Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du jeudi 11 mai 2023 à 9h00
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Bernard Cazeneuve, ancien Premier ministre :

Je ne pouvais avoir à connaître que de ce qui relevait de mes compétences au cours de réunions auxquelles je participais. Par la force des choses, je ne pouvais pas connaître ce qui m'était étranger. Cela valait à l'époque, cela vaut aujourd'hui encore.

J'ai lu que toute une série d'amendements clés en main avaient été préparés à l'attention de parlementaires qui les avaient repris in extenso. J'ai été dans cette maison pendant de nombreuses années. Je trouve ces pratiques absolument contraires à ma conception du rôle de parlementaire car un parlementaire prend en considération l'intérêt général. Il peut, bien évidemment, recevoir des gens. Ce n'est pas interdit. Avec l'article 25 de la « loi Sapin » et les règlements mis en œuvre au sein des assemblées, les choses ont beaucoup évolué. C'est très bien, nous l'avons voulu – et nous avons eu raison de le vouloir compte tenu des pratiques qui ont été révélées et dont vous venez de faire état dans votre question.

Que tout cela ait existé, c'est fort possible. Mais, même si cela a existé, cela ne pouvait pas échapper à la manière dont se conçoit le travail législatif dans un État qui fonctionne normalement. En effet, lorsqu'une série d'amendements à un texte de loi aussi important que celui auquel vous faites référence sont préparés, émanant de parlementaires ou du Gouvernement, une mécanique interministérielle se met en place. Celle-ci conduit le cabinet du Premier ministre à arrêter la position que le ministre prendra au banc du Gouvernement sur l'ensemble des sujets dont le Parlement aura à connaître. Même si le ministre de l'Économie et des Finances avait l'intensité de l'activité qui est décrite dans les articles que vous venez d'évoquer, il n'aurait donc, de toute façon, pas pu échapper à la logique interministérielle puisque, pour ma part, je n'étais pas d'accord avec ces orientations. Mes collaborateurs étaient autour de la table lorsque les décisions se prenaient à Matignon. Les ministres des Transports de l'époque, Frédéric Cuvillier puis Alain Vidalies, avaient leurs propres opinions. Emmanuel Macron n'était pas encore à la tête d'un dispositif totalement vertical le conduisant à décider de tout à tout moment. Il était un ministre parmi d'autres.

En conséquence, même si Emmanuel Macron avait voulu à ce moment-là faire tous les deals du monde, il n'aurait pas pu les faire seul. Il aurait eu en face de lui des personnes qui s'y seraient opposées pour toutes les raisons que j'évoque depuis le début de cette audition. À aucun moment, il n'aurait pu au banc du Gouvernement, si l'État fonctionnait normalement – et il a fonctionné normalement à ma connaissance –, émettre un avis sur un amendement qui n'aurait pas fait l'objet d'un accord du Gouvernement lors d'une réunion interministérielle car c'est ainsi que fonctionne l'État, quels que soient ceux qui le dirigent. Sinon, il dysfonctionne.

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