Nous rentrons toutes deux du festival de Cannes. Une fois encore, ce festival, dans sa bulle d'hôtels de luxe et de robes de soirée, semble déconnecté, sourd aux bruits du monde, au bruit des casseroles dénonçant la brutale réforme des retraites, aux cris des féministes qui se lèvent et parfois, lasses, « se cassent ». Pourtant, derrière le strass et les paillettes, un grand nombre d'artistes et de professionnels, ceux-là mêmes qui ont à cœur de faire vivre la diversité du cinéma français et de le voir renouer avec sa vocation d'art populaire, disent leur détresse. « Sous les écrans, la dèche ! », s'exclame le collectif des travailleurs précaires des festivals de cinéma. Á l'ouverture de la Quinzaine, j'ai entendu la Société des réalisatrices et réalisateurs de films parler d'un art pris en tenaille entre logique marchande de concentration et poussée de censure réactionnaire, un écho à leur déclaration commune avec la Société civile des auteurs réalisateurs et producteurs dans laquelle les deux organismes dénoncent des pratiques qui réduisent le créateur au rôle d'exécutant.
J'ai rencontré des distributeurs indépendants. Ce chaînon essentiel du cinéma est fragilisé par le non-respect des engagements de programmation et de promotion. J'ai vu deux modèles d'exploitation s'opposer : les salles indépendantes et les gros circuits de distribution, au risque d'une scission entre deux visions du cinéma, agora populaire et accessible où l'on vient régulièrement ou « expérience premium » privative, hors de prix. J'ai aussi entendu Adèle Exarchopoulos poser, comme l'avait fait Kad Merad, la question du prix du billet de cinéma, rejoignant en cela les Français qui, l'année dernière, faisaient de ce coût la deuxième cause de la désertion des salles du cinéma.
Mis à part les millions d'euros versés aux studios de production, comment comptez-vous répondre aux besoins des autres acteurs de la filière ? Comment veillerez-vous à ce que le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) demeure le garant de la diversité du cinéma, exception culturelle française, et non un instrument de concentration ? Que proposez-vous pour revoir le partage de la valeur entre producteurs, auteurs, distributeurs, exploitants ? Que dites-vous aux Français qui, pris à la gorge par l'inflation, renoncent aux sorties culturelles ? Leur expliquerez-vous, comme Jérôme Seydoux, que le prix des places de cinéma n'a pas fini d'augmenter ? Je déposerai demain une proposition de loi prévoyant le plafonnement du prix des billets de cinéma et le partage de la valeur ; j'espère qu'elle vous inspirera.