L'ensemble de nos contacts étaient fluides et professionnels : si nous ne partageons pas les mêmes valeurs, Burhan comme Hemetti avaient conscience qu'ils n'avaient aucun intérêt à mettre en danger la vie de la communauté étrangère. Cependant, nous pouvions craindre que les instructions de ces généraux ne soient pas totalement respectées.
Il faut aussi rappeler l'action de nos partenaires. Les Américains, en particulier, avaient des moyens de pression importants sur les deux belligérants pour faire respecter le cessez-le-feu, lequel a assuré des conditions plus propices à l'évacuation.
J'ai évoqué l'absence d'intérêts économiques de la France sur place mais, en effet, la stabilité de l'Afrique est bien évidemment importante pour limiter les mouvements migratoires, qui peuvent aussi provenir d'autres pays de la région.
Il est très difficile d'envisager l'évolution du conflit, qui pourrait se transformer en scénario épouvantable, sur le modèle libyen, syrien ou yéménite, en mettant en jeu l'affrontement d'influences étrangères et d'intérêts économiques, auxquels s'ajouteraient des phénomènes tribaux et rebelles et la dissémination des armes. Pour l'heure, nous voulons croire qu'il est possible de ne pas en arriver là. Mais on peut imaginer que Burhan, qui dispose d'armes lourdes – l'armée soudanaise, depuis l'époque de Bechir, a été équipée par la Russie – et d'un corps plus discipliné, parvienne à l'emporter. Dans ce cas, on observerait une forme de retour dans le passé : le Darfour, tenu par Hemetti, se constituerait en zone rebelle permanente. À l'inverse, si Hemetti parvenait à tenir Khartoum durablement, les islamistes et les autres provinces risqueraient de s'autonomiser.
Il faut donc trouver un accord entre les deux belligérants. Mais cet accord ne sera rendu durable que par l'émergence d'une force civile plus viable, solide et large que celle qui a existé entre 2019 et 2021.