Un adage bruxellois veut que chaque présidence connaisse au moins une crise : personne n'aurait pu prévoir que nous le vérifierions à ce point ! Jean Monnet lui-même le disait : « L'Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises. » Si l'Europe sort renforcée des crises, c'est parce qu'elle sait garder son cap dans l'adversité – ce cap, c'est celui de l'unité et de la solidarité entre les États qui la composent.
Confrontés au retour de la guerre sur notre continent, nous avons su répondre collectivement, en Européens. C'était notre responsabilité de présidence, mais nous avons aussi poursuivi l'agenda ambitieux que nous nous étions fixé – cela aussi, c'était notre responsabilité de présidence du Conseil de l'Union européenne.
Le premier volet de notre action, sur lequel je souhaite insister, est la réponse immédiate à la guerre que Vladimir Poutine a pris la responsabilité de déclencher dans la nuit du 23 au 24 février aux portes de l'Union européenne. Nous avons su mobiliser nos partenaires européens et internationaux pour y faire face. Nous l'avons fait à titre national, d'abord, en prenant toutes nos responsabilités pour soutenir l'Ukraine dans cette guerre qu'elle doit gagner, parce qu'il y va de son avenir et du nôtre. Mais nous l'avons également fait dans notre rôle de présidence : à l'initiative de la France, l'Europe s'est élevée à la hauteur des enjeux. En trois mois seulement, nous avons pris à l'encontre de la Russie une série de sanctions absolument inédites par leur ampleur, au service d'un objectif très clair : rendre la guerre économiquement, financièrement et militairement insoutenable pour la Russie. On a coutume de reprocher à l'Europe sa lenteur et son manque de réactivité. Vous conviendrez que prendre des décisions dès le 24 février au soir – le premier paquet de sanctions ayant été adopté à l'unanimité des Vingt-Sept – était un record. Nous en sommes désormais à sept paquets de sanctions. Pas plus tard que la semaine dernière, nous avons encore renforcé la pression sur la Russie.
Nous avons aussi brisé ce qui était jusqu'à présent un tabou majeur en Europe : nous avons financé les armements, y compris létaux, dont l'Ukraine a besoin pour se défendre. Très vite, dès le 27 février, le message de l'Europe était parfaitement clair : le temps de l'innocence stratégique est révolu, et l'Europe, se dépassant elle-même, est prête à faire face.
Nous avons également doté l'Union européenne des moyens de collecter les preuves des crimes innommables commis par l'armée russe en Ukraine, en renforçant le mandat d'Eurojust – car l'impunité est absolument intolérable.
Nous avons enfin été au rendez-vous en accueillant des milliers d'Ukrainiens chassés par le conflit, à la recherche d'un endroit sûr, auxquels nous avons accordé la protection temporaire. Grâce à ce statut, et au-delà de l'aide humanitaire, l'Europe leur a ouvert des droits concrets dans les États membres : logement, travail, scolarisation des enfants et prestations de santé.
Ces circonstances inédites, et surtout tragiques, ont confirmé la pertinence et l'urgence de l'agenda de souveraineté dont le Président de la République a donné l'impulsion dès 2017, depuis l'amphithéâtre de la Sorbonne, et qui a constitué le fil d'Ariane de la présidence française. C'est le deuxième volet que je souhaite aborder. Elle s'est attachée à tirer toutes les conséquences de la guerre en Ukraine pour renforcer l'indépendance, la sécurité et la stabilité de l'Europe.
Lors du sommet de Versailles, en mars, l'Europe a affirmé sa volonté de rester maîtresse de son destin et pleinement libre de ses choix. Elle a la volonté de rester libre, d'abord, de ses choix énergétiques : telle est l'ambition qu'ont affirmée les chefs d'État et de gouvernement européens lorsqu'ils ont décidé de sortir d'urgence de la dépendance au pétrole et au gaz russes. La France a toujours considéré son indépendance énergétique comme essentielle à sa souveraineté nationale ; c'est aujourd'hui vrai de l'Europe. L'Union a la volonté de rester libre, ensuite, de ses choix économiques. La politique industrielle européenne ne se réduit plus au droit de la concurrence. Grâce aux programmes industriels paneuropéens dans les domaines de la santé, de l'hydrogène ou encore des semi-conducteurs, nous bâtissons dès aujourd'hui notre indépendance dans des domaines cruciaux pour notre avenir.
