Le Soudan était dans une situation de grande fragilité depuis la révolution de 2018 et l'arrivée d'une coalition aussi improbable que fragile entre le général Burhan, d'anciens supplétifs darfouris – qui, du temps du général Bechir, combattaient dans le Darfour – et les partis traditionnels de la capitale de Khartoum. Lorsque le premier ministre qui était à la tête de cette coalition, Abdallah Hadmok, a été contraint de se retirer, elle est devenue purement militaire et dirigée par un diptyque instable : les différences de culture ne sont en effet pas négligeables entre une armée et des supplétifs, et entre des Darfouris et une armée à l'ADN essentiellement nilotique. Par ailleurs, le Soudan était plongé dans une grave crise économique et devait faire face à d'autres éléments rebelles, au Kordofan ou encore dans l'Est.
On ne peut donc dire que cette crise n'aurait pu être anticipée. Était-elle évitable ? Je ne le crois pas. La France, les Nations Unies, l'Union africaine et les États-Unis ont redoublé d'efforts pour trouver une voie pour le Soudan, dont les contours ont commencé à se préciser en décembre dernier. C'est d'ailleurs peut-être parce que nous nous approchions d'une solution, qui supposait des compromis – que l'armée se réforme et qu'elle intègre les supplétifs –, que le conflit a éclaté. Les combats se poursuivent, car chacun – tant le président et chef de l'armée que son ancien vice-président et chef des supplétifs – pense encore pouvoir gagner.
Les conséquences sont très graves. Il y aurait 700 000 déplacés au Tchad, au Soudan du Sud, en Égypte et en Éthiopie, et 150 000 réfugiés. Quant au nombre de victimes, il est très difficile de l'évaluer. Les chiffres dont nous disposons comptabilisent les victimes civiles mais ils reposent sur les informations des hôpitaux. Or, ces derniers ne fonctionnent plus, puisqu'il n'y a plus d'électricité, de fioul, ni de médicaments à Khartoum.
Les efforts que nous menons sont de plusieurs natures. Avant la crise, nous avions l'espoir qu'une démocratie soudanaise puisse se construire sur les ruines de la dictature islamiste de Bechir. C'est ce qui a motivé la conférence organisée par le président de la République en 2021. Chaque acteur – notamment l'Allemagne, les États-Unis et les organisations internationales – a pris des engagements pour faire de la révolution soudanaise une réussite : la France avait ainsi annoncé l'annulation de 5 milliards de dollars de dette.
Depuis lors, nous avons développé des liens étroits avec la société civile soudanaise, qui nous en sait gré, mais aussi avec le général Burhan et avec le général Hemetti. Je les ai personnellement rencontrés en décembre 2022 avec mon homologue allemand, et notre ambassadrice Raja Rabia était également en contact avec eux. C'est d'ailleurs grâce à ces relations que nous avons obtenu les facilités nécessaires pour passer d'une zone à l'autre lors de l'opération d'évacuation. Outre le rôle joué par notre ambassadrice, le président de la République a appelé le général Burhan pour s'assurer du bon déroulement de l'opération, tandis que la ministre de l'Europe et des affaires étrangères a échangé avec le général Hemetti.
Ces liens restent actifs. La ministre est en contact avec les ministres égyptiens, émiriens, saoudiens et américains, ainsi qu'avec le secrétaire général des Nations Unies, dans le cadre de deux principaux exercices : une discussion s'est d'abord tenue dans le cadre du G7, puis sous l'égide du président de la commission de l'Union africaine, pour rechercher une solution.
Des pourparlers indirects sont en cours à Djedda, pour obtenir a minima un cessez-le-feu d'une durée provisoire, probablement, de trois semaines. Il permettrait d'ouvrir des corridors humanitaires pour réalimenter Khartoum et le Darfour, où se concentrent les combats. Par la suite, nous devrons trouver une solution de plus long terme mais elle ne pourrait consister en un retour ex ante à ces accommodements qui n'ont que trop démontré leur instabilité. Elle s'appuiera sans doute sur une plus forte implication des civils : il faut en effet noter que dans le schéma précédent, les forces qui tenaient la rue n'avaient pas été intégrées au processus politique.
La communauté internationale devra travailler en intégrant l'Égypte et les Émirats arabes unis, qui ont des intérêts et des partenaires au Soudan, mais aussi l'Arabie saoudite, qui joue un rôle de puissance d'équilibre dans cet exercice. Les Américains, et surtout les Africains, devront aussi y participer : rien ne serait pire que de donner l'impression que l'on règle cette crise sans prendre en compte les intérêts de ces pays qui, en tant que voisins du Soudan, subissent les conséquences de cette crise et qui ont également une connaissance très fine de ce qui s'y passe. Je pense par exemple à Salva Kiir, le président du Sud-Soudan, ou au président de l'Autorité intergouvernementale pour le développement (Igad). Toutefois, pour l'heure, notre priorité reste l'aide humanitaire.
Notre ambassade est aujourd'hui délocalisée à Paris. Après une période de décompression qui a suivi leur évacuation, les agents diplomatiques nous ont dit être prêts à reprendre leur travail et à poursuivre les contacts à distance. Si la crise perdure et qu'il s'avère impossible que l'ambassade revienne à Khartoum, nous devrons sans doute l'installer à proximité du Soudan, probablement à Addis-Abeba. L'enjeu sera de rester à la fois en lien avec les civils, les supplétifs et les militaires. Si nous ne constatons aucune avancée, rien ne nous interdit de penser à des mesures plus coercitives, notamment à des sanctions : la question reste ouverte.