Le jour de mon entrée en fonction, j'avais indiqué quelles seraient mes priorités. La première était de développer l'envie de culture de la jeunesse par l'éducation artistique. Cela s'est d'abord traduit par la poursuite de la politique « 100 % éducation artistique et culturelle », et aujourd'hui, soixante-dix-neuf territoires sont labellisés 100 % EAC, et par l'extension du pass Culture. Á ce jour, trois millions de jeunes gens se sont inscrits à titre individuel et le pass existe dans sa version collective pour les classes de la quatrième à la terminale. Il a pour effet le développement des sorties scolaires, en premier lieu au théâtre, en second lieu au cinéma, et la multiplication de résidences d'auteur dans les établissements d'enseignement. Lors de la prochaine rentrée scolaire, le pass Culture se déploiera dans la version collective pour les classes de sixième et de cinquième et nous travaillons à son extension en 2024 pour les Français de l'étranger. La lecture a toute sa place dans cette politique d'éveil à la culture de la jeunesse et la pratique du quart d'heure de lecture quotidien à l'école ne cesse de s'étendre.
J'ai pour deuxième priorité la défense de notre souveraineté culturelle face à l'hégémonie des plateformes numériques. Affirmer la place de la création, de la langue et de l'innovation françaises suppose d'agir dans le monde physique, si je puis dire, avec des créations artistiques dont les 260 projets déjà retenus dans le cadre de la commande publique « Mondes nouveaux » ; bientôt viendra l'acte II de ce programme qui irrigue tous les territoires. Cela suppose aussi d'agir par la régulation, ce que nous avons fait pour nos libraires, confrontés à la concurrence d'Amazon, par l'adoption de la proposition de loi de la sénatrice Laure Darcos visant à améliorer l'économie du livre et à renforcer l'équité entre ses acteurs, en particulier en instaurant un prix minimum de frais de port pour les livres achetés en ligne.
Défendre notre souveraineté culturelle, c'est aussi appuyer la vie culturelle locale et tel est l'objet du plan de soutien aux fanfares que j'ai pérennisé. C'est encore une politique volontariste en faveur de nos industries du cinéma et de l'audiovisuel. Elle se traduit par l'appel à projets La Grande Fabrique de l'image, dont j'ai annoncé les lauréats pendant le festival de Cannes. Dans le cadre du plan d'investissement d'avenir France 2030, 350 millions d'euros seront consacrés d'une part au développement des studios de tournage en France, car nous manquons actuellement des infrastructures adaptées pour répondre à la demande croissante de production de films et de séries sur notre territoire, d'autre part au doublement de nos capacités de formation, qui devraient permettre d'enseigner 10 000 jeunes en 2030. Il y a énormément d'emplois dans ces secteurs et les retombées économiques des tournages sont colossales, un euro investi dans un tournage entraînant 7,60 euros de retombées économiques directes et indirectes. Ce sont là de belles opportunités pour la jeunesse.
Enfin, l'inauguration, en septembre prochain, de la Cité internationale de la langue française au château de Villers-Cotterêts sera l'aboutissement d'un projet novateur ambitieux, ouvert sur la diversité des territoires avoisinants et la diversité de la francophonie.
J'ai pour troisième priorité la préservation et la transmission de notre patrimoine, qui englobe les monuments et les métiers. Pour la première fois, dans la loi de finances pour 2023, le ministère de la Culture consacre au patrimoine plus d'un milliard d'euros. Cela nous a permis de renforcer le fonds incitatif et partenarial, dispositif qui permet notamment d'aider de petites communes à financer la restauration de leurs édifices protégés au titre des monuments historiques ; 80 % des ressources de ce fonds vont à des localités de moins de 2 000 habitants. Ce budget nous permet aussi d'amplifier notre plan de sécurisation et de restauration des 87 cathédrales propriétés de l'État – 52 millions d'euros y seront consacrés en 2023 – et de reconduire pour cinq ans le Loto du patrimoine, que finance aussi le ministère de la Culture et qui a permis de sauver 766 sites en péril depuis sa création.
Dans quelques jours, ma collègue Olivia Grégoire et moi-même présenterons les grandes lignes de notre stratégie nationale pour les métiers d'art, politique interministérielle de soutien aux 281 métiers d'art recensés en France, tous porteurs de sens et de chances pour la jeunesse.
Ma quatrième priorité était de contribuer à l'apaisement des mémoires par la culture. L'histoire doit être regardée en face. Cela ne signifie ni l'effacement de ce qui nous gêne, ni le déboulonnage de statues, ni le déni des périodes les plus sombres de notre histoire, le révisionnisme ou la contestation des crimes contre l'humanité. C'est le chemin exigeant de la reconnaissance de la vérité historique et de la justice. Nous avons vécu un moment très émouvant hier au Sénat lors de l'adoption à l'unanimité du projet de loi relatif à la restitution des biens culturels ayant fait l'objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945, que vous examinerez à votre tour. C'est le cheminement obligé pour que les restitutions aient lieu, chacune étant l'acte de justice depuis si longtemps attendu par les ayants droit de ceux qui ont été spoliés.
Le Parlement examinera deux autres textes de restitution. Le premier est une proposition de loi de la sénatrice Catherine Morin-Desailly relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques. Le second concernera les biens culturels africains ; pour en fixer le cadre, M. Jean-Luc Martinez a rédigé un rapport qui va nous aider à définir les critères, la méthode et la doctrine.