Toujours au sommet de Versailles, l'Europe s'est mise à parler le langage de la puissance, condition de notre sécurité collective. Elle a ainsi décidé de remédier au sous-investissement des Européens dans leurs capacités collectives et individuelles de défense et de se doter d'une grille d'analyse des menaces pour la prochaine décennie, la Boussole stratégique, premier véritable Livre blanc de la sécurité et de la défense européennes. Trois mois plus tard, au Conseil européen des 23 et 24 juin, l'Union européenne s'est affirmée comme une puissance de stabilité sur le continent. Il faut mesurer le caractère historique de la décision du Conseil européen d'octroyer à l'Ukraine et à la Moldavie le statut de candidat à l'Union. Nous avons fait le choix, ce jour-là, d'envoyer à l'Ukraine un message de solidarité vital – je pèse mes mots –, pour elle comme pour la Moldavie. Cela va aussi dans notre intérêt, car il ne peut y avoir de demi-mesure quand la Russie choisit d'établir un rideau de sang entre elle-même et son voisinage occidental.
Nous avons aussi fait le choix d'un attachement total et sans équivoque des Balkans occidentaux à l'Union européenne. Cette région fait partie de l'Europe géographiquement, historiquement et culturellement. Assurer son ancrage européen est du devoir de l'Union, ne serait-ce que pour éviter que ces pays ne soient rattrapés par l'histoire et que leur instabilité ne soit exploitée par la Russie. C'est pourquoi nous en avons fait une priorité de notre présidence européenne. La réunion des dirigeants de l'Union et des Balkans occidentaux du 23 juin, encore à l'initiative de la France, a permis d'engager une discussion très franche quant à la perspective européenne des Balkans occidentaux. Déterminée à ouvrir sans tarder les négociations d'adhésion avec Skopje et Tirana, c'est la France, de nouveau, qui a présenté, dans les toutes dernières heures de son semestre de présidence, le 30 juin, une proposition de compromis qui a permis de résoudre les dernières questions en suspens entre la Bulgarie et la Macédoine du Nord. Nous pouvons être fiers que cette pleine mobilisation ait porté ses fruits. J'ai d'ailleurs eu l'honneur de participer, la semaine dernière, aux premières conférences intergouvernementales avec la Macédoine du Nord et l'Albanie – je peux vous assurer que c'était un moment émouvant.
Toutefois, nous le savons tous, la perspective d'adhésion ne résout pas à elle seule le défi d'arrimer ces pays à l'Union. Ni eux, ni nous n'avons le temps d'attendre pour renforcer notre cohésion. C'est la raison pour laquelle le Président de la République a proposé de créer une communauté politique européenne, qui a été défendue par les Vingt-Sept lors du Conseil européen des 23 et 24 juin. Notre idée est très claire à ce sujet : nous répondons à l'absence d'enceinte de dialogue politique sur un pied d'égalité des pays : une telle enceinte est nécessaire à l'échelle de l'Europe. Cette communauté permettra d'aborder les questions concrètes relatives au changement climatique, aux approvisionnements énergétiques, à la mobilité ou même au marché intérieur, avec toujours en tête l'objectif d'apporter des bénéfices tangibles. L'organisation par la présidence tchèque, à l'automne prochain, d'une première réunion des chefs d'État et de gouvernement en marquera le coup d'envoi.
Cet agenda de souveraineté – c'est le troisième volet de notre présidence –, nous l'avons également mis en œuvre dans le cadre du programme législatif ambitieux que nous avons concrétisé dans tous les domaines. La tentation aurait pu être de considérer qu'à partir du 24 février, il n'y avait plus pour les Européens qu'une seule préoccupation : l'Ukraine. Nous avons estimé, au contraire, que cette guerre au cœur de l'Europe devait renforcer notre ambition d'une Europe plus souveraine, plus unie, plus proche de ses citoyens. Aussi avons-nous accéléré nos efforts, malgré la guerre.
D'abord dans le domaine de la transition écologique : l'accord entre les États membres sur le paquet climat, obtenu au Conseil environnement du 28 juin, est une avancée majeure – croyez-moi, ce n'était pas gagné, tant, dans ce domaine, les opinions et les méthodes sont différentes entre les pays. Cet accord garantit qu'en 2030, les émissions de CO
Ne soyons pas naïfs non plus : le paquet climat permettra également d'installer un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, mécanisme qui incitera nos partenaires à mener des politiques plus ambitieuses en faveur du climat et évitera que nos efforts écologiques ne donnent un avantage concurrentiel à ceux qui ne consentent pas les mêmes. Certains nous accusaient de délocaliser nos émissions : c'est terminé !