Intervention de Louise Morel

Séance en hémicycle du lundi 22 mai 2023 à 16h00
Programmation militaire 2024-2030 — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLouise Morel :

C'est la première fois que la commission des affaires européennes est saisie pour observations sur un projet de loi de programmation militaire. S'exprimer à cette tribune, sur ce sujet, avec un regard européen, est donc un exercice inédit. Cette loi de programmation militaire vise à définir les orientations stratégiques de la défense nationale pour les années 2024 à 2030 et à procurer aux armées les moyens matériels et financiers, nécessaires pour atteindre les objectifs fixés.

L'adoption anticipée d'une nouvelle loi de programmation militaire tient à l'évolution rapide du contexte stratégique. Si l'invasion de l'Ukraine vient à l'esprit en premier, la revue nationale stratégique de novembre 2022 dressait déjà un état des lieux inquiétant de la situation mondiale, avec une compétition plus intense entre grandes puissances et une augmentation rapide des budgets militaires russe et chinois.

La France peut difficilement relever seule l'ensemble de ces défis et l'Europe a joué jusqu'à présent un rôle de second plan au niveau mondial, l'Otan et les États-Unis restant les protecteurs du continent européen. Or, si l'Europe ne peut assurer seule sa propre défense, son poids dans le monde s'en trouvera réduit.

Force est de constater que l'invasion de l'Ukraine a été un électrochoc. Si l'Europe s'est fortement mobilisée pour aider l'Ukraine contre l'agression russe, cet effort sans précédent a également révélé les limites de l'autonomie stratégique européenne, qui doit se construire face à deux contraintes.

La première tient à ce que la défense reste une prérogative nationale, intimement liée à la souveraineté des États, dont la mutualisation reste limitée par le niveau d'intégration politique du continent. C'est pourquoi l'Europe de la défense s'est concentrée depuis le traité de Lisbonne sur le renforcement de l'industrie de défense et sur la mutualisation de moyens, en vue de missions toutefois encore limitées dans leurs formats et leurs finalités.

La seconde contrainte concerne l'Europe de la défense : celle-ci se construit d'autant moins vite que la défense du continent a été confiée depuis 1949 à l'Otan. Le rôle prépondérant des États-Unis en son sein a conduit de nombreux États européens à ne concevoir leurs moyens militaires que comme une contribution à la défense collective du continent, coordonnée par l'Alliance atlantique et assurée principalement par les États-Unis.

Toutefois, l'Union européenne a fait petit à petit des pas vers une coopération européenne en matière de défense. Ainsi, depuis l'instauration de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) en 1999, plus de quarante missions civiles et militaires ont été engagées au service d'une politique étrangère disposant désormais de moyens d'intervention certes encore limités, mais de plus en plus significatifs. D'autre part, la création de l'Agence européenne de défense (AED) en 2004, du Fonds européen de la défense en 2016, de la coopération structurée permanente en 2017 et de la Facilité européenne pour la paix en 2021 témoigne des étapes parcourues vers la construction d'une défense intégrée, même si celle, décisive, de l'autonomie n'a pas été franchie.

La présente loi de programmation militaire contribue de façon indirecte à cet effort, même si elle ne contient pas de dispositions qui soient directement liées à la coopération européenne. Le rapport annexé auquel renvoie l'article 2 du texte fait état de l'importance comme des limites des coopérations au service de l'autonomie stratégique européenne. De plus, la contribution française à la défense européenne est avant tout une question de capacité. La défense collective de l'Europe, qu'il s'agisse de l'Otan ou de la coopération européenne en matière de défense, repose d'abord, rappelons-le, sur l'agrégation de forces nationales et non sur la constitution d'une véritable armée multinationale.

La LPM fera toutefois avancer le sujet de la coopération européenne en matière de défense. En portant les dépenses militaires à 2 % du PIB en 2030, elle permet à la France de maintenir son rang en Europe au moment où ses partenaires européens augmentent eux-mêmes leurs budgets. Elle renforce également les moyens de notre pays dans des domaines peu visibles mais cruciaux : achats de munitions, de pièces détachées, entraînement et réactivité des forces. Enfin, elle maintient l'effort budgétaire en faveur de la dissuasion nucléaire française, ce qui renforce l'autonomie stratégique européenne, puisque la France est, depuis le Brexit, l'unique puissance nucléaire de l'Union.

Pour conclure, l'autonomie stratégique européenne n'est pas une utopie. L'invasion de l'Ukraine a montré que le continent doit être défendu ; nos alliés américains sont d'ailleurs les premiers à souhaiter que l'Europe assume davantage sa propre défense. Mais l'autonomie stratégique européenne est d'abord une question de moyens. L'Europe de la défense devra émerger sur la base d'un renforcement des armées nationales européennes, peut-être en se substituant à l'Otan dans un nombre croissant de ses fonctions, à travers un usage plus fréquent de matériels européens et, finalement, en intégrant pleinement les politiques de défense et de sécurité aux traités européens.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion