J'ai commencé à travailler dans le secteur du transport à dix-neuf ans, en alternance, en passant mon BTS à Montpellier. Après diverses expériences, je suis entré en 2005 chez TNT. J'y suis resté durant près de quinze ans, avant d'être licencié en décembre 2019 pour faute grave sans le moindre avertissement préalable – la faute grave consistant à avoir pris la défense de certains sous-traitants face à la montée du passage de l'immoralité à l'illégalité.
Hervé Street vous a expliqué le point de vue des sous-traitants. Pour ma part, j'étais de l'autre côté de la barrière : en tant que responsable de camionnage, je peux attester ses propos. Je possède des documents de FedEx – qui a racheté TNT – qui témoignent d'éternels projets d'économies : FedEx brise les tarifs et la relation commerciale convenus avec les sous-traitants lors de la signature du contrat, en leur demandant de réduire leurs tarifs pour dégager davantage de marges, année après année. Or les sous-traitants sont obligés de faire face à l'ensemble de leurs charges et doivent faire de plus en plus d'économies ; mais lorsqu'ils n'ont plus de marges sur lesquelles rogner pour payer les échéances – la location des camions, le gazole, l'assurance et les charges sociales – ils finissent par réduire la masse salariale. Pour autant, ils ne peuvent pas baisser le salaire de leurs chauffeurs, dont ils sont déjà incapables de payer les heures supplémentaires : la seule solution est alors de les déclarer à mi-temps pour payer moins de charges, voire de ne plus les déclarer, en leur demandant de s'inscrire à Pole Emploi ou à la Caisse d'allocations familiales. Ces impôts deviennent la seule variable d'ajustement. Il m'a personnellement été demandé de renégocier les contrats à la baisse chaque année. J'ai reçu des sous-traitants – et notamment M. Street – à qui j'ai dû expliquer que même s'ils travaillaient très bien, ils seraient moins payés – au nom du « saving », terme anglais employé par FedEx pour désigner les économies à réaliser.
Je peux également témoigner à l'appui de documents : nous utilisions un logiciel qui calculait le montant que représentait une prestation pour un sous-traitant. Quand je recevais M. Street ou d'autres sous-traitants, j'avais sous les yeux ce logiciel, qui m'indiquait par exemple que pour une prestation qui lui coûterait 27 000 euros, il faudrait ne lui proposer que 21 000 euros. La différence, elle, sert à augmenter les marges de l'entreprise TNT.
J'ai aussi en ma possession des messages de sous-traitants qui m'expliquent avoir été obligés de tricher sur la déclaration de leurs chauffeurs.
La renégociation de ces contrats à la baisse brise la vie des sous-traitants : j'ai reçu des dizaines d'entre eux en pleurs dans mon bureau.