Je relève l'usage inquiétant que vous faites du verbe réinformer. À mes yeux, la réinformation est à l'information ce que la rééducation est à l'éducation, c'est-à-dire son antonyme. La réinformation suppose que l'information délivrée par des journalistes professionnels mériterait, d'une certaine façon, d'être reprise en main. Or je suis une défenseure acharnée du journalisme professionnel. Je ne pense pas que nous ayons besoin de réinformation ni de rééducation.
J'ai un souvenir d'autant plus vif du moment où les atrocités de Boutcha ont été connues du monde entier que je me suis rendue à Boutcha juste après sa libération par les troupes ukrainiennes. J'étais présente lorsque les corps des victimes ont été déterrés pour que les familles puissent les identifier. Lorsque l'on a vécu cela, il y a un avant et un après. Lorsque des survivants vous disent qu'ils ont eu de la chance, que quarante-deux personnes seulement occupaient leur maison mais que, par chance, des sous-officiers ont interdit que des exactions soient commises, à la différence de ce qui s'est passé chez leur voisin ; lorsque vous pouvez voir sur votre téléphone portable les vidéos de soldats russes filmant des exactions que je préfère taire tant elles sont abominables, vous êtes obligé de parler de Boutcha avec une certaine émotion.
Ces informations ont été très rapidement disponibles. Cela n'avait d'ailleurs rien de particulièrement héroïque, pour les trente parlementaires nationaux et européens que nous étions, de se rendre à Boutcha et à Irpin. Qui veut savoir a les moyens de savoir. Mme le Pen, à ce moment-là, a affirmé que l'on ne savait pas et qu'une enquête internationale était nécessaire. Je regrette, mais Boutcha était occupée par des soldats russes et des enquêteurs dépêchés par un certain nombre de pays, dont la France, avaient commencé à recueillir des témoignages. Je ne nie pas que les déclarations de Mme Le Pen aient évolué mais je note qu'il était possible de dire autre chose que ce qu'elle a dit au moment où elle l'a dit.
Le Rassemblement national a regretté que François Hollande n'ait pas livré des navires de guerre à la Russie après la déstabilisation du Donbass et l'annexion de la Crimée. Depuis le début de la guerre avec l'Ukraine, Mme le Pen a choisi de dire qu'il était préférable de ne pas participer à l'escalade. Je me suis rendue à cinq reprises en Ukraine car je préfère ne pas avoir d'idées préconçues et pouvoir juger sur place et sur pièces. Mme Le Pen a fait un choix. Il n'est pas question de soupçon mais de constat. Nous sommes libres de faire nos choix mais nous avons aussi le devoir de les assumer.
S'agissant du prêt, la banque en question n'est pas plus tchéco-russe que BNP Paribas n'est encore la banque de Paris et des Pays-Bas. Sa nature, en revanche, est connue grâce aux instances internationales de surveillance des activités financières. Participant à du blanchiment de corruption et utilisée par l'Iran pour contourner des sanctions, ce n'est pas une banque ordinaire. Là encore, c'est un choix, dont je ne conteste en rien la légalité. Les déclarations de Mme Le Pen permettent de retracer la chronologie de cette opération. Elle a reconnu la validité du référendum organisé en Crimée après l'annexion russe et, dans la foulée, elle a emprunté auprès d'une banque russe. Je ne dis pas que c'est illégal mais que c'est particulier. Ce prêt, en outre, n'a pas été repris par n'importe quelle entreprise puisque celle-ci est sous sanctions. Là encore, je ne dis pas que c'est illégal mais que c'est particulier. Je constate également qu'aucun autre parti politique, en France, n'a fait un choix similaire.
S'agissant, enfin, des déplacements de députés nationaux ou européens du Rassemblement national – dont certains ont depuis rejoint Reconquête – dans la Russie de Vladimir Poutine ou dans la Crimée annexée, vous le savez, le Parlement européen prend à sa charge les frais occasionnés par une mission qui serait exercée à ce titre. Or tel n'a pas été le cas pour le déplacement auquel j'ai fait allusion, qui a été financé, en Russie, par des personnes morales ou physiques. Là encore, c'est un choix. Je rappelle à ce propos que Thierry Mariani a été sanctionné au Parlement européen pour avoir participé à des opérations dites d'observations électorales qui n'en étaient pas vraiment et avoir laissé planer une ambiguïté sur le fait qu'il agissait en tant que député européen. Là encore, ce sont des faits qui relèvent de choix personnels, dont je note qu'ils vont toujours dans le même sens.