Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du jeudi 11 mai 2023 à 9h00
Commission d'enquête relative aux révélations des uber files : l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences

Bernard Cazeneuve, ancien Premier ministre :

Il s'agissait d'une politique de modernisation de la profession des chauffeurs de taxi, à laquelle ces derniers eux-mêmes n'étaient pas hostiles sous réserve d'avoir la garantie qu'elle n'était pas destinée à dissimuler une volonté de les faire disparaître. Ce n'était pas ce que nous voulions. Nous souhaitions qu'ils se modernisent et que l'offre globale soit améliorée pour les citoyens et nous considérions que la dérégulation absolue de cette activité ne le permettrait pas. J'en étais personnellement absolument convaincu donc tout à fait hostile à une politique de dérégulation telle qu'elle avait été engagée par Hervé Novelli et pouvait être souhaitée par un certain nombre d'acteurs à Bercy. Je ne le souhaitais pas et nous avions donc effectivement un débat parfois vif sur ce sujet, comme sur d'autres, pour des raisons qui tenaient au fait qu'il pouvait y avoir des désaccords entre nous. Ces désaccords étaient traités dans un cadre interministériel par le Premier ministre, en suivant une stratégie qui reposait sur la modernisation, le refus de la dérégulation complète et l'amélioration de l'offre au client. Telle était la stratégie. C'est la raison pour laquelle nous avons mis en place des dispositions législatives.

À notre départ, estimons-nous avoir atteint le but ? Non, parce que le chantier est encore ouvert à la fin de la législature, il faut avoir l'honnêteté de le dire. L'ensemble des dispositions réglementaires d'application des dispositions législatives n'ont pas été prises, notamment pour la « loi Grandguillaume », parce que le processus interministériel est tendu. De ce fait, le dispositif n'est pas complètement stabilisé. Alors que ce n'était pas le cœur de mon domaine de compétence – le sujet relevait plutôt du développement de l'activité économique – j'ai été très frappé de constater que nombre de mesures législatives avaient été adoptées sans véritables études d'impact ni outil d'évaluation du secteur. Il y avait beaucoup d'idéologie dans cette affaire et assez peu d'analyse objective du contexte. La lenteur avec laquelle la situation s'est améliorée et la difficulté à mettre en œuvre l'observatoire préconisé par la « loi Grandguillaume » montrent bien que l'idéologie avait peur des faits et que ceux qui s'inscrivaient dans une approche très libérale étaient assez peu enclins à créer les conditions d'un examen objectif de ce qu'était la réalité du service.

Quand nous partons, je suis donc convaincu que l'équilibre de la politique est bon mais que beaucoup reste à faire pour que cela aboutisse à ce que nous souhaitions. Avec le recul et en ne disposant plus de toutes les informations dont je disposais à l'époque, j'ai le sentiment que les taxis se sont vraiment modernisés, que leur pérennité n'est plus mise en cause, qu'un nouveau service s'est développé et installé à leur côté et que l'équilibre auquel notre politique voulait parvenir a globalement été consacré par les faits, même si beaucoup reste à faire.

Les conditions de travail des personnes employées par les plateformes – ou devrais-je plutôt dire « exploitées » – me paraît un élément fondamental. C'était un « irritant » pour le ministère de l'Intérieur et moi-même. Nous avions engagé à cet égard toute une série d'actions qui ne concernaient pas que la présomption de salariat mais également les travailleurs détachés. En la matière, la situation a également beaucoup progressé. Un travail a été engagé au sein de l'Union européenne. La jurisprudence française était contradictoire, incertaine. Elle introduisait de l'insécurité juridique. La Commission européenne a présenté une proposition insuffisante. Je crois comprendre que le Parlement européen l'a complétée en introduisant la présomption de salariat, à laquelle je souscris totalement. Ce qui a été fait à travers l'équilibre que nous avons voulu atteindre, auquel s'ajoute ce projet de directive européenne, devrait permettre une stabilisation définitive de l'activité de ce secteur.

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