Intervention de François Fillon

Réunion du mardi 2 mai 2023 à 15h00
Commission d'enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères-États, organisations, entreprises, groupes d'intérêts, personnes privées-visant à influencer ou corrompre des relais d'opinion, des

François Fillon, ancien Premier ministre :

Plutôt que de vous imposer un long propos liminaire, je pense plus utile de répondre directement à vos questions. Je ferai simplement trois remarques préalables.

D'abord, j'ai siégé dans cette assemblée pendant vingt-deux ans et au Sénat pendant trois ; j'ai été membre du Gouvernement de la République pendant douze ans. Jamais, durant quelque trente-six années de vie publique, on n'a trouvé une seule action de ma part qui ait été influencée par une puissance étrangère. J'ai toujours défendu l'intérêt national, tel que je le conçois, et cette attitude n'a pas changé.

Ensuite, j'ai des convictions. Elles n'ont pas varié, notamment sur la question des relations entre la France et la Russie. On pourrait les qualifier de « gaullistes » si cela ne risquait de faire ricaner. On me rétorquera en effet que le monde a changé – mais ce qui n'a pas changé, c'est la géographie, qui était la base de la vision du général de Gaulle en politique étrangère. Une immense partie de la Russie appartient au continent européen. On peut aimer ou non la Russie, être en accord ou en désaccord – et il y a bien des raisons de l'être – avec ses régimes successifs, il est incontestable que sa proximité nous oblige à trouver un mode de relations susceptible d'assurer la paix et la sécurité.

C'est cette conviction qui m'a conduit à m'intéresser assez tôt à la Russie, puisque j'y ai effectué mon premier déplacement en 1986 je crois, à la tête d'une délégation de la commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale, dont j'étais alors le président. Cette visite était historique : c'était la première fois que la commission se rendait dans le pays qui était alors notre principal adversaire. J'y suis retourné en 1988, alors que j'étais dans l'opposition, en compagnie de Jean-Pierre Chevènement : il avait souhaité que je l'accompagne pour montrer aux Russes qu'en matière de défense, il n'y avait pas de divisions à l'intérieur du pays, que nous étions solidaires.

Ma troisième remarque concerne mon expérience des ingérences étrangères – car j'en ai rencontré durant ma vie politique, notamment quand j'étais au gouvernement. La plupart du temps, elles provenaient d'un pays ami et allié : les États-Unis. Par exemple, j'ai été écouté pendant cinq ans, ainsi que le président Sarkozy, par l'Agence nationale de sécurité des États-Unis, la NSA. Lorsque des documents des services secrets américains ont fuité, tout le monde s'est focalisé sur le fait que Mme Merkel avait été écoutée, mais cela avait été aussi le cas de l'ensemble des membres du gouvernement français et, sans doute, des autres pays européens. Cela étant, c'est une pratique assez généralisée parmi les grandes puissances.

Une certaine forme d'ingérence américaine me semble poser davantage de problèmes, car elle a de sérieuses conséquences sur la vie économique de notre pays : il s'agit du principe d'extraterritorialité du droit américain, qui permet à la justice et souvent à l'administration américaines d'intervenir, au mépris selon moi des principes du droit international, dans les affaires des entreprises européennes. C'est systématique. Initialement, le prétexte en était l'utilisation du dollar pour effectuer les transactions, ce qui m'avait conduit à proposer avant 2016 une profonde réforme de la monnaie européenne pour qu'elle devienne une monnaie internationale – mais c'est la monnaie chinoise qui deviendra sans doute la concurrente de la monnaie américaine. Depuis, les Américains ont voté des lois « contre la corruption » qui leur permet tant d'intervenir dans n'importe quelles conditions dans la vie des entreprises européennes. J'ai été particulièrement marqué par l'amende de 9 milliards de dollars infligée à BNP-Paribas dans des conditions à mon avis tout à fait anormales, puisqu'il s'agissait de sanctionner des financements d'opérations ou d'entreprises au Soudan et que ce pays ne faisait l'objet d'aucune sanction de la part des autorités françaises.

J'ai été confronté à d'autres cas d'ingérence, notamment de l'espionnage de la part de la Chine – peut-être vous souvenez-vous de cette affaire retentissante impliquant une délégation d'officiels chinois de haut niveau qui, à l'occasion d'une visite d'Airbus, avaient placé des clés USB sur des ordinateurs pour récupérer des informations.

Plus proche de votre sujet, j'ai aussi été confronté à des ingérences d'autres pays, comme la Turquie, le Maroc ou l'Algérie, qui donnent des consignes de vote au moment des élections par l'intermédiaire de responsables religieux.

Je n'ai pas été concerné directement par des ingérences russes – ce qui ne signifie pas qu'il n'y en a pas : la Russie, comme toutes les grandes puissances, tente de faire prévaloir son point de vue ; elle le fait souvent d'une façon assez grossière et, de mon point de vue, peu efficace.

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