Le rapport avec l'ubérisation est le suivant. La géolocalisation a formé les prémisses de l'ubérisation chez TNT puis FedEx. Chaque chauffeur qui part en livraison – sans qu'il l'ait demandé ou accepté – est géolocalisé par le biais de son scan. Or cette pratique induit une forme d'ingérence car les salariés du donneur d'ordre possèdent la liste des numéros de téléphone des chauffeurs des entreprises sous-traitantes et peuvent les contacter pour leur demander des justifications sur leur travail.
Les donneurs d'ordre s'appuient sur des analystes de data, appelés responsables support des opérations (RSO). Ces derniers étudient les données d'une région donnée pour calculer les marges réalisables sur les livraisons et indiquent quels contrats doivent être revus à la baisse. Les sous-traitants qui refusent de s'y plier sont menacés d'être évincés.
J'ai fait part à mon RSO des échanges que j'avais avec les sous-traitants. En voici quelques-uns, qui évoquent ce RSO : « Il peut faire ce qu'il veut, pour moi c'est fini : je ne suis plus en contrat de toute façon. C'est fini pour moi, à la fin du mois, financièrement je suis au bord du gouffre, je ne peux plus rester comme ça sans rien faire. Ma société est trop impactée ». Considérons que c'est un cas à part, je passe à un autre exemple : « Comme les autres, il s'en fout de nous. Je dois t'avouer que je trafique un peu. J'essaie de tester à treize, quatorze chauffeurs au lieu de quinze, pour gratter, mais c'est impossible, ça me détruit la vie et les gars ». Considérons qu'il s'agit d'un mauvais gestionnaire, je passe à un autre témoignage : « Tous les jours je ne vis plus. Je me bats, j'ai l'impression qu'on m'a ciblé : sous-traitants qui me demandent quand j'arrête, qui viennent voir mes salaires ; maintenant on leur fait entendre que s'ils assurent, ils seront repris par le nouveau alors que je n'ai toujours pas perdu mes tournées. Je sais que je ne reste qu'un sous-traitant mais, malgré cela, je vous demande juste d'être sincère avec moi : dites-moi si je vais disparaître ou pas ». Troisième mauvais gestionnaire, sait-on jamais. Je passe à un quatrième témoignage : « De toute façon, si jamais ça continue comme ça, je serai obligé d'arrêter mes tournées. » Je lui explique que s'il arrête ses tournées, FedEx ne pourra pas faire face ; il me répond : « Mais qui sera dans la merde ? Ceux qui refusent d'entendre que je ne suis pas rentable ? »
Je ne considère pas qu'une entreprise, quelle que soit sa taille, soit vouée à être l'esclave d'un grand donneur d'ordre, à perdre de l'argent, à disparaître et à être recréée. Alors que je faisais part des difficultés des sous-traitants à ce même RSO, ce dernier m'a répondu par courriel : « Il faut toujours les faire couiner un petit peu. Il y a un moment où on saura quand c'est trop bas. Tu sais, il y en a d'autres des sous-traitants : si ce n'est pas lui, ce sera un autre ». Je pense qu'on est face à une dérive du transport express.