J'ai défendu le canal Seine Nord-Europe dès le Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire de décembre 2003 et j'y ai beaucoup travaillé lorsque je dirigeais VNF ; nous avons même créé une société régionale.
Il y a une quinzaine d'années, la CNDP recherchait le consensus sur les projets. Les choses ont changé : l'important est que la CNDP permette de mettre les controverses à plat. On connaît les visions et les choix des parties prenantes ; ce sont les citoyens qu'il faut aller chercher et cette recherche sera l'essentiel de mon action future, si vous en décidez ainsi.
Il faut aborder les sujets environnementaux très en amont des projets, avec d'éventuelles saisines complémentaires de l'Autorité environnementale pour cadrer le débat, sans quoi la question n'est pas envisagée complétement. Mais, pour certains projets de gigafactories, la CNDP a été saisie fin 2020 et la mise en service aura lieu en 2023 ; cela montre que les délais peuvent être assez courts au regard des 600 millions, sinon un milliard, d'euros d'investissements en jeu. Nous devons y travailler vigoureusement. D'autre part, si, pour une gigafactory, le dossier soumis à enquête publique comprend 2 500 pages, il est de 22 000 pages pour un lot du dossier du canal Seine-Nord Europe ; que « prédigère-t-on » pour la décision ? Une réflexion s'impose sur cet ensemble de sujets.
Il a été plusieurs fois question de mon indépendance. Je le redis, je suis conscient de la responsabilité qui sera la mienne. L'accès au droit pour tous d'influencer la décision publique est un sujet sociétal. Cela signifie que l'on ne peut s'en tenir à organiser une concertation, à mener un débat public et à faire un rapport. On a vu, pour le grand projet Cigéo, l'importance de la continuité du garant. La reddition des comptes par le maître d'ouvrage d'une infrastructure, autrement dit sa capacité à expliciter pourquoi et comment il a pris ses décisions est plus difficile encore ; là encore, les garants ont un rôle exceptionnel à jouer. Chantal Jouanno a aussi mentionné devant vous la trop faible notoriété de l'activité de la CNDP, ce qui implique d'améliorer la communication sur son existence même, du moins au niveau national.
Ma vision de l'avenir est que la CNDP continue de se battre, non seulement à propos d'infrastructures et de projets, mais aussi au sujet de débats plus complexes dont j'ai mentionné certains. Mais la CNDP ne peut pas s'auto-saisir : la saisine doit émaner des maîtres d'ouvrage, de porteurs de politiques, de vous-mêmes quand vous considérez que des clarifications sont nécessaires. Il est nécessaire de se confronter aux sujets dits systémiques. Par exemple, un débat public vient de s'engager sur l'eau potable en Île-de-France. Ce débat est passionnant, mais il ne porte que sur l'eau potable et sur l'énergie nécessaire pour la rendre potable dans une petite partie de la France, non sur l'eau dans son ensemble. Les débats sont encore très territorialisés. Je pressens qu'un débat général sur l'eau aura lieu, mais il faudra y travailler avec les nombreux ministères concernés pour en définir les contours. La CNDP a fait quatorze concertations sur les schémas d'aménagement et de gestion des eaux (Sage), mais le citoyen a du mal à percevoir où il peut intervenir. Il nous revient de le montrer.
Suis-je le candidat le mieux placé à la présidence de la CNDP, m'a demandé M. Leseul ? Mon honneur est d'avoir été pressenti à ce poste. Pourquoi l'ai-je été ? Sans doute parce que, je l'ai dit en citant le vélo en période de pandémie, nous avons inventé des méthodes, passant outre de nombreux obstacles pour faire des expérimentations. Avec le président de la commission, nous avons aussi beaucoup travaillé avec les territoires dans le cadre de France Mobilités, avec des ambassadeurs de tous bords politiques. Qui dit « mobilités » ne dit pas seulement infrastructures ; un très grand nombre de micro-sujets doivent être pris en considération et, surtout, un nombre considérable de personnes sont confrontées à des transformations pour lesquelles elles ne sont pas outillées. Nous avons donc diffusé des outils, procédé à des concertations, montré des exemples. Cette expérience me semble intéressante pour expérimenter sur d'autres sujets. Par ailleurs, j'ai bien l'intention d'aller voir les collectivités territoriales, pour les zones à faibles émissions mobilité par exemple, car la CNDP a une grande expertise sur ce point. L'expérimentation est intéressante, et avec elle le fait de prendre en compte les positions des uns et les autres.
Pourquoi raccourcir les délais ? Le sujet est récurrent, mais je pense qu'il y a une confusion entre le rôle de la CNDP, qui est d'aller chercher les citoyens, de parler et d'évoquer les problèmes avant qu'il ne soit trop tard, et l'enquête publique qui suit, avec un ensemble de procédures fluctuant dans le temps qui font courir des risques aux donneurs d'ordres et aux maîtres d'ouvrage. Je suis convaincu que le débat public ou la concertation préalable sont indispensables à tout grand projet, et c'est pourquoi il faut améliorer la communication sur l'existence et l'activité de la CNDP.
Le projet de contournement Ouest de Montpellier a été l'objet de deux concertations publiques, en 2004 puis en 2006. En 2016, à l'occasion d'une nouvelle phase de concertation, le maître d'ouvrage a informé la CNDP de sa décision de ne pas la saisir, et porté cette information à la connaissance du public, comme l'imposent les textes, pour permettre une éventuelle saisine de la CNDP par les acteurs locaux, ce qui n'a pas été demandé. Vous trouverez ma réponse plus complète à ce sujet dans mes réponses écrites au questionnaire de votre rapporteure.
Nous devons trouver des modalités supplémentaires de participation, j'en suis convaincu. Pour le plan de déplacements urbains d'Île-de-France, nous avons eu 400 000 retours, parce qu'il s'agissait de la vie quotidienne des gens et que nous sommes allés à leur rencontre chez eux, dans le métro, dans l'autobus, à la gare. Étant donné l'ampleur des défis de la transition écologique et de la transition énergétique, si on n'agit pas de la sorte, si on ne trouve pas de solutions permettant de renforcer la participation au débat public, on ne parviendra pas à passer le cap et, surtout, les gens décrocheront. Selon moi, le défi actuel de la CNDP est de les faire « raccrocher » et, surtout, de leur dire ensuite comment le point de vue qu'ils ont exprimé a été pris en compte.