L'apaisement des mémoires passe aussi par l'accès aux archives. Pour faciliter le travail des chercheurs et des historiens, le Gouvernement a autorisé l'accès anticipé aux archives des procès de Maurice Papon et simplifié l'accès aux archives de la guerre d'Algérie. Sont également à venir plusieurs projets mémoriels, culturels et éducatifs auxquels nous travaillons activement par des études bâtimentaires et de préfiguration : le musée-mémorial du terrorisme annoncé par le président de la République, l'Institut de la France et de l'Algérie, la Maison du dessin de presse.
Ma cinquième priorité est une nouvelle ambition pour l'audiovisuel public et la lutte contre la désinformation. Parce que nous avons tous conscience de l'ampleur du chaos informationnel, pour reprendre le terme de Christophe Deloire, directeur général de Reporters sans frontières, nous devons soutenir un audiovisuel public proposant une information pluraliste, indépendante et fiable. Nous avons vécu ensemble la suppression de la redevance et son remplacement par un autre mode de financement que vous avez proposé, le fléchage d'une partie de la TVA collectée. Lors de ce débat, nous avons, ensemble, réaffirmé l'indépendance de l'audiovisuel public. Je le redis, redevance ne signifie pas indépendance, laquelle découle de la non-ingérence dans l'éditorial et de la nomination par un régulateur indépendant des dirigeants des entreprises de l'audiovisuel public. J'ai prolongé les COM d'un an et proposé, pour donner plus de visibilité aux entreprises de l'audiovisuel public, que les prochains COM vaillent pour cinq ans au lieu de trois. La discussion relative à la définition des missions de service public concerne évidemment les parlementaires ; j'ai décidé une nouvelle méthode de concertation et je vous ai beaucoup associés à ces échanges. J'ai réuni plusieurs fois les entreprises de l'audiovisuel public et nous avons dégagé les orientations stratégiques prioritaires : l'information, la proximité, le numérique, la jeunesse, le soutien à la création.
Ma sixième priorité annoncée concernait la transition écologique de la culture. Le ministère de la Culture est désormais très engagé sur ce plan et les efforts de sobriété énergétique demandés à tous les lieux culturels ont déjà porté des fruits puisque la consommation d'énergie a baissé de 10 % en moyenne au cours des derniers mois.
Nous avons répondu à la crise due à l'inflation en débloquant dès le mois de janvier des aides exceptionnelles qui se sont ajoutées aux aides transversales décidées par le ministère de l'Économie pour soutenir les structures les plus fragiles. Pour le long terme, nous finançons dans le budget 2023 des travaux d'amélioration de la performance énergétique des bâtiments, qu'il s'agisse de musées, tel le musée d'Orsay, d'écoles d'art ou d'architecture, ou de théâtres, tel Chaillot. Je porte une attention particulière aux écoles d'architecture car ce vivier de 20 000 étudiants est un potentiel d'espoir. Parce qu'il leur reviendra de construire dans une optique écoresponsable, j'ai créé un palmarès national, RESEDA, conçu pour mettre en valeur les projets de fin d'études les plus innovants en matière de transition écologique. Nous avons aussi financé des innovations visant à accélérer la conversion écologique des établissements de la culture par le biais des appels à projet « Alternatives vertes » lancés dans le cadre du plan d'investissement France 2030. La première vague était dotée de 10 millions d'euros ; 25 millions sont consacrés à l'appel à projets en cours. Nous avons aussi ouvert avec le monde du spectacle vivant une concertation sur le thème « mieux produire pour mieux diffuser ». Vous pourrez être associés à ces échanges lors du festival d'Avignon.
Au long de cette année, j'ai donc accompagné avec énergie et enthousiasme tous les secteurs de la culture, qui sont confrontés à de nombreuses mutations : mutations numérique et écologique et aussi mutations des usages des publics. J'ai donné un nouvel élan à nos institutions culturelles en nommant quarante-deux personnalités, dont vingt-huit femmes, à la direction d'institutions culturelles ainsi féminisées, renouvelées, rajeunies et revitalisées, en puisant aussi dans le vivier des professionnels étrangers.
J'ai défendu, et je continuerai de le faire, le modèle français de liberté de création et d'expression, de diversité culturelle, d'exception culturelle face à toutes les menaces et à toutes les attaques. Certains s'en prennent directement à des œuvres d'art dans des musées après que des élus ont incité à décrocher des tableaux. Certains se mobilisent pour interdire des manifestations culturelles et des concerts ; à Carnac, à Metz… les exemples se multiplient. Certains décident aussi de supprimer ou de réduire des subventions, mettant en péril l'avenir de structures culturelles. La menace plane du désengagement des collectivités – mais pas de toutes. Un grand nombre d'entre elles sont très engagées à nos côtés pour soutenir la vitalité culturelle française, mais certaines décisions prises unilatéralement dans certaines régions ou villes ne laissent pas d'inquiéter ; il n'est pas nécessaire que je donne des noms, vous m'avez comprise.
Je ne manquerai pas, madame la présidente, de répondre à vos questions, mais je tenais, dans ce propos liminaire, à vous redire mon engagement, mes convictions et ma détermination au service de la culture, dans un dialogue constant avec vous.