Je pourrais vous répondre que les signes avant-coureurs auraient pu nous conduire à prendre des mesures pour éviter cette catastrophe absolue. Toutefois, soucieux de ne pas gêner l'action du Gouvernement par des jugements sur la façon dont toute cette affaire a été gérée, je m'abstiendrai.
Je me suis trompé sur un point et le reconnais bien volontiers : j'étais convaincu que le président Poutine ne passerait pas à l'acte. La veille de l'invasion, j'ai eu une discussion avec le vice-Premier ministre russe en charge de l'énergie dans le cadre de l'organisation, notamment pour CIFAL, d'une sorte de forum ou de colloque réunissant des entreprises russes et toutes les grandes entreprises françaises intéressées par les questions de l'hydrogène et de la production d'hydrogène propre. Si vous vous souvenez du déroulé des événements, une partie des forces russes massées à la frontière avec l'Ukraine pour des exercices avait été retirée. Tout le monde y avait vu le signe d'une forme de détente. Tel était exactement le climat de l'entretien que j'ai eu la veille de l'invasion.
Si l'on y réfléchit, la décision d'envahir l'Ukraine est terrible. Elle est terrible pour tout le monde, mais d'abord pour la Russie, qui a commis une erreur et une faute qui aura des conséquences à très long terme pour elle, pour l'Ukraine et pour l'Europe. Cela ne ressemble pas au président Poutine que j'ai rencontré de manière intense de 2007 à 2012.
Je l'ai revu à deux reprises, dans des manifestations publiques, de 2012 à 2017. Par la suite, je l'ai vu une fois, en 2018. Je participais au Conseil mondial du sport automobile de la Fédération internationale de l'automobile, dont j'étais l'un des vice-présidents et qui se tenait à Saint-Pétersbourg. Le président Poutine, apprenant que j'y étais, a demandé à me voir.
En chemin vers Moscou, n'exerçant plus aucune responsabilité publique, je me suis demandé de quoi nous allions parler. Après avoir passé en revue les thèmes de l'entretien, j'ai choisi de lui dire d'emblée que la situation d'isolement diplomatique dans laquelle la Russie s'installait en raison du conflit au Donbas et de la question de la Crimée était une impasse, et qu'il devait ouvrir le dialogue diplomatique pour essayer d'en sortir.
Je me souviendrai toujours de sa réponse : il m'a regardé d'un air dubitatif et m'a dit : « Ah oui ? Et avec qui parler ? » N'ayant pas suffisamment réfléchi à cette question, j'ai pensé à la totalité des chefs d'État et de gouvernement européens et ai fini par lui dire de parler avec le président Macron. En rentrant de ce voyage, j'ai appelé le président Macron pour le tenir informé de cet échange et lui indiquer qu'il y avait, de mon point de vue, une voie de dialogue avec la Russie qu'il fallait ouvrir. C'est tout ce que je puis vous dire à ce niveau.
Je pense qu'il y avait des solutions pour éviter cette crise. Nous avons réussi à arrêter la Russie en Géorgie ; je pense qu'il était possible de le faire en Ukraine – peut-être pas au moment où nous nous y sommes pris, mais en 2014, lorsque la dégradation des relations a commencé. C'est en 2014 qu'il aurait sans doute fallu être plus actif sur le plan diplomatique. À présent, ce constat ne sert pas à grand-chose. La situation est dramatique, durera longtemps et ouvrira, de mon point de vue, une fracture très importante entre le monde occidental et une grande partie du reste du monde.