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Intervention de Nathalie Loiseau

Réunion du jeudi 6 avril 2023 à 15h00
Commission d'enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères-États, organisations, entreprises, groupes d'intérêts, personnes privées-visant à influencer ou corrompre des relais d'opinion, des

Nathalie Loiseau, députée européenne, présidente de la sous-commission Sécurité et défense du Parlement européen :

L'expression « idiots utiles » aurait été employée pour la première fois par Lénine et désigne des personnes qui, sans être proches de pays autoritaires sur un plan idéologique, en sont néanmoins les relais.

C'est peu dire que la France est une exception culturelle lorsque l'on évoque la Russie. Au Parlement européen, mes collègues m'interrogent très souvent sur ce qu'ils appellent la « complaisance » d'intellectuels et de nombreux politiques à l'endroit du régime de Vladimir Poutine. Il est évident que nous avons une vieille histoire commune avec la Russie et que la culture russe est fort prisée dans notre pays. La présence d'une diaspora intellectuelle russe depuis 1917 est aussi une belle particularité française. La résistance communiste pendant la Seconde Guerre mondiale et la puissance du parti communiste après 1945 font partie de notre histoire. En revanche, il est plus difficile de comprendre que cela nous conduise à fermer les yeux sur la réalité d'un régime politique. Le parti communiste français s'est montré particulièrement bienveillant, malgré les crimes de Staline ; Jean-Luc Mélenchon considère encore que les communistes n'ont pas de sang sur les mains… Pardon ! Cette assemblée a récemment voté une proposition de résolution portant sur la reconnaissance et la condamnation de la grande famine de 1932-1933, connue sous le nom d'« Holodomor », comme génocide.

Il est tout aussi troublant d'entendre dans la bouche de responsables politiques ou d'intellectuels que la liberté d'expression serait plus grande en Russie qu'en France. C'est pourtant ce qu'ont dit Marine Le Pen et Éric Zemmour. On peut aimer la Russie sans être obligé de tenir de tels propos, surtout après l'assassinat d'Anna Politkovskaïa. Il n'est plus possible de plaider l'ignorance ! Lors de la campagne présidentielle, Éric Zemmour a qualifié Vladimir Poutine de « démocrate autoritaire » alors que nous savons très bien ce que sont les élections en Russie, après l'empoisonnement et l'emprisonnement d'Alexeï Navalny et l'assassinat de Boris Nemtsov. La sympathie ne suffit pas à expliquer une telle complaisance. Pendant des années, Mémorial, organisation non gouvernementale russe de défense des droits de l'homme, a documenté les violations des droits de l'homme sous Staline et plus récemment. Alors que l'une de ses membres a été assassinée et que les autorités russes ont fermé l'association, il n'est pas possible de fermer les yeux ! Pourtant, Marine Le Pen a déclaré après l'assassinat de Boris Nemtsov : « J'ai confiance dans la justice russe. » Compte tenu de ce qu'est celle-ci, on ne peut qu'être troublé. Pourquoi Marine Le Pen n'a-t-elle pas fait part de sa préoccupation après l'assassinat d'un opposant politique ? Pourquoi, après l'empoisonnement de Sergueï et Ioulia Skripal, en Angleterre, Marine Le Pen a-t-elle exclusivement déclaré que l'Union européenne mène une guerre froide à l'égard de la Russie ? Ce n'est pas l'Union européenne qui a empoisonné un père et sa fille ! C'est elle qui, au contraire, s'inquiète que des armes chimiques soient utilisées sur son propre sol puisque le Royaume-Uni faisait encore partie de l'Union européenne.

Je pourrais rapporter d'autres déclarations d'autres personnalités. Je ne reviendrai pas sur les choix très particuliers de Thierry Mariani, que vous avez entendu. Là encore, chacun peut avoir des raisons d'aimer la Russie mais de là à participer à des opérations dites d'observation électorale lors de scrutins pour lesquels aucun partenaire international sérieux n'envoie d'observateurs, dans le cadre de voyages où l'on est payé par des interlocuteurs du pays où il se déroule… Pour observer le référendum constitutionnel russe, Thierry Mariani a choisi de se rendre en Crimée annexée, étant entendu que la communauté internationale n'a pas reconnu cette annexion, et avec lui dix députés du Rassemblement national. C'est un choix, mais qui interpelle. M. Mariani sert ainsi le narratif du régime de Vladimir Poutine, d'autant plus que les médias russes ont relayé la présence de ces dix députés lors de cette opération électorale, par ailleurs contestée. Hélène Laporte, aujourd'hui vice-présidente de l'Assemblée nationale, qui a participé à ce déplacement, a évoqué un « modèle de démocratie ». Lorsque l'on sait comment ce scrutin s'est déroulé… Il est possible d'avoir de la sympathie pour un pays sans nier les évidences.

En matière d'ingérence, l'épisode du covid a été fondateur. En l'occurrence, l'ingérence n'a pas été directement politique mais sociétale. Vous vous souvenez des innombrables polémiques sur la politique de santé de notre pays mais vous souvenez-vous aussi de ceux qui pressaient la France d'utiliser le vaccin russe, Spoutnik V ? C'était le cas de Jean-Luc Mélenchon et de Jordan Bardella, lequel regrettait que l'on s'interdise de l'utiliser par idéologie ou par russophobie. Jamais le laboratoire qui le produit n'a communiqué l'intégralité des essais cliniques à l'Agence européenne des médicaments (AEM), ce pourquoi ce vaccin, qui a d'ailleurs suscité la défiance en Russie même, n'a pas été autorisé. Cela n'a aucun sens d'invoquer l'idéologie ou la russophobie. En revanche, les Russes se sont livrés à de la désinformation à propos du dépôt du dossier. Lorsque nous-mêmes, parlementaires européens, écoutions leur communication, nous pensions qu'il avait été déposé ; lorsque nous appelions les experts de l'AEM, ils nous détrompaient.

J'ai évoqué Philippe Villiers tentant d'aller vendre un spectacle du Puy du Fou à Vladimir Poutine. Pourquoi pas ? Nombre d'hommes d'affaires ont travaillé avec la Russie. Pour autant, était-il obligé de dire qu'il manque un Vladimir Poutine à la France ? Je n'en suis pas sûre. Marion Maréchal a-t-elle eu raison de considérer Vladimir Poutine comme un partenaire vital ? Je n'ai jamais entendu un Français, dans un quelconque parti politique, assurer qu'un Joe Biden ou une Angela Merkel manquaient à la France. Chacun est libre de voir un modèle en Vladimir Poutine mais chacun l'est aussi de s'interroger sur un tel choix. Avant la guerre en Ukraine, il y a eu la Géorgie, la Syrie, le Donbass, les assassinats et les empoisonnements que j'ai évoqués…

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