Nous l'avons tous constaté ces dernières années, avec notamment le terrible assassinat de Samuel Paty, qui avait été désigné comme cible sur les réseaux sociaux : internet est devenu un lieu privilégié de propagande terroriste et un vecteur de radicalisation. Je veux le dire d'entrée : la lutte contre la diffusion des contenus terroristes indignes doit être une priorité. Ce qui est interdit dans les médias et dans l'espace public doit aussi l'être en ligne.
La proposition de loi vise à implanter les éléments incompatibles avec le droit français du règlement européen contre la diffusion du terrorisme en ligne du 29 avril 2021. Le règlement comporte indéniablement des progrès en matière de lutte contre la haine en ligne. Il vise à responsabiliser les hébergeurs de contenus, notamment les grandes plateformes et les fournisseurs d'accès, dans la lutte contre la diffusion des idées terroristes.
Avant de procéder au vote final, nous souhaitons toutefois renouveler plusieurs réserves. Tout d'abord, nous regrettons de ne disposer ni d'étude d'impact ni d'avis du Conseil d'État, alors même que ces questions sont très sensibles et touchent à nos libertés fondamentales. En effet, vous avez fait le choix de déposer ce texte sous la forme d'une proposition de loi, ce qui nous prive d'étude d'impact ; c'est regrettable.
Sur le fond, s'il est justifié de chercher à réguler internet, il faut veiller à respecter un principe de proportionnalité en matière de droit d'expression et assurer des voies de recours devant le juge. La loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite loi Avia, a déjà tenté de s'attaquer au rôle d'internet dans la diffusion de contenus haineux. Elle a été en grande partie censurée du fait du non-respect de ces principes. Or la présente proposition de loi comporte des dispositions similaires à la loi Avia. Nous ne serions pas étonnés du tout que le Conseil constitutionnel considère de nouveau que de telles dispositions portent une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression.
Les hébergeurs de contenus devront retirer les contenus visés dans un délai maximal d'une heure, sous peine de sanctions élevées. D'après l'ensemble des acteurs concernés, ils n'auront pas les moyens humains de traiter les demandes en un temps si court et devront avoir recours à des algorithmes pour la modération, ce qui est à tout le moins problématique. Ainsi, ce texte important risque de donner lieu à des retraits injustifiés ou préventifs, réalisés systématiquement par des algorithmes. Nous risquons donc d'assister à une limitation du droit d'expression sur internet pour des contenus qui ne devraient pas être concernés. De leur côté, les hébergeurs risquent d'être incités à les retirer pour des motifs très larges, afin d'être sûrs de ne pas subir de sanctions.
Par ailleurs, aucun contrôle du juge n'est prévu au préalable, le caractère illicite étant soumis à la seule appréciation de l'administration. Or nous considérons que dans un État de droit, c'est bien à la justice de trancher. Le texte de consensus issu de la commission mixte paritaire comporte certes quelques garanties supplémentaires en matière de délais de recours, mais les marges de modification étaient assez limitées, puisque le texte est pris en application du règlement européen. Il ne change donc pas fondamentalement. Il va globalement dans le bon sens, celui de la lutte contre les idées terroristes. En raison des réserves dont j'ai fait état, le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires optera cependant majoritairement pour l'abstention sur ce texte.