Selon Xénophon, « [l]'art de la guerre est, en définitive, l'art de garder sa liberté […] ». Quand on est né à Brest, ville écrasée sous les bombes à la manière de Bakhmout ou de Marioupol, et qu'on a vu se construire le porte-avions Charles-de-Gaulle, on a le sens de l'effort, du temps long, et comme l'instinct de la programmation militaire.
On sait que des équipements à l'étude aujourd'hui seront encore en service à la fin de ce siècle ; on sait ce qu'il en coûte à un pays de ne pas s'adapter aux menaces nouvelles ou de s'abriter derrière le fantasme d'éternels dividendes de la paix ; on sait, enfin, qu'un modèle d'armée est la traduction militaire d'une ambition géostratégique et diplomatique, c'est-à-dire d'une certaine façon de se concevoir dans le monde et d'être regardé par lui.
Le choix d'une politique de défense ambitieuse est nécessairement un sujet qui s'inscrit dans la durée. À cet égard, nous pouvons nous appuyer sur des politiques de remontée en puissance crédibles depuis 2015, et plus encore depuis 2017. La LPM pour les années 2019 à 2025 a été tenue à l'euro près et même dépassée, puisque cette année 2023 aura permis une dépense supplémentaire de 1,5 milliard d'euros pour répondre aux besoins liés à la guerre en Ukraine, en munitions notamment.
C'est une fondation sérieuse pour amorcer non seulement la réparation de nos armées, mais aussi leur modélisation et, finalement, assurer leur entrée dans un XXI
Que nous propose ce projet de loi de programmation militaire pour la période 2024-2030, si ce n'est de garantir notre souveraineté et la préservation de nos intérêts, dans l'Hexagone comme outre-mer, pour un montant de 413 milliards d'euros, ressources extrabudgétaires incluses ? C'est un effort strictement nécessaire, taillé au plus juste au regard des besoins.
Nous avons déjà eu de nombreux débats sur la pertinence de cette enveloppe globale et sur le rythme de la dépense au cours de la période passée, notamment sur ce qu'il est convenu d'appeler les « marches ». Monsieur le ministre, vous avez souligné qu'il s'agissait d'un socle ou d'un plancher, à préciser éventuellement à la hausse, en fonction des circonstances, dans le cadre d'une loi de finances annuelle. Vous nous avez rassurés à deux égards : d'une part, les dépenses exceptionnelles liées à la guerre en Ukraine ne seront pas prélevées sur cette enveloppe ; d'autre part, les recettes extrabudgétaires anticipées à 13 milliards d'euros feront l'objet, si les ressources prévues n'étaient pas à la hauteur, d'une compensation budgétaire.
Au sein de cette enveloppe globale, comment apprécier la copie qui nous est présentée ? Si elle ne permet pas de regagner significativement en masse – ce qui aurait supposé, compte tenu de l'inflation, du coût unitaire des équipements et des nouveaux milieux à protéger, au minimum 40 milliards d'euros supplémentaires –, elle constitue une maquette d'une grande cohérence, à mon sens beaucoup plus innovante qu'on ne la décrit parfois. Le modèle d'armée qui est soumis à notre appréciation est non seulement robuste, mais aussi calibré pour gagner en épaisseur.
Au-delà de la modernisation absolument indispensable de notre dissuasion nucléaire, car une dissuasion ne dissuade que si elle est absolument crédible, monsieur Roussel, le présent texte opère des choix dont il ne faudrait pas mésestimer la profondeur et l'importance. D'abord, les appuis, les soutiens et la logistique sont renforcés afin que les forces gagnent en autonomie et en capacité à durer : artillerie et feux dans la profondeur, défense sol-air, durcissement de toutes les plateformes, qu'elles soient terrestres, navales et aérospatiales. Ensuite, les dépenses ont été repensées afin de garantir une activité opérationnelle accrue, grâce au rehaussement des niveaux d'entraînement, de formation et d'entretien des matériels.
Ces deux points sont absolument essentiels. Vous l'avez dit, monsieur le ministre : rien ne sert d'aligner des navires, des chars ou des avions si nous n'avons pas les moyens de former et d'entraîner nos soldats, de maintenir un niveau d'entretien et des soutiens de premier plan pour nous projeter, seuls ou en alliance, sur tous les théâtres, comme en appui à nos partenaires à l'est de l'Europe ou pour défendre notre souveraineté outre-mer.
Je note aussi une inflexion vers plus d'agilité pour répondre aux incertitudes du contexte international, comme en témoigne l'attention portée aux équipements de cohérence. L'un des défis de cette programmation sera d'ailleurs de conjuguer la vie des grands programmes avec la nécessité de s'adapter en permanence.
Je veux en outre saluer les investissements importants consentis dans l'innovation, la préparation de l'avenir et le renseignement, capacité clé de la France pour l'obtention d'éléments d'appréciation souverains – rappelons-nous la guerre d'Irak en 2003 –, comme pour l'échange d'informations avec nos partenaires.
J'aurai l'occasion de revenir, en cours d'examen, sur les enjeux de recrutement et de fidélisation, ainsi que sur l'attention portée à la vie de nos militaires et civils de la défense, par exemple grâce au plan « famille ».
Au total, le présent projet de loi remplit quatre objectifs qui permettent de renforcer notre cœur de souveraineté : conforter la crédibilité de nos armées d'emploi ; entretenir et renforcer l'adaptation permanente de nos armées ; se doter d'une organisation de commandement réactive afin de consolider notre autonomie de décision et d'action ; répondre à une exigence d'efficacité de la dépense, en se montrant responsables dans l'emploi des deniers publics.
C'est donc avec conviction que le groupe Horizons et apparentés soutiendra ce projet de LPM.