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Intervention de Jean-Louis Bourlanges

Réunion du mercredi 10 mai 2023 à 11h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Bourlanges, président :

Mes chers collègues, notre ordre du jour appelle l'audition de Mme Menna Rawlings, ambassadrice du Royaume-Uni en France depuis le 23 août 2021.

Madame l'ambassadrice, je vous souhaite la bienvenue. C'est un véritable plaisir pour moi et mes collègues de vous recevoir, quelques jours à peine après cette magnifique cérémonie du couronnement du roi Charles III. En France, nous avons été extrêmement émus par la disparition de la reine Élisabeth et avons observé avec beaucoup d'intérêt et de sympathie cette cérémonie, pour un prince que nous avons appris à connaître ces dernières semaines. Nous avons découvert une personnalité attachante, sensible à des préoccupations en matière d'écologie, d'urbanisme ou de respect du droit. Le Royaume-Uni nous a offert un spectacle émouvant et remarquable.

Pour ceux de mes collègues qui ne vous connaissent pas, j'indiquerai que vous avez mené une brillante carrière diplomatique pour votre pays. Vous avez notamment été haut-commissaire du Royaume-Uni en Australie, de 2015 à 2019, directrice générale des questions économiques et mondiales au Foreign Office, de 2019 à 2020 et vous êtes depuis 2021 la première femme ambassadrice du Royaume-Uni en France.

Alliés indéfectibles depuis 1904 – date de la signature de l'Entente cordiale –, partenaires et amis bien plus sincères que les lieux communs et clichés populaires laissent parfois croire, le Royaume-Uni et la France partagent non seulement des valeurs communes mais aussi des responsabilités particulières comme membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies dotés de l'arme nucléaire. La France est en outre l'État le plus proche du Royaume-Uni dans l'Union européenne, avec cette longue frontière que je connais bien, en tant qu'ancien conseiller régional de Haute-Normandie.

Au cours des dernières années, les traités de Lancaster House, signés en 2010, ont renouvelé nos coopérations militaire et diplomatique. Il s'agit d'un élément très fort de la relation entre nos deux pays car nous sommes sans doute parmi ceux des États européens les plus sensibles aux dimensions planétaire et militaire. Nous savons en effet ce qu'est une confrontation militaire, qui tend à faire l'objet d'une sorte d'exorcisation générale dans nombre de pays de l'Union européenne aujourd'hui, bien que la guerre d'Ukraine ait profondément perturbé ces visions iréniques et reconstitué une mentalité beaucoup plus consciente des exigences de l'affrontement. Nous avons également, à travers ces traités, resserré nos relations dans les domaines de l'armement et du nucléaire. Mais notre relation bilatérale ne se résume pas à cette dimension régalienne puisque le Royaume-Uni et la France partagent des objectifs communs en matière de lutte contre le changement climatique et dans la mise en œuvre de l'accord de Paris issu de la 21ème conférence des parties (COP 21) de 2015, ce qui se traduit par une coopération intense dans les domaines énergétique et nucléaire.

Comme l'a montré la signature du pacte de politique étrangère et de développement lors du trente-cinquième sommet franco-britannique à Sandhurst en 2018, les intérêts diplomatiques français et britanniques sont largement alignés. Ils portent tout à la fois sur la défense du multilatéralisme et des valeurs démocratiques et libérales, la culture, la lutte contre le terrorisme, l'économie et bien d'autres choses.

« Last but not least », une communauté de près de 250 000 Français vit au Royaume-Uni, tandis que près de 150 000 de vos ressortissants vivent en France. C'est dire que ce qui nous unit est bien plus fort et important que ce qui peut nous séparer.

Il serait cependant partiel et partial de passer sous silence le fait que la relation entre nos pays sort de quelques années de turbulences. Tout d'abord, le choix souverain du peuple britannique, le 23 juin 2016, d'une sortie de l'Union européenne a conduit les gouvernements successifs chargés de mettre en œuvre cette décision à adopter des postures pas toujours bien comprises de ce côté-ci de la Manche, comme ailleurs en Europe du reste. Les sentiments qu'a inspiré la décision de Brexit pris par le peuple britannique n'ont pas été de la colère et de l'hostilité mais d'abord de la tristesse et des regrets. Une grande partie des dirigeants politiques et administratifs étaient conscients des convergences et des synergies et nous avons eu l'impression que quelque chose s'est brisé. C'est avec une certaine satisfaction que nous avons pris connaissance des sondages récents dans le royaume britannique montrant un réel regret de cette sortie, certes souveraine. Pour rappel, c'est le traité de Lisbonne qui en a formalisé la possibilité juridique, comme réponse à ceux qui avaient voté « non » au référendum de 2005.

La situation est depuis meilleure, comme en atteste notamment la signature du protocole dit « cadre de Windsor », le 28 février 2023, au sujet du protocole nord-irlandais. Cette affaire nous a agacés car ce problème était relativement restreint et empoisonnait les relations entre nos deux pays de façon tout à fait excessive. Il était vraiment nécessaire de le remettre à sa place et de le traiter. Par ailleurs, le trente-sixième sommet franco-britannique, qui s'est tenu à l'Élysée le 10 mars dernier, a été un succès.

Une autre source de tensions récentes a concerné les circonstances et modalités de la conclusion de l'accord de coopération militaire tripartite dit « AUKUS », entre l'Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni. Celles-ci ont créé des dissensions inutiles, qui auraient pu devenir préjudiciables à la poursuite de nos coopérations.

Tout ceci est néanmoins derrière nous à présent et il faut s'en réjouir car la guerre en Ukraine montre que la division entre alliés européens est un luxe qu'il n'est pas possible de se permettre. Nous ne pouvons à ce titre que saluer la force, la vigueur, la constance et la passion de l'engagement du Royaume-Uni aux côtés des Ukrainiens alors que nous avions quand même le sentiment d'une certaine complaisance de la place de Londres, par le passé, à l'égard de l'activisme financier des oligarques russes.

L'heure est donc à la reprise d'une relation bilatérale intense et confiante. La venue prochaine du roi Charles III en France en attestera avec vigueur et nous nous réjouissons de le recevoir avec les honneurs qui lui sont dus. Nous avons été très désolés de reporter la visite du roi en France. Nous avions perçu à sa juste mesure la portée de l'inauguration dans notre pays de ses voyages internationaux en tant que souverain du Royaume-Uni.

Nous souhaitons ici reprendre le fil d'une coopération étroite, chaleureuse et fraternelle entre deux pays qui se cherchent « comme chien et chat » depuis mille ans mais qui, en même temps, ont noué entre eux une relation d'une profondeur absolument exceptionnelle. Merci d'être présente devant la commission des affaires étrangères pour concrétiser cette nouvelle « lune de miel ».

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