Vaste question… J'essaierai d'y répondre de manière très modeste, car je ne suis pas la première à m'être penchée sur le problème, et s'il était si simple de le résoudre, cela aurait été fait depuis longtemps.
La conception française de la laïcité n'est pas partagée dans tous les pays d'Europe, en effet ; mais la préoccupation à l'égard des ingérences, si. Il en va de même en ce qui concerne le mandat dont bénéficie la Commission. Il faut rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. En l'occurrence, je ne suis pas sûre que la Commission ait à financer des associations religieuses, quelles qu'elles soient.
J'ai fait adopter à deux reprises, dans le cadre de résolutions examinées en réunion plénière par le Parlement européen, des amendements appelant les institutions européennes à faire preuve de prudence et de responsabilité à l'égard d'associations faisant la promotion du port du voile islamique. Cela prouve qu'il y avait une majorité, très au-delà de mon groupe politique, pour approuver cette position, ce qui est en soi une bonne nouvelle.
Cela dit, il n'est pas toujours facile pour la Commission de savoir si telle ou telle association défend en réalité un programme politique : c'est parfois un véritable écheveau, et la promotion de la jeunesse, de l'inclusivité et de la diversité sont des causes extrêmement sympathiques. La question est de savoir si, derrière, il y a un financement étranger visant à nous faire changer notre mode de vie, ce qui s'appelle de l'ingérence.
J'ai évoqué cet enjeu avec des membres éminents de la Commission depuis que j'ai été nommée corapporteure de la commission INGE 2, il y a quelques semaines. Je suis heureusement surprise de leur prise de conscience, certes tardive mais réelle : mes interlocuteurs m'ont dit qu'il n'était pas envisageable de travailler avec des associations qui sont en fait les chevaux de Troie de puissances étrangères. Je vais poursuivre le travail pour voir à quoi nous pouvons aboutir. En effet, s'il est très facile de se lever dans l'hémicycle et de dénoncer des ingérences, il est beaucoup plus important de trouver une solution efficace. C'est ce que mon groupe politique s'efforce de faire. Je le dis avec beaucoup de modestie, car nous ne sommes qu'au début du chemin. Il a d'abord fallu convaincre une majorité de députés européens – car, à mes yeux, une position isolée n'est pas autre chose qu'une posture. Il importe désormais de trouver des pare-feu.
En France, beaucoup de choses ont été faites. Pendant des décennies, on a considéré comme naturel que les imams et les mosquées soient sous la responsabilité de pays étrangers – c'est ce que l'on appelait l'« islam consulaire ». Alors que la France compte plusieurs générations de musulmans nés sur son sol et ayant la nationalité française, il est permis de se demander si nous avons vraiment besoin de faire appel à d'autres pays, que ce soit d'une manière régulière ou pendant le mois du ramadan, pour nous fournir des prêcheurs. On peut espérer que ce soit de moins en moins le cas. Il faut s'assurer en outre que, lorsqu'un prêcheur vient de l'étranger, il respecte nos valeurs. Comprenons-nous bien, le problème n'est pas qu'il soit étranger. Faire signer à ces personnes la charte des principes pour l'islam de France a permis de constater que certaines d'entre elles ne le voulaient pas, ce qui est en soi extrêmement éclairant. Cela permet d'identifier certaines positions curieuses et surtout d'objectiver le débat, car il ne faut pas voir le feu partout. En outre, une fois que l'on a signé la charte, encore faut-il l'appliquer. À cet égard, de nombreuses avancées ont été enregistrées, en partenariat avec des gens de bonne foi.
La pratique consistant à se rendre à la mosquée, qui est la plus répandue parmi les musulmans de France, est-elle celle qui permet le plus d'ingérences étrangères ? Je n'en suis pas sûre. Ce n'est qu'un élément parmi d'autres. Les réseaux sociaux et les chaînes de télévision étrangères doivent agir de manière transparente, en pleine lumière, faire l'objet de débats et admettre l'exercice de l'esprit critique. Nous ne voulons pas devenir comme les États autoritaires que nous critiquons, où les chaînes de télévision sont fermées à tour de bras. Il faut mettre en lumière, expliquer, exposer, ce que fait par exemple Florence Bergeaud-Blackler, une chercheuse du CNRS qui se heurte à de nombreuses critiques parce que son dernier livre, Le Frérisme et ses réseaux, est courageux. Peut-être l'avez-vous auditionnée ?
L'approche consistant à faire en sorte que l'on connaisse les choses me paraît pertinente. J'ai essayé, dans mon propre livre, de voir ce qu'il en était de ces organisations – très sommairement, car je ne suis pas aussi experte que d'autres. Je salue le travail de personnes comme Christian Chesnot et Georges Malbrunot, qui ont étudié les pays du Golfe, en particulier leur attitude passée. Il y a eu une prise de conscience internationale s'agissant du financement de l'islam radical. La réputation de certains pays – là non plus je ne veux généraliser ni dans l'espace ni dans le temps – a été atteinte ; ils en ont conclu qu'ils devaient être plus attentifs. Grâce à la mise en lumière de ces phénomènes, une évolution positive est possible.