Il y a toujours eu des ingérences étrangères et il y en aura toujours. Nous les avons nous-mêmes pratiquées. Au fond, la question est de les identifier et d'être capable de les combattre.
La frontière entre influence et ingérence est par exemple franchie lorsqu'un État appelle à voter pour un candidat à une élection présidentielle, ou finance la vie politique – ce qui n'est plus possible en France mais le reste dans d'autres pays.
Pour le reste, si des télévisions défendent le point de vue de la Russie, du Qatar ou de je ne sais qui, il faut simplement le savoir et faire confiance à la capacité de jugement de nos concitoyens et à pluralité de l'information dans un pays comme le nôtre. La ligne qui ne doit pas être franchie est celle qui consiste à s'ingérer directement par des consignes de vote, par le choix de candidats ou par le financement de la vie politique.
Je n'ai pas le souvenir d'avoir été amené à dire des ministres de ne pas se rendre dans certains pays.
Avec le président Sarkozy, nous nous étions beaucoup interrogés après l'affaire de la Géorgie, en août 2008. Un séminaire franco-russe était programmé à Sotchi au début de septembre – une réunion des deux gouvernements presque au complet qui a lieu tous les ans, comme avec d'autres pays et depuis très longtemps. Compte tenu de ce qui venait de se passer en Géorgie, nous avons très longtemps hésité avant de finalement décider de maintenir cette réunion dans des conditions qui ménageaient une certaine distance.
Cela m'amène d'ailleurs à évoquer un autre sujet. J'entends souvent dire que j'ai des relations personnelles avec le président Poutine. J'ai eu des relations professionnelles intenses avec le président Poutine, mais pas de relations personnelles. Je n'ai jamais participé à quelque manifestation privée que ce soit. Pour moi c'est une ligne qui ne doit pas être franchie, en tout cas tant qu'on est un responsable politique.
Si j'avais des souvenirs de cas d'ingérence française, je ne vous en parlerais pas. Il nous est quand même arrivé de nous mêler un peu de ce qui ne nous regardait pas dans certains pays africains. Au Liban parfois aussi, un peu. J'ai envie de dire que cela continue, avec un succès qui n'est pas fantastique.
Les Anglais sont de grands spécialistes de l'ingérence. Ils disposent d'une diplomatie remarquable et ont – ou avaient – une capacité considérable à agir à travers le monde. Les Américains aussi. Mais je sais bien que ce n'est pas la même chose quand il s'agit d'alliés et non d'adversaires…
Ainsi, au sein du conseil international que j'avais créé pour la société d'investissement Tikehau Capital, où j'avais recruté Avril Haines qui est aujourd'hui la patronne des services de renseignement américains, nous nous étions demandé s'il fallait investir dans l'entreprise chinoise Huawei. Mme Haines et un certain nombre d'autres membres du conseil s'étaient mis à pousser des cris d'orfraie en disant qu'on ne pouvait pas investir chez des gens qui nous écoutent. Je m'étais alors permis de dire que la NSA m'avait écouté pendant cinq ans…
Vous allez me dire que les objectifs ne sont pas les mêmes. C'est vrai, mais enfin il me semble que la question mérite une analyse globale de votre commission, puisqu'elle travaille sur les ingérences étrangères.