Intervention de Nathalie Loiseau

Réunion du jeudi 6 avril 2023 à 15h00
Commission d'enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères-États, organisations, entreprises, groupes d'intérêts, personnes privées-visant à influencer ou corrompre des relais d'opinion, des

Nathalie Loiseau, députée européenne, présidente de la sous-commission Sécurité et défense du Parlement européen :

Admettons que Jean-Luc Mélenchon n'ait pas besoin de conseillers, même si c'est rare, à moins d'être un dieu vivant, ce qu'il ne revendique d'ailleurs pas me semble-t-il. Ministre, j'étais ravie d'en avoir et je trouve que cela est plutôt sain. C'est donc personnellement que M. Mélenchon a affirmé que Vladimir Poutine allait finir le travail en Syrie, qu'il a parlé à de nombreuses reprises des « nazis ukrainiens », notamment lors d'explications de vote au Parlement européen, et qu'en 2014 il a voté contre une coopération scientifique avec l'Ukraine ou, en 2015, contre l'octroi d'une aide financière à ce pays. Je vous recommande également la lecture d'un texte terrible de 2015 issu, donc, de sa propre plume, intitulé « Avant l'orage », où il expose sa pensée à propos de l'Ukraine. Permettez-moi de vous dire que cela fait froid dans le dos.

À quel moment des entreprises privées sont-elles manipulées par des États ? Il est difficile de répondre de manière générale à l'excellente question que vous posez. Certaines législations nous permettent néanmoins d'en avoir parfois une idée précise. La loi sur la sûreté nationale, en Chine, enjoint à des entreprises comme Huawei ou ByteDance, la maison mère de TikTok, de communiquer aux autorités ce dont elles ont connaissance. Nous pouvons être certains que ces entreprises, volens nolens, coopèrent avec le régime de Pékin, ce qui justifie les précautions qui, de plus en plus, sont prises et que je soutiens. Le Parlement européen, très rapidement, a demandé aux députés, à leurs collaborateurs et aux fonctionnaires de ne pas avoir l'application TikTok sur leurs outils de travail, ce qui me semble frappé au coin du bon sens.

Plus globalement, la question des données des entreprises de l'internet est suffisamment importante pour que, depuis longtemps et d'une manière assez prémonitoire, l'Union européenne s'y soit penchée, que ce soit à travers le règlement général sur la protection des données (RGPD) ou le Digital Services Act.

Une commission spéciale du Parlement européen travaille sur l'affaire Pegasus. Il importe de réglementer l'usage de ce type de logiciels de surveillance. On les présente comme un moyen de lutter contre les groupes terroristes – qui ne le souhaiterait pas ? – mais force est de constater que des États, y compris au sein de l'Union européenne, l'auraient utilisé contre certains de leurs ressortissants.

Faut-il voyager en Chine et y emmener des hommes d'affaires ? La Chine disparaîtra-t-elle demain de la carte ? Non. Lui avons-nous déclaré la guerre ? Non. Faut-il s'y rendre naïvement ? Sûrement pas. Je me félicite qu'à la différence d'Olaf Scholz ou de Pedro Sánchez, Emmanuel Macron ne soit pas parti seul en Chine mais avec Ursula von der Leyen. De même, lors de son précédent mandat, il avait accueilli Xi Jinping à Paris en compagnie d'Angela Merkel et de Jean-Claude Juncker, alors président de la Commission européenne.

S'agissant de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, nous devons essayer de convaincre la Chine de faire des choix qui sont dans nos intérêts, de ne pas se montrer aussi complaisante à l'endroit de Moscou et de faire en sorte qu'elle résiste à l'idée de livrer des armes à la Russie. Il en est de même s'agissant de la lutte contre le changement climatique car notre action, en Europe, sera limitée si la Chine ne va pas dans la même direction, qui plus est beaucoup plus rapidement.

Oui au dialogue, mais les yeux grands ouverts sur ce que nous avons constaté en matière d'espionnage industriel, d'ingérence et d'agressivité diplomatique assumée – il a été question de la diplomatie du loup guerrier –, des ambassadeurs chinois, notamment en France, n'ayant pas manqué de tenir des discours provocateurs à destination des démocraties. Il faut avoir tout cela en tête lorsque l'on parle à des interlocuteurs issus des régimes autoritaires, qui n'entretiennent pas le même rapport que nous avec le temps, la liberté d'expression, les droits de l'homme ou la vérité du discours public. Il est plus difficile de parler avec eux qu'avec d'autres mais l'entre-soi démocratique reviendrait à rester dans une bulle informationnelle. Il n'est pas certain que ce type de voyage ait une issue positive mais le rôle d'un chef d'État, c'est aussi d'en rencontrer d'autres.

J'ai dirigé l'ENA en faisant preuve de vigilance. Je recrutais d'ailleurs personnellement les étudiants chinois, forte de mon expérience diplomatique et de ma maîtrise de la langue chinoise. J'ai veillé à ce que l'on ne m'impose pas des personnes qui n'auraient eu de diplomate que le nom. Une fois recrutées, je leur disais clairement que leur comportement serait scruté de près pendant leur scolarité.

J'ai veillé à ne pas dépendre financièrement de ce type de coopération. Mais certaines grandes écoles n'ont pas toujours la même prudence. C'est surtout vrai à l'étranger, car, en France, les universités appliquent le même tarif quel que soit le pays d'origine des étudiants qu'elles accueillent : les établissements n'ont donc pas d'intérêt particulier à faire venir des étudiants d'une nationalité particulière. Il n'en va pas de même pour les écoles de commerce et Sciences Po. Vous pouvez donc, pour arrondir les fins de mois de votre école, être incité à avoir de plus en plus d'étudiants d'une même nationalité, et en devenir ainsi de plus en plus dépendant, ce qui peut être en soi une véritable difficulté.

Il en va même pour les coopérations scientifiques et les think tanks. Il y a quelque temps, j'ai signé avec une chercheuse française un appel à une plus grande transparence en matière de financement des think tanks et à un meilleur financement public. En effet, si les organismes de recherche essaient de trouver de l'argent ailleurs, c'est parce qu'il n'y a pas assez d'argent public français. Si l'on veut éviter les ingérences, il faut s'en donner les moyens.

En tout état de cause, le minimum serait la transparence. Je n'ai aucun problème à assister à une conférence financée par l'ambassade de Chine dès lors que je sais que c'est elle qui paie. Cela me gênerait beaucoup plus si je le découvrais par hasard et après-coup. Je donne l'exemple de la Chine, mais il pourrait s'agir de Taïwan ou de n'importe quel autre pays.

Parmi les recommandations figurant dans mon projet de rapport, il y a donc la transparence s'agissant du financement des ONG avec lesquelles nous travaillons et des experts auxquels nous faisons appel. Le fait qu'un expert soit financé ne me pose aucun problème dès lors que je sais d'où vient l'argent.

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