Avant que nous commencions d'examiner la possible nomination de M. Marc Papinutti, pressenti à la présidence de la CNDP, je rends hommage à Mme Chantal Jouanno, présidente sortante de la Commission nationale. La CNDP a été créée pour assurer la participation des citoyens à la construction des projets et des politiques publiques ayant un impact sur l'environnement. Elle garantit le respect des procédures et organise le débat public. Cette institution qui manque de visibilité et de moyens constitue un potentiel pilier de démocratisation, puisqu'elle permet d'appuyer les décisions politiques sur un public actif. Rechercher une solution au-delà des dissensus est un horizon bien plus souhaitable que de cantonner l'exercice de la démocratie à quelques échéances électorales. En cela, la CNDP contribue à créer « un sentiment de démocratie permanente, de démocratie continue », pour reprendre les mots de l'historien Pierre Rosanvallon et du constitutionnaliste Dominique Rousseau.
Indépendamment de cette contribution à la démocratie, les projets dont les conséquences sur l'environnement pourraient être significatives lui sont soumis ; elle joue donc un rôle actif pour les adapter afin de limiter certaines pollutions. En organisant un débat dont elle peut permettre de tirer des conséquences réelles, elle favorise l'adhésion de la population aux politiques publiques. Nous devons donc étudier minutieusement les avantages et les inconvénients de votre désignation.
Ingénieur des travaux publics de l'État, vous avez, monsieur Papinutti, mené une partie significative de votre carrière dans le secteur des infrastructures de transport. Vous avez dirigé Voies navigables de France (VNF), puis le cabinet de Mme Élisabeth Borne, alors ministre chargée des transports. Vous avez ensuite pris la tête de la direction générale des infrastructures des transports et des mobilités (DGITM) avant d'occuper le poste de directeur de cabinet de M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Vous êtes un spécialiste des infrastructures et de leur déploiement avant d'être un professionnel de l'organisation de la participation des citoyens et du recueil de leur avis, mais vos activités vous ont conduit à suivre de nombreux débats de cette nature et ont fait de vous un spécialiste des grands projets d'aménagement.
Néanmoins, à l'hypothèse de votre nomination, je ressens des inquiétudes relatives d'une part à votre conception du débat public telle qu'elle s'exprime dans vos réponses au questionnaire de la rapporteure, d'autre part à votre potentiel manque d'indépendance. Vous dites souhaiter l'inclusion d'un public plus large au débat, mais cette approche quantitative ne garantit pas la prise en compte qualitative des éléments débattus. Suffit-il, pour vous, d'élargir la participation du public sans chercher à élaborer des projets consensuels par une co-construction avec nos concitoyens ? Vous vous dites favorable à la restriction des délais pour certains projets ; ce point de vue vous semble-t-il compatible avec l'exercice de la présidence de la CNDP ? Pouvez-vous le justifier et nous dire quels projets seraient concernés ? Vous évoquez aussi le rehaussement des seuils à partir desquels un débat public devient obligatoire. Comment concilier l'opinion qu'il convient de restreindre le débat et l'inclusion citoyenne avec la présidence d'une institution chargée d'organiser et de promouvoir ce débat ?
Votre indépendance est indispensable à la réussite de la présidence d'une Commission nationale qui tire sa légitimité de son statut d'autorité administrative indépendante. Or vous avez été directeur de cabinet de ministres dont les dossiers seront le plus probablement concernés par la CNDP ; comment assurer que vos décisions ne seront pas influencées par ces anciens supérieurs hiérarchiques ? Évoquer comme vous le faites la collégialité de la décision, qui diluera votre proximité avec le Gouvernement, n'est-ce pas admettre que votre présidence réduira l'indépendance de l'institution ? En admettant même que vous ayez la volonté et la capacité de compartimenter votre ancienne vie de directeur de cabinet de ministres en exercice et celle de président de la CNDP, comment les citoyens, en particulier quand leur avis diverge de celui du Gouvernement, pourront-ils s'exprimer librement auprès d'une institution présidée par un très proche de l'exécutif ? Cela ne risque-t-il pas d'entraîner un reflux du débat public, contrairement à ce que vous souhaitez apporter à la CNDP ? Même dans cette hypothèse optimiste, on est donc dans une impasse.
J'ajoute que des incompatibilités dues à votre carrière passée vous contraindront à vous déporter lors de l'examen de quelque 15 % des dossiers pour assurer l'impartialité de leur traitement. Alors que vous avez retiré votre candidature à la présidence de l'Autorité de régulation des transports (ART) en considérant que le nombre de dossiers desquels vous devriez vous déporter était trop élevé, ne pas pouvoir travailler sur 15 % des dossiers soumis à la CNDP vous semble donc acceptable ?
Enfin, de la loi d'accélération et de simplification de l'action publique (dite « Asap ») à la loi d'accélération des procédures liées au nucléaire en passant par la loi d'accélération de production des énergies renouvelables, le Gouvernement ne cesse de détricoter le droit de l'environnement et de limiter le droit à l'information et à la participation des citoyens. Comment une personnalité historiquement proche de ces gouvernants pourra-t-elle contribuer à enrayer cette dynamique ?
En conclusion, vos connaissances et vos compétences relatives aux grands projets soumis au débat public ne font aucun doute mais ces atouts n'éclipsent ni votre préoccupant manque d'indépendance, ni une conception du débat public potentiellement à contretemps.