Lors de son discours de Toulon, en novembre 2022, Emmanuel Macron énonçait, sans prétention aucune, qu'une « révolution copernicienne du mode de conception des conflits, de notre géopolitique […] » devait être « anticipée ». Néanmoins, à la lecture de ce projet de loi de programmation militaire 2024-2030 et des quelques pages qui constituent la dernière revue nationale stratégique, il est clair que le texte dont nous allons bientôt commencer l'examen en séance provoque moins de bouleversements que le modèle héliocentrique proposé en son temps par l'astronome polonais. Autrement dit, pour nos armées, la prochaine loi de programmation militaire s'inscrit davantage dans la continuité de la précédente que dans la révolution annoncée par moult superlatifs.
Si nous tenons à saluer l'effort réalisé afin de garantir la crédibilité d'une dissuasion nucléaire à sa « stricte suffisance » – cette doctrine, instaurée par François Mitterrand à laquelle nous sommes attachés, nous permet de garder notre autonomie stratégique au sein de l'Alliance atlantique –, cette LPM n'a, quoi qu'il en soit, monsieur le ministre, rien d'historique, contrairement à ce que vous aimez répéter.
Pour la deuxième fois consécutive, l'examen de la loi de programmation militaire n'est précédé d'aucun Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. La revue nationale stratégique, qui fixe le cadre stratégique du présent texte, n'invite aucun parlementaire à participer à son élaboration et à sa réflexion, ni à l'analyse précise et approfondie nécessaire à notre politique de défense.
Monsieur le ministre, vous aimeriez sans doute, comme beaucoup, être perçu comme un héritier du général de Gaulle : force est de constater que vous en retenez surtout la pratique du domaine réservé. Malgré vos propos rassurants en commission et l'adoption d'amendements qui infléchissent votre premier mouvement, vous participez à conforter la mise à l'écart du Parlement en matière de défense. Pourtant, lorsqu'on engage de tels montants, il est absolument nécessaire de débattre régulièrement et publiquement des enjeux qui nous préoccupent en matière de défense. Voilà qui renforcerait le lien armée-nation qui vous préoccupe tant, plutôt que la mise en place de dispositifs coûteux, à l'image du SNU.
Si nous soutenons évidemment l'effort budgétaire, celui-ci ne permettra pas d'atteindre la règle de 2 % du PIB consacré aux dépenses de défense fixé par l'Otan, comme nous le démontrerons ultérieurement. À cela se greffe un report de charges de 100 milliards d'euros de la précédente LPM, un contexte d'inflation grimpante et le report après 2027 des hausses de crédits les plus importantes. Le pari est donc hasardeux.
Ajoutons à ce constat nos difficultés à atteindre les standards otaniens en matière de préparation opérationnelle : nous aimerions que nos pilotes volent davantage ; nos marins ne naviguent pas assez ; nos soldats ne s'entraînent pas toujours autant qu'ils le souhaiteraient, et trop souvent dans des conditions dégradées.
S'il ne fait aucun doute que les unités dites de soutien doivent rester une priorité stratégique, notamment en matière de renseignement et de cybersécurité, admettez que cette LPM, faute de ne vouloir faire aucun choix, acte des renoncements, notamment concernant les masses :…