Remontons un peu plus loin dans le temps, si vous le voulez bien.
J'ai parlé de ma visite en 1986 en URSS mais j'aurais pu évoquer ma présence au dernier congrès du Parti communiste de l'Union soviétique, en tant que représentant de ma famille politique. J'y ai croisé des membres du Parti communiste français, malheureux de voir disparaître le parti frère avec lequel ils avaient collaboré dans une forme d'ingérence à l'époque assumée par tout le monde.
À partir de 1993, j'ai été ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. Nous avons entrepris de coopérer avec la Russie dans les domaines de la recherche et de l'espace. Il faut se souvenir que la chute de l'Union soviétique avait entraîné un véritable chaos et que la recherche russe était à terre : les chercheurs n'étaient plus payés, les laboratoires étaient en déshérence. Nous avons incité les organismes publics de recherche français à coopérer avec eux afin d'aider les chercheurs russes à survivre et, en même temps, de profiter des capacités de la recherche fondamentale russe, notamment en matière de mathématiques. De même, les industriels de l'aéronautique ont utilisé les immenses facilités et les grandes souffleries désormais inutilisées de l'Union soviétique. Enfin, nous avons engagé une coopération en matière spatiale. J'ai ainsi été, avec d'autres, à l'origine de la création de la première société franco-russe de commercialisation de lancement de satellites par Soyouz, la société Starsem. L'objectif était de donner des garanties occidentales en matière de commercialisation, financement, assurance et autres.
J'ai ensuite occupé les fonctions de ministre des affaires sociales, ce qui ne m'a pas conduit à développer une coopération très intense avec la Russie.
Quand j'ai pris mes fonctions de Premier ministre, la période était très particulière. D'abord, vous l'avez rappelé, Vladimir Poutine était lui-même devenu Premier ministre dans le cadre d'un échange de postes avec Dmitri Medvedev, au prix d'une certaine torsion de l'esprit de la Constitution russe. Il était donc mon interlocuteur. Durant ces cinq années, j'ai eu avec lui une relation assez intense, qui s'est révélée très fructueuse pour l'économie française. Je pense qu'à cette époque Vladimir Poutine avait encore pour objectif la modernisation de la Russie – on n'était pas dans la phase actuelle. Il y eut d'ailleurs, à l'initiative du président Sarkozy, des discussions pour créer une sorte de zone de libre-échange entre la Russie et l'Union européenne, proposition qui n'a pas fait l'unanimité parmi les Européens.
Pour prendre quelques exemples de la fertilité de la relation franco-russe à l'époque, c'est à ce moment-là que Renault est devenu le premier constructeur automobile en Russie grâce au rachat d'AvtoVAZ, qu'Alstom a investi dans les chemins de fer russes, que la Société générale est devenue quasiment la première banque privée étrangère en Russie, que Vinci a construit l'autoroute entre Saint-Pétersbourg et Moscou, que Total s'est vu attribuer l'exploitation de l'un des plus grands champs gaziers, celui de la péninsule de Yamal, au nord de la Russie, et qu'un pas de tir a été construit pour Soyouz à Kourou afin de diversifier l'offre de lancement européenne. Vous noterez que tous ces exemples sont favorables à la France : il ne s'agissait en aucun cas d'une mise en situation de dépendance par rapport à la Russie.
À cette époque, il était assez facile de parler avec les Russes, et c'est d'ailleurs pourquoi le président Sarkozy avait pu stopper l'opération militaire en Géorgie. Au mois d'août 2008, la Russie était en effet entrée en conflit avec la Géorgie. Le président Sarkozy, qui était président de l'Union européenne en exercice, s'était rendu à Moscou. Après une discussion assez orageuse, il avait obtenu l'arrêt des combats et le retrait des forces russes.
Voilà mon expérience en matière de coopération économique. Je ne peux pas m'exprimer sur ce qui s'est passé après 2012, car je n'avais plus la charge des affaires de notre pays.