictions et elles nourrissaient régulièrement nos débats lors des séances de travail communes. Cependant, les positions que je défendais ont toujours reçues un arbitrage favorable du Premier ministre et le soutien de la majorité de l'Assemblée nationale. Les « lois Thévenoud » et « Grandguillaume » ont apporté des réponses utiles et efficaces.

Sur le fond, ce n'est pas l'émergence des plateformes de ce modèle de réservation qui me pose un problème mais les conséquences sociales du modèle choisi, qui aboutit à la création de travailleurs précaires. Je regrette qu'à cette période, nous n'ayons pas su rappeler que le salariat était historiquement une conquête pour répondre à la précarité des tâcherons et que finalement ce soi-disant nouveau monde réinventait des recettes sociales appartenant à un monde très ancien.

La question de la présomption de salariat qu'évoque votre commission reste aujourd'hui d'actualité et je souhaite que le gouvernement français exprime une position de soutien à l'initiative européenne. En effet, le travail de votre commission met en exergue la question de la transparence des relations entre les responsables publics et les représentants d'intérêts privés.

Les propositions faites par le président Didier Migaud lors de son audition me paraissent pertinentes. Il convient probablement d'y ajouter une réponse particulière sur la traçabilité des amendements. À mon sens, les révélations des Uber files n'ont pas eu de conséquence pratique pendant la période où j'exerçais mes responsabilités ministérielles mais manifestement, elles interrogent sur la question de la transparence des pratiques gouvernementales.

